mardi 7 avril 2015
1001 Nuits : La Cité des Mages
("La Cité des Mages", conte dans la version de Galland, Nuits 211-236, ou dans Burton Nuits 171-249, le thème anti-zoroastrien de la deuxième partie, Conte d'Amgiad et Assad, pourrait bien s'introduire dans le scénario Les Tours du silence)
Le Prince de la Lune solitaire
A 20 jours de la Perse se trouve l'Île des Enfants de Khaledan (Khálidán ou "Îles Bienheureuses" ?). Le roi en était Shahzaman ("Roi du temps") et il avait fait emprisonner Camaralzaman (Kamar al-Zaman, "Lune du siècle") son fils unique dans une tour car celui-ci refusait obstinément de se marier tant qu'il ne trouverait pas femme parfaite.
Une Djinn invisible (mais fidèle à Allah), Maïmoune, fille de Damriat [Maymunah, une "ifritah", fille d'Al-Dimiryat, un roi de Janns], le vit dans sa tour et fut surprise de sa beauté. Quand elle s'envola, elle rencontra dans les airs un autre génie ailé, des Efrits qui étaient rebelles à Dieu, Danhash, fils de Shamhúrish (quand elle l'insulte, Maïmoune dit aussi qu'il est un Marid). Elle força alors Danhash à lui dire d'où il venait et il dit qu'il venait de voir le Roi de Chine Gaïour [Ghayur, Roi de l'Île des Sept Palais] avait fait emprisonner sa fille, la princesse Badoure, [selon Burton : Budur, "Pleine Lune"] car celle-ci refusait de se marier. Maïmoune et Danhash firent venir de nuit le prince Camaralzaman et la princesse Badoure dans la même couche et les réveillèrent successivement. Chacun eut le temps de tomber amoureux de l'autre avant de se rendormir : Badoure osa toucher le corps de Camaralzaman mais Camaralzaman prit la bague de Badoure pour s'assurer que ce n'était pas un songe, sans oser l'embrasser. Mais le lendemain, il fut affligé de ne pas savoir où était cette belle endormie vue pendant la nuit. Le roi Shahzaman dut s'occuper de son fils qui était si malade d'amour.
De son côté, la princesse Badoure de Chine était furieuse de ne pas trouver celui qu'elle avait vu. Elle fit venir les plus grands mages pour l'aider et les fit exécuter les uns après les autres pour leur échec. Alors Marzavan, son frère de lait, s'introduisit chez elle déguisé en femme et lui demanda la source de son tourment. Il crut son histoire et partit chercher Camaralzaman, qu'il fit revenir jusqu'en Chine. Quand le Prince Camaralzaman et la Princesse Badoure se retrouvèrent, ils furent aussitôt fiancés.
Les Deux Reines et les Deux Demi-Frères
Cependant, ce soir-là, quand le Prince Camaralzaman vit un étrange talisman sur Badoure, il voulut le contempler et un oiseau le lui ravit. Il partit à la recherche de l'oiseau et disparut.
Badoure, ne voyant pas revenir le Prince et son talisman, décida se de faire passer pour lui pour aller jusqu'à l'île des Enfants de Khaledan. Déguisée en Prince, elle arriva sur l'île d'Ebène dans son voyage et le Roi Armanos lui demanda d'épouser sa fille, la Princesse Haïatalnefous [Hayát al-Nufús, l'Âme des Gens] pour faire s'allier Ebène et Khaledan. Badoure n'osa refuser car elle se dit que c'était là un grand présent pour Khaledan. Quand le Prince Camaralzaman finit par être retrouvé, il devint donc roi d'Ebène et eut deux épouses, la Princesse Badoure, qui avait régné à sa place, et la Princesse Haïatalnefous, qui avait accepté de partager son lit avec elle et les deux Reines s'entendaient fort bien. Le nouveau Roi eut avec la Reine Badoure un fils nommé Amgiad [Amjad], et avec la Reine Haïatalnefous un fils nommé Assad [As'ad].
Mais le malheur voulut que la Reine Badoure tombe amoureuse du Prince As'ad et que la Reine Haïtalnefous tombe amoureuse du Prince Amgiad. Chacune écrivit une lettre à son beau-fils et celui-ci tua le messager et dénonça l'action de sa belle mère. Camaralzaman refusa de croire ses deux fils et décida de les faire exécuter. Mais l'émir chargé de les tuer fut sauvé d'un lion par ses deux prisonniers et leur laissa la vie sauve. Ils purent s'enfuir et Camaralzaman découvrit, mais trop tard, leur innocence.
