jeudi 26 novembre 2015
The Hanging Gardens #4
Contrairement aux numéros 1-2 (qui couvraient un thème historique ou OSR avec plusieurs jeux) et le n°3 (qui couvrait surtout un jeu post-apocalyptique et donnait aussi une adaptation du nouveau Mad Max sur Glorantha), ce n°4 du fanzine gratuit est entièrement consacré à la ville de Swenstown avec une aventure one-shot pour pré-tirés. Le scénario exploite justement ces pré-tirés pour construire des intrigues qu'on ne peut pas faire en campagne. La description de la ville utilise deux techniques différentes, à la fois des générations aléatoires à la Vornheim pour les quartiers et des descriptifs plus détaillés de PNJ, mais c'est surtout l'aventure qui la fait vivre comme certaines de ces figures y sont des PJ.
mardi 24 novembre 2015
[1001 Nuits+] Thalaba le Destructeur
Le jeune poète britannique Robert Southey (1774-1843), un ami de Coleridge, un ex-Jacobin rendu Conservateur après la Terreur, commença vers 1799-1800 au Portugal un long poème épique en vers blancs, qui serait sa propre suite aux Mille et Une Nuits, Thalaba the Destroyer. Cela apparaît comme un des premiers romans de fantasy du XIXe siècle naissant. Le texte paraît illisible tant il est répétitif mais Shelley ou Keats l'avaient adoré (et je ne peux pas croire que Tolkien n'en ait pas eu quelque infuence inconsciente).
Juste avant la Révolution, l'Illuminé mystique Jacques Cazotte (qui avait déjà écrit une parodie fantastique, Mille et Une Fadaises en 1742) avait rédigé, avec l'aide d'un prêtre syrien nommé "Dom Denis Chavis" une Suite des Mille et Une Nuits (publiée en feuilleton dans le Cabinet des fées, 1788-1790). Chavis avait vraiment traduit un des manuscrits arabes mais Cazotte l'avait remanié profondément en ajoutant ses propres aventures et des allégories martinistes. Les 4 histoires qui semblent inventées par Cazotte étaient "L'histoire de Xailoun l'Idiot", "L'histoire d'Alibengiad, Sultan d'Herak, ou les Faux Oiseaux de Paradis", "L'histoire de la famille Schebanad de Surat" et "L'histoire de Maugraby, ou le Magicien". Dans cette dernière, le sorcier diabolique Maugraby, qui sert Zatanai, enlève des enfants qu'il amène dans sa caverne abyssale de Domdaniel, sous la mer près de Tunis pour les dresser comme ses disciples. Mais le Roi Habed il-Kalib, roi de Tadmor (Palmyre, cf. la légende de la Cité d'Airain), traverse un rite initiatique pour pouvoir vaincre le polymorphe Maugraby.
C'est ce récit de Cazotte, traduit en anglais dès 1792, qui sert de base à Southey pour sa version, assez ignorante des légendes arabes puisque c'est une lecture par un Romantique anglais d'un Illuminé français (voir Robert Irwin, Arabian Nights: A Companion, "Children of the Nights", p. 263). Et sa vision de l'Islam semble le confondre souvent avec des sources plus zoroastriennes en mettant au centre un combat entre la Lumière et Satan. Habed il-Kalib devient Thalaba mais Southey garde la caverne mystérieuse de Domdaniel, qui va devenir par la suite un cliché de la poésie britannique pour représenter une sorte de plan féérique.
Thalaba pleure ses parents devant l'Ange de la Mort.
La sorcière Khawla
Les Sorciers maléfiques de Domdaniel apprennent qu'un membre de la famille des Hodeirah les détruira un jour. Ils partent donc tous les exterminer mais un seul Hodeirah a survécu, Thalaba, qui sera élevé par Moath dans les ruines de l'antique Cité d'Iram aux hauts Piliers. Le sorcier Abdaldar de Domdaniel cherche à le retrouver mais est pris dans une tempête de sable où il perd son Anneau magique, que Thalabar retrouve par hasard. Poursuivi par les forces qui veulent lui reprendre cette bague, Thalabar ne veut pas être corrompu par la sorcellerie et fuit à travers la Mésopotamie jusqu'aux ruines de Babylone et en Perse où il rencontre des créatures de la mythologie persane comme Zahak et l'Oiseau Simurgh. Après bien des tentations et des pertes de l'Anneau (il l'avait jeté dans un puits), Thalaba finit par s'en débarrasser (bien que ce soit la magie de cet Anneau qui l'ait souvent protégé des sortilèges de ses ennemis) en le jetant dans l'Océan. Il trouve alors finalement l'entrée de Domdaniel qu'il détruit avec une épée de feu qui appartenait aux Hodeirah, comme l'avait prédit la Prophétie initiale.
