mercredi 1 juillet 2015

Les Indes des Jeux de rôle (1) Les Origines


L'Inde a été pendant longtemps un des Mondes les moins utilisés par le jeu de rôle, qui a commencé à s'intéresser au Japon dès les origines mais n'a vraiment exploré l'Inde et la Chine que plus récemment. J'aurais du mal à l'expliquer. Les Américains ont peu de connexions avec l'Inde mais les Britanniques pratiquent beaucoup le jeu de rôle aussi. La clef doit être simplement que la culture indienne s'est moins popularisée chez les geeks que les films de sabre japonais ? La puissance dominante de la Chine au XXIe siècle promet plus d'espoir de ce côté.

Les jeux de rôle se passant sur Terre ont pu utiliser l'Inde. Call of Cthulhu, par exemple, a un supplément Mysteries of the Raj ou un scénario comme Timeless Sands of India. Mais je vais me concentrer sur des versions plus "mythiques" ou les influences sur la fantasy. Il y avait un GURPS India en préparation mais les rumeurs disent que Steve Jackson Games a trouvé le brouillon trop mauvais et l'a jeté.

Une exception partielle aux débuts du jeu de rôle pourrait être l'Empire du Trône de Pétale, créé par le linguiste MAR Barker, spécialiste de l'Urdu (qui est, en gros, "l'Hindi pour Musulmans"), mais son monde fictif était un mélange de Barsoom, de panthéons et jungles indiennes, de hiérarchie sociale chinoise ou de société maya. Dans les autres mondes fantastiques importants, Glorantha a développé depuis les jungles de Teshnos (qui ont une religion plus zoroastrienne, fondée sur le feu) et surtout les îles de Vithela à l'est, qui sont ce qui se rapproche le plus de ce sous-continent indien (notamment dans sa richesse philosophique) même si la disposition géographique fait plus penser à l'Indonésie.

Je ne vais pas non plus considérer comme profondément indien le fait que le vieux jeu Ysgarth (pourtant dans un contexte européen) utilisait des Points de Karma (Bien/Mal) et des Points de Dharma (Chaos/Loi).

L'Inde dans D&D

Je crois que la première apparition de mythes indiens explicite dans le jeu de rôle doit être pour D&D, avc les Rakshashas, démons qui apparaissent dans la revue de TSR, Strategic Review (dec. 1975) n°5 p. 14. Le monstre est décrit comme de 7e niveau (avec des sorts de Mages de 3e niveau et de Clercs de 1er niveau). Ils seront précisés comme Loyaux-Mauvais (donc des diables plus que des démons dans la terminologie officielle) dans le Monster Manual. En revanche, la célèbre "marilith" (démon de type V) du même Monster Manual ressemble visuellement à une représentation indienne mais je crois que l'origine est assez vague : elle ressemble un peu à Kali mais doit venir de la créature dans le film hollywoodien Sinbad.

Le Supplément IV Gods, Demi-Gods & Heroes (1976) de Kuntz et Ward décrit (avec 11 autres panthéons) le panthéon védique (en l'appelant "hindou", ce qui peut se discuter, comme Indra est mis en dieu suprême). Il y avait 18 divinités : Agni, Brahama, Devi, Indra, Kali, Karttekeza (Karttikeya ou Kārtikēya), Krishna, Lakshmi, Ratri, Rudra (considéré comme un dieu des voleurs ??), Sarasuati, Shiva (réduit à un dieu des bêtes sauvages ??), Surya, Tvashri, Vasha (Ushas), Varuna, Vishnu (& Garuda), Yama.



