jeudi 6 août 2015
Walker & le Wisconsin
Les Présidentielles américaines n'auront lieu qu'en novembre 2016 et nous sommes donc à plus d'un an. Je crois, comme un peu tout le monde, que l'exubérant Donald Trump, qui domine très largement les sondages des Primaires républicaines en ce moment, explosera en vol comme tous les candidats un peu excentriques et charismatiques qui attirent le regard des Républicains quand la campagne sérieuse n'est pas encore lancée. La folle en Christ du Minnesota Michele Bachmann était aussi donnée dans les favorites des Primaires en 2011 devant Mitt Romney avant de disparaître complètement avant même les premiers votes.
Le candidat le plus sérieux (si on laisse de côté l'argent et la notoriété de Jeb Bush) semble être pour l'instant Scott Walker, le Gouverneur du Wisconsin (né en 1967). Walker présente bien, il allie deux qualités opposées : il plaît beaucoup à la base la plus archi-conservatrice tout en ayant une apparence assez rassurante et qui semble très "éligible" (un peu le contraire de Trump qui sait exciter la rage par des propos racistes mais risque de vite décevoir l'aile conservatrice pour ses positions sociales assez fluctuantes). Walker est toujours souriant et semble toujours posé et d'un calme de Vulcain, même quand il lance quelques attaques.
Il pourra à la fois ne pas avoir une image de riche détaché de la base comme Mitt Romney (ou Jeb Bush) et sembler bien plus poli qu'un tribun de la plèbe pour attirer les fonds des Frères Koch et d'autres ploutocrates (en ce moment, surtout 4 familles). Mike Huckabee, l'ancien gouverneur de l'Arkansas, aussi avait réussi à allier pendant un temps en 2008 un conservatisme religieux impeccable et un air assez affable, mais Walker est beaucoup plus influent politiquement et plus habile que lui. Il est l'un des candidats les plus "pauvres" (avec de lourdes dettes personnelles), sans fortune familiale et avec une carrière entièrement politique depuis le début.
Walker est un fils de pasteur et depuis le plus jeune âge, il a été en campagne d'évangélisation. Cela ne semble pas être que de la propagande hypocrite quand il dit qu'il croit depuis l'enfance que Dieu l'a choisi pour être Président. Il était avant tout un militant pro-Life, anti-avortement dans tous les cas, même viol ou inceste, mais cela risque de ne pas trop compter. Les Présidents républicains sont tous anti-avortement mais cela n'a guère d'incidences directes en dehors des nominations à la Cour Suprême et d'une promesse de faire passer un jour un Amendement donnant la Personnalité aux foetus. Le Gender Gap risque certes d'être une question avec Hillary Clinton.
Mais ce n'est pas ce qui l'a rendu célèbre au niveau national. Il a su insister sur des combat anti-fonctionnaires qui ont beaucoup plu à la droite du Wisconsin au nom de la baisse des impôts et la baisse du pouvoir (déjà faible) des syndicats. Il a passé une loi pour limiter les négociations salariales des fonctionnaires, en dehors des policiers et pompiers (il visait en fait surtout les enseignants du public). Il a baissé les impôts des plus riches et contribué à démanteler le système d'aide sociale (relativement "généreux" au Wisconsin par rapport aux USA avant lui). Il est devenu ainsi le candidat de la Droite ploutocratique "sérieuse", quels que soient ses discours où il laisse exprimer des doutes sur le fait qu'Obama soit vraiment chrétien.
Le Wisconsin a environ 5,7 millions d'habitants et c'est un Etat qui a pu être un des plus "européens" (immigration d'Allemands et Polonais au XIXe siècle), ce qui a conduit à une politique relativement plus social-démocrate qu'ailleurs (un peu comme le scandinave Minnesota, qui lui était plus luthérien). Le Parti socialiste américain y faisait des scores plus importants qu'ailleurs et la plus grande ville, Milwaukee, eut trois maires socialistes qui dominèrent toute la première partie du XXe siècle. Mais Milwaukee a évolué récemment vers une crise urbaine accrue où les populations noires sont arrivées bien plus tard qu'ailleurs, juste au moment où la ville s'enfonçait dans le déclin économique, et où l'intégration s'est pour l'instant encore moins bien passée qu'à Chicago ou dans les grandes villes du Sud. La banlieue blanche de Milwaukee en a tiré un ressentiment digne des Etats les plus ségrégationnistes et ce sont ces zones qui soutiennent massivement Scott Walker, élu en 2010, 2012 et 2014 à environ 52% (voir cet article qui insiste sur ce facteur d'explication dans la New Republic). Toute sa campagne locale se fait contre Milwaukee (où 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec 40% de Noirs et 17% d'Hispaniques) et il a un soutien quasi-monolithique de ces zones blanches (5% sous le seuil de pauvreté).
Cette scission explique aussi l'écart entre les élections présidentielles et les autres élections. Pendant les élections présidentielles, où la participation est massive sur tout l'Etat, ils votent plutôt Démocrate, alors que dans les autres élections, dès que les populations urbaines de Milwaukee ou de la capitale à Madison sont moins mobilisées, l'Etat semble solidement républicain.
Walker a fait quelques gaffes et a du mal à cacher son inexpérience en politique étrangère. Il a dit sérieusement que sa lutte contre les syndicats enseignants l'aideraient à faire face à Poutine et a déclaré que les renvois de syndicats de contrôleurs aériens par Ronald Reagan était sa plus importante réussite en politique étrangère... Il a déjà dit que sa priorité serait de revenir sur tout accord avec l'Iran signé par Obama mais cela ne le singularise pas tellement par rapport aux autres candidats.
Scott Walker est actuellement troisième dans les sondages, derrière Donald Trump et Jeb Bush. Mais ce serait une erreur de le sous-estimer. Quand la campagne commencera vraiment, il a sans doute nettement moins de désavantages que ses deux rivaux : Trump s'autodétruira et Bush peut finalement souffrir de sa notoriété. Ted Cruz (qu'on considérait comme le candidat parfait pour le TEA Party) ou Rand Paul sont loin derrière Scott Walker pour l'instant.
Walker a été assez médiocre dans le premier débat des Primaires sur FOX hier soir mais j'imagine que cela aura peu d'importance à long terme. C'est assez surprenant comme il était le candidat qui avait le plus d'expérience dans les débats télévisés parmi tous les présents, et de loin. Mais il s'est concentré sur sa position anti-fonctionnaires et pro-Police (écartant vite les violences policières récentes contre des Noirs). Il s'exprime de manière assez vague dès qu'il tente maladroitement de passer à la politique étrangère (comme le dit Juan Cole).
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