Thalaba et Mohareb visitent la caverne de Zahak.
Les magiciennes Khawla et Maimuna emportent Thalaba sur leur char.
Thalaba face à l'Idole (et surmonté des âmes de ses parents)
(illustrations par William Hawkes Smith, très blakiennes)
Je ne sais pas si Thalaba a pu être inspiré de l'Anneau de Polycrate de Schiller (1798), cela paraît trop récent pour qu'il en entende parler au Portugal. Mais cet Anneau, qu'il s'agit plus de détruire que d'utiliser paraît plus proche de celui de Tolkien que l'Anneau des Niebelungen ou même que l'Anneau de Gygès (qui corrompt certes aussi mais qu'on ne détruit pas). Dans les deux cas, Frodo comme Thalaba partent dans une quête où l'Anneau va retourner à sa source pour la détruire (Domdaniel et Mordor). L'Anneau de Thalaba vient plutôt de l'Anneau de Salomon qui peut lier les Génies et il est précisé que c'est une bague sertie d'une gemme de cristal (Livre II, note 27) alors que l'Anneau Unique n'a pas de pierre. Quand Gandalf dit qu'on ne va bien sûr pas simplement le jeter à la mer, Tolkien pensait sans doute à Polycrate mais peut-être aussi à Thalaba. L'épée de feu qui succède à l'Anneau chez Thalaba pour détruire Domdaniel devient l'instrument pour forger et pour fondre l'Anneau Unique. Le Cardinal Newman (qui influença les Catholiques d'Oxford comme Tolkien) aimait la parabole chrétienne de Thalaba mais Frodo est bien plus humain dans sa résistance que la sainteté prédestinée de Thalaba.
[Il y a vraiment dans l'Islam des récits sur un Thalaba, un compagnon du Prophète qui pécha contre lui et put ensuite obtenir sa rédemption. Il y eut un Tha‘labah ibn Hātib, qui aurait négligé de payer l'aumône, et Tha‘labah ibn Abdul Rahman, qui aurait commis un péché de lubricité selon un hadith. ]
Robert Southey avait écrit avant un autre poème original, Madoc, sur un héros gallois du XIIe siècle qui traverse l'Atlantique et affronte les Mexicas d'Aztlan, et après Thalaba, il écrivit un autre livre, cette fois inspiré de légendes indiennes, Curse of Kehama, sur un héros, Ladurlad, rendu immortel, isolé et insomniaque par le maléfique brahmane Kehama qui veut se venger de lui, et poursuivi par l'ombre du fils démoniaque de Kehama (le thème du Juif errant et de Melmoth deviendra important dans le romantisme). Cela fait de sa poésie un des premiers grands mélanges des genres épiques, du merveilleux ancien et du nouveau fantastique.
lundi 23 novembre 2015
Fiqh jariri
Le salafisme et le wahabhisme saoudien viennent (à peu près) de l'école (maḏhab) de jurisprudence (fiqh) littéraliste hanbali qui allait jusqu'à nier qu'on ait le droit d'aller plus loin que la seule compilation des textes révélés (Sunna dont les ḥadīṯ), sans aucun rôle d'un juge ou législateur humain pour interpréter ces textes et anecdotes. [C'est une exagération : selon le dominicain Adrien Candiard dans une conférence récente, même leur fondateur, l'austère Ibn Hanbal reconnaissait que certains ḥadīṯ ne pouvaient simplement pas être compris littéralement, comme une phrase qui dit "la pierre noire de la Kaaba est la main droite de Dieu". L'école éteinte des Ẓāhirī aurait été encore plus "littéraliste".]