On remarque que cette édition avait distingué Rudra et Shiva alors que le premier est le nom archaïque du second dans les Védas. La seconde édition Deities & Demi-Gods (1980, avec de très belles illustrations de Jeff Dee et Erol Otus) les réindentifiera en omettant le nom de Shiva et en traitant Rudra comme dieu des bêtes sauvages (alors qu'on l'imagine plutôt en divinité des tempêtes dans les Védas) - Ratri, la déesse de la nuit, héritera du portefeuille des voleurs. Cette version retirera également quatre autres figures, Brahma, Devi, Sarasvati et Krishna. Je comprends qu'ils aient enlevé des dieux influents de l'Hindouisme comme Krishna (ou Rama ou le singe Hanuman, fils de Vayu) mais il est plus étrange qu'ils n'aient pas osé mettre Ganesha. Il doit paraître trop reconnaissable et donc trop associé à l'Inde réelle ?? Mais pourquoi garder Vishnu en ce cas ?



Les créatures comprennent les Maruts (esprits des vents), les Rakshashas (qui sont décrits comme de très puissants démons de 15e niveau, et non 7e comme dans le Monster Manual), les Yakshas (démons équivalents aux djinns), les Nagas (trois catégories : Gardiens, des Eaux, mages 5e niveau ; et Maîtres-Nagas à sept têtes, Mages-Clercs 10e Niveau), les Ribhus (identifiés aux Elfes - alors que le rapport semble tout au plus étymologique) et des Ogres polymorphes (les Piśāca, j'imagine). Le Deities & Demi-Gods ajoute les descriptions détaillées de trois vāhana (les "Véhicules", bêtes divines qui servent de montures à chaque Dieu, l'éléphant d'Indra, le Paon de Karttikeya, Garuda l'oiseau de Vishnu, le Buffle de Yama - le Supplément IV avait l'Oie de Brahma).

D&D continua ensuite de négliger l'Inde et de lui préférer le Japon, en dehors de ces quelques monstres comme les Rakshashas. L'univers des Wilderlands of High Fantasy (de Judges Guild) eut bien un analogue de l'Inde, avec le sous-continent de Karak, qui adorait le panthéon védique. Mais en dehors de la religion, la très vague description faisait plus penser à l'Asie centrale (avec des nomades à cheval) qu'à l'Inde.

AD&D2

En 1992, Allen Hammack, un ancien de chez TSR (il participa à la série des Slave Lords), écrivit chez Mayfair Games, dans leur catégorie de suppléments non-officiels pour AD&D Role Aids, Monsters of Myth and Legends III (consacrés à 9 mythologies : égyptienne, finlandaise, indienne, océanique, persane, romaine, slave, teutonique, tibétaine). La partie sur la mythologie indienne (p. 22-40) couvre  seulement quatre divinités hindoues (et toujours pas Ganesh !) : la Durga et Kali, Vishnu et Shiva, plus le singe demi-dieu Hanuman, le démon gardien Hiranyakasipu, plus trois avatars de Vishnu : Parasurama, Rama, Krishna et son cousin maléfique Sisupala (qui aurait dû être mis dans la catégorie "monstre" ou PNJ).

Les monstres comprennent des espèces et quelques cas individuels : les Acheri (fantômes d'enfants morts de maladie), les Asuras (diables loyaux-mauvais), les Bhut (mauvais esprits), les Dund (fantômes démembrés), Garuda, Gandharva, Jalandhara (un roi démon), les Jalpari (esprits maléfiques des eaux), Kabandha (un rakshasha), Kalanemi (un rakshasha, ennemi de Krishna), Kaliya l'Hydre, Mara le démon, les Nagas (dont Ananta Shesha), les Nivata-Kavacha (géants des mers), Panchajama (un démon des mers), les Pisacha (vampires), les Demoiselles empoisonnées, les Preta (fantômes maléfiques, de petite taille), les Rakshasha, Raktavija (un roi démon), Ravana (le roi des Rakshasha), les Vetala (un vampire qui parasite les cadavres en les possédant), les Vidyadhara (change-formes bénéfiques, elles ont parfois l'apparence de cygnes), Vritra (le serpent de la sécheresse), les Yaksha/Yashini (ogre-démon) et les Yech (démon comique).

