lundi 8 juin 2015

Législatives turques


La Turquie a un cycle d'élections législatives assez rapide, tous les 4 ans. Il y a quelques années, j'avais commenté les élections de 2007 (et les régionales de 2009), mais pas parlé de celles de 2011. Celles de 2015 limitent enfin en partie le pouvoir des Conservateurs au pouvoir, même si on a un peu tendance à minimiser dans les commentaires qu'ils resteront encore au pouvoir avec une majorité relative au moins jusqu'en 2019.

     AKP      CHP      MHP      HDP

Le Parti conservateur islamique AKP ("Le Parti Blanc", Parti de la Justice et du Développement) a encore 41% des voix (-9%) et 46% des sièges (-10%). Ils sont au pouvoir depuis 13 ans (2002) et resteront donc encore dominants longtemps mais ils n'auront pas la majorité absolue dont ils rêvaient pour faire une réforme constitutionnelle qui aurait augmenté les pouvoirs du Président de la république Recep Tayyip Erdoğan. J'imagine que le Premier ministre Ahmet Davutoğlu peut espérer rester ? On a parlé d'un score très décevant (par rapport à 2011, 49,8%, ou 2007, 46%) mais ils sont toujours au-dessus des élections régionales de 2009 (38%), et à peu près au niveau des régionales de 2014 (43%). Après 13 ans de pouvoir, ils ne se sont pas tant effrités que cela.

Le Parti social-démocrate kémaliste CHP (Parti Républicain du peuple) reste stable à 25% (et 24% des sièges), donc loin derrière l'AKP. Le chef actuel, le technocrate de 66 ans Kemal Kılıçdaroğlu, élu d'Izmir, est à la fois un Alévi et d'origine kurde (même si le CHP est assez centralisateur historiquement et qu'il ne joue donc pas sur son identité - Erdoğan, sunnite intransigeant, a fait une allusion publique méprisante au fait que le CHP devenait un parti alévi...). Les zones les plus CHP sont les côtes occidentales (comme Izmir et la "Ionie") et les provinces du centre alévi comme Sivas et Tunceli (mais le Tunceli a basculé vers le HDP cette fois). Ils ont eu aussi cette fois de bons scores en Eskişehir ("Phrygie", à l'ouest d'Ankara) et le Mersin (sud de Çukurova, l'ancienne "Cilicie", Tarsus).

L'extrême droite nationaliste du MHP (Parti du Mouvement nationaliste) augmente légèrement à 16% des voix (+3%) et 15% des sièges. L'AKP dépendra peut-être en partie de leur alliance ? Ils ont aussi de bons scores dans certaines parties de la Çukurova comme Osmaniye.

La Gauche régionaliste HDP (nouvelle coalition, Parti démocratique des Peuples) est avant tout dans les faits le parti des Kurdes même si son programme le rapproche plus d'une Gauche "critique" plus radicale que le vieux CHP laïc. Ils ont atteint 13% au niveau national (il leur fallait dépasser enfin le seuil des 10%) et ils ont 14% des sièges, soit pas loin du MHP. En dehors de tout le bloc de l'est de l'Anatolie, ils ont eu aussi la province alévi et kurdophone de Tunceli [région qui dans l'Antiquité aurait été à la frontière occidentale du Royaume arménien et de la Cappadoce, nord de Mélitène]. On l'a donc comparé à Syriza et Podemos mais le régionalisme est assez différent, il faudrait donc imaginer un Podem(os) qui serait essentiellement catalan par exemple [pour l'instant, aux élections régionales de 2015, Podemos a eu ses meilleurs scores en Aragon, dans les Asturies et à Madrid], ou un Front de Gauche qui serait leader en Corse, si le CHP était le PS. Les leaders sont le jeune avocat kurde de l'est, Selahattin Demirtaş (dont le frère est membre du PKK) et une féministe et socialiste d'Adana (en Çukurova), Figen Yüksekdağ. Le HDP, plus que le CHP, représente aussi les idéaux des manifestations contre le pouvoir AKP depuis deux ans. Mais même s'il y avait une alliance CHP-HDP (ce qui doit être peu probable), cela ne fait que 38% des sièges, soit moins que l'AKP tout seul...

3 commentaires:

  1. Je pense qu'on a un beau cas de "hung parliament", puisque :
    - le CHP, de gauche, ne peut s'allier ni avec l'AKP, de droite, ni avec le MHP, d'extrême-droite,
    - le CHP, jacobin, ne peut pas non plus s'allier avec le HDP, anti-jacobin,
    - pour les mêmes raisons, le HDP ne peut s'allier avec personne,
    - reste à la rigueur une alliance AKP-MHP.

    Euronews (qui a bien couvert ces élections contrairement aux chaînes de news françaises qui ont depuis longtemps sombré dans le chien écrasé et le people) parlait de retourner aux urnes si la situation ne se décantait pas.

    PS. S'il fallait comparer le HDP à un parti d'Europe occidentale, je le comparerais à Esquerra Republicana de Catalunya ou au Scottish National Party.

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    1. Une curiosité du système est à quel point il n'y a pas eu de députés "Indépendants" (il y en avait entre 12 et 30 dans le Parlement précédent). Les Partis ont été très forts, ce qui peut compliquer la formation d'une majorité comme il n'y aura pas de débauchages individuels aussi faciles pour l'AKP. Je m'imagine que la solution sera l'AKP + MHP, ce qui risque de compliquer encore plus les discussions avec les Kurdes.

      Oui, je n'avais pas pensé à ces exemples de gauches décentralisatrices.

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    2. Une autre raison pour laquelle il y a eu moins de députés indépendants est que nombre de députés du HDP étaient auparavant des députés "indépendants" à cause de la traditionnelle difficulté, en Turquie, de se présenter en tant que candidats pro-kurdes.

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