Les Deux Demi-Frères dans la Cité des Mages
Amgiad et Assad passèrent une montagne et se trouvèrent séparés à des distances très considérables de l'île d'Ebène (au point qu'ils envisagent même que le passage dans les montagne ait été magique).
Assad fut capturé par de cruels Zoroastriens qui le maltraitaient chaque jour et voulaient le sacrifier à leur Feu. Quand il fut emmené sur un navire pour être conduit au sacrifice (car les Zoroastriens, dans les contes musulmans, feraient des sacrifices humains), une tempête envoya le navire vers le pays de la Reine Margiane [Marjanah], qui, elle, était musulmane et dont on disait qu'elle persécutait les Zoroastriens dans son Royaume (ce qui est dit plutôt comme un signe de sa vertu). Les Zoroastriens affirmèrent qu'Assad était leur esclave mais Margiane finit par le libérer. Bostane, la Zoroastrienne qui torturait Assad fut si émue par son prisonnier qu'elle se convertit sincèrement à l'Islam.
Pendant ce temps, Amgiad entra dans la Cité des Mages et tomba amoureux d'une courtisane qui tenta de le pousser à tuer un homme de l'administration royale. Mais Amgiad tua la courtisane et son acte impressionna tant le Roi qu'il le conduisit à devenir le Vizir du Roi des Mages (Zoroastrien qui semble décrit de manière nettement moins négative que dans l'histoire d'Assad).
C'est alors que le prince Amgiad retrouva enfin l'infortuné Assad. Assad fut fiancé à la Reine Margiane et Amgiad à Bostane, la convertie. Le Roi de Chine Gaïour vint pour retrouver sa fille Badoure et il fit la connaissance de son petit-fils Amgiad. Le Roi d'Ebène Camaralzaman retrouva aussi son père Shahzaman, roi de Khalidan, et la fin est donc une scène de reconnaissance mutuelle par tous les personnages. Camaralzaman reprit le trône de Khalidan, Amgiad hérita de la Chine (et sa mère Badoure repartit avec lui) et Assad, qui avait épousé la Reine Margiane, hérita aussi du trône d'Ebène.
* Commentaire
Le conte varie plusieurs figures de la dualité : (1) dualité des sexes entre le Célibataire endurci nommé "Première Lune" et la Vierge endurcie nommée "Pleine Lune" qui tombent mutuellement amoureux. (2) dualité des Djinns entre la Bonne Djinn qui sert Allah et le Mauvais Djinn qui sert Eblis. (3) La Princesse ne trouve le Prince que par son frère de lait, qui agit comme l'intermédiaire dépourvu de sang royal, le héros du commun qui dépasse les deux Princes. (4) La Princesse "Pleine Lune" se fait passer pour le Prince "Première Lune" et épouse une nouvelle Princesse qui accepte parce que la Princesse ressemble étrangement à son fiancé le Prince (même Galland, qu'on dit si censuré, introduit d'ailleurs dans ce travestissement un peu d'érotisme peu dissimulé). (5) Puis les deux Princesses qui avaient été si exemplaires dans la première partie deviennent toutes les deux d'odieuses belles mères à la "Phèdre" vis-à-vis du fils de l'autre, inceste symbolique par déplacement, où pour une fois ce sont les Mères qui cherchent à séduire leur fils (et curieusement, elles ne seront pas punies pour leur passion). (6) En un nouveau chiasme sur la dualité des sexes et la dualité Islam / Infidèle mazdéen, les deux Demi-frères ont des destins opposés : Assad devient l'esclave des Mages et est sauvé par une femme (une Reine chaste), Amgiad tue une femme (une courtisane arrogante) et devient le gouvernant des Mages. Assad épouse la Reine qui l'avait sauvé et qui hait les Zoroastriens. Amgiad épouse une Zoroastrienne qui avait torturé Assad. Il doit sans doute y avoir déjà eu quelques Structuralistes pour étudier ce jeu qui a l'air conscient d'oppositions.
Ce fils de la nourrice Marzavan qui permet à la Princesse de retrouver son Prince peut aussi faire penser à un très vieux thème, comme dans la légende de Chitralekha, où la sage confidente aux pouvoirs magiques aide la princesse Usha à retrouver l'homme qu'elle a vu en rêve.
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