Pendant ce temps, chez TSR, il n'y eut guère qu'un article sur les armes (bagh nakh, chakram, gada, katar, kandar, kukri) et armures (varman) indiennes dans The Dragon Magazine n°189 (1993), p. 34-39.

Trois ans après, Mike Selinker (qui fait plutôt des jeux de plateau maintenant) rédige une trilogie d'articles pour adapter l'Inde pour AD&D (2e édition).

Dans The Dragon Magazine225 (janvier 1996, p. 22-29), il retranscrit les 4 grandes classes de personnage de D&D (sans liens avec les 4 varnas sociaux, bien entendu) ainsi :
Jawan (Guerrier, "jeune soldat" en persan), Babu (Mage, "père"), Pundit (Prêtre, "maître" ou "érudit") et Sansi (Roublard - caste ou tribu de "marginaux" au Pendjab sikh, le terme insulterait sans doute la tribu actuelle et j'imagine qu'aujourd'hui cela attirerait des centaines de lettres indignées, comme si des Asiatiques appelaient une classe de roublards dans un jeu de rôle des "Gitans").

Les 4 classes ont à leur tour 8 "kits" plus spécialisés, selon la coutume d'AD&D2.
Les Jawan ont le Singh (Guerrier sikh), le Kshatriya (Paladin noble) et le Shikari (Ranger, "chasseur" en Urdu).
Le Babu a le Swami (Sorcier Devin-Conjurateur - le terme désigne en réalité plutôt un maître religieux).
Le Pundit a le Brahmane et le Yogi (Psioniciste).
Le Sansi a le Thug (Assassin rituel) et le Fakir (Barde).

Dans The Dragon Magazine226, p. 42-47 "Monsoons and the Power of Om", Selinker passe à la Magie pour les Swami, Fakir, Yogi et Brahmane avec environ 20 sorts. J'aime beaucoup le fait de faire apparaître un Troisième Oeil (7e niveau de sort, si l'Oeil touche, mort immédiate mais le lanceur doit aussi faire un jet de sauvegarde pour ne pas s'évanouir).

Enfin, dans The Dragon Magazine229 (mai 1996, p. 33-38), Selinker donne une liste de 25 objets magiques (dont par exemple une arme magique, la flèche vajra de foudre).

4 commentaires:

  1. L'Inde a une civilisation complexe à appréhender correctement.
    Dans le milieu des années '80, j'avais l'ambition (je l'ai peut-être déjà raconté d'ailleurs) d'écrire un livret de civilisation indienne pour Légendes. J'ai vite laissé tomber devant l'ampleur de la tâche et ma méconnaissance du sujet, et avec le recul, je pense que j'ai sacrément bien fait.
    Ceci dit, j'attendais effectivement de pied ferme GURPS India avant que le projet n'avorte, et j'aimerais bien voir un jour un bon traitement du sujet en JdR. Juste pour voir...

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    1. Pour Légendes ! Wow. Cela aurait en effet demandé un boulot dingue.

      Mais je pense qu'un jeu très superhéroïque comme Heroquest s'adapte bien aux épopées indiennes.

      Je n'ai toujours pas testé Devâstra.

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    2. Il y a bien sûr Arrows of Indra, même si c'est l'Inde archaïque davantage que l'Inde antique ou médiévale. C'est un jeu solide et efficace malgré sa matrice donjonnique (classes de personnages, niveaux...).

      Et il y a aussi, finalement, le supplément Qelong pour LotFP. L'auteur dit s'être inspiré de l'Asie du Sud-Est mais je pense que ça fonctionnerait avec les parties les plus tropicales de l'Inde.

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    3. Qelong pousse un peu quand même, non ?

      Mais je vais aussi ajouter au moins trois Indes parallèles (en plus de Arrows of Indra, qui reprend la structure d'Empire of Petal Throne en l'adaptant à l'Inde védique) : Sahasra, Ende et Dark Yogi.

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