A l'inverse, l'école jariri de l'encyclopédiste al-Tabari (839-923), harcelé et persécuté par les Hanbali, aurait semble-t-il autorisé des raisonnements beaucoup plus audacieux et égalitaires dès le XIe siècle (comme des Imams et des Juges femmes, d'après des sources indirectes !). Mais ce courant jariri n'eut hélas pas de descendance. Dans le chiisme persan, il y eut en revanche effectivement des interprètes femmes de la loi (mujtahid), les Alévis turcs issu du chiisme duodécimain sont aussi très ouverts aux interprétations allégoriques et rationalistes du texte (en disant par exemple que la Kaaba n'est pas un objet matériel mais la conscience individuelle) et il y a un autre courant très minoritaire (ni sunnite ni chiite), les Ibāḍī d'Oman, qui peuvent sur certains points représenter un relatif "rationalisme" ouvert à la discussion des interprétations (même s'ils sont en pratique assez puritains).
En dehors de ces Jariri et des Hanbali, dans les trois autres grands courants encore vivants, les Hanafites (qui ont dominé le Sunnisme depuis au moins l'Empire ottoman - ce qui entre dans la théorie que l'Islam impérial qui doit gérer la diversité est institutionnellement plus "tolérant" qu'un Islam de conquête ou de revanche), les Mālikī (d'Afrique) et le Shāfiʿīsme (Moyen-Orient et Extrême-Orient) ont maintenu l'idée d'un rôle du raisonnement (qiyās) dans la jurisprudence mais sans aller aussi loin que ces thèses d'al-Tabari. Et d'ailleurs, sur de nombreux points de jurisprudence assez sévères (comme la peine de mort pour les apostats), toutes les écoles juridiques étaient d'accord.
En dehors du Fiqh, le rôle de la Raison est maintenu par des dialecticiens en théologie comme les Motazilites d'Irak (qui prétendent rester neutres entre Chiites et Sunnites, mais tentent aussi une synthèse de leurs disputes) jusqu'au Xe siècle. Mais le déclin des Motazilites constitua en quelque sorte l'éclipse de la philosophie en terre sunnite (certaines formes de chiisme ayant conservé plus d'activités spéculatives). Ce tableau de subdivisions de l'Islam sur Wikipedia est une synthèse utile.
mercredi 18 novembre 2015
Béthorm: The Plane of Tékumel
Béthorm ("Univers de Poche"): The Plane of Tékumel est le nouveau jeu de rôle de Jeff Dee (co-créateur et illustrateur de Villains & Vigilantes) dans l'univers de Tékumel, l'Empire du Trône du Pétale. C'est, je crois, le 5e jeu "officiel" professionnel dans ce monde (voir cette liste avec Empire of Petal Throne, Sword & Glory, Gardásiyal et Tékumel) mais il y en a eu beaucoup d'autres (comme Tirikélu).
Le titre de Béthorm est un jeu de mot comme Dee avait déjà créé son système nommé "Pocket" avant de remarquer que Tékumel se trouvait être dans une "Poche" extra-dimensionnelle avec son propre système stellaire mais sans le reste de l'univers. Le livre fait 262 pages et inclut surtout un système de règles assez simple avec distribution de points (comme d'ailleurs dans le jeu précédent Tékumel de Guardians of Order) : on doit faire moins que Caractéristique ou que Caractéristique + Bonus de Compétence sur 2d10 (les doubles sont des critiques).
Jeff Dee commence par une histoire de Tékumel (p. 10-12) qui a un peu le défaut de trop détailler le passé très ancien et pas assez le passé récent (défaut qu'on trouvait aussi dans la première version d'Empire of Petal Throne) mais ensuite il a un court chapitre (p. 14-15) pour expliquer qu'il a choisi de commencer non pas avec tout l'Empire de Tsolyanu mais avec un cadre plus restreint : uniquement la ville de Katalál (et la Province de Ketvíru, ville à l'ouest, plutôt globalement alignée avec le Panthéon de la stabilité, je crois). On est à environ 1000 km de la cité de Béy Ssü (voir la carte comparative de l'Europe et Tsolyanu pour comparer les distances). Voilà la localisation des environs (le livre a aussi une carte plus concentrée sur les abords de la ville et il est sorti un petit Gazeteer uniquement sur cet hexagone de 133 km) :
EPT avait commencé avec une grande ville du sud, Jakálla. J'avais fait un début de campagne une fois plus à l'ouest encore, dans les Chakas (les grandes jungles) mais je ne connaissais rien de Katalál. Le livre ne décrit donc que les Clans dominants de ce coin (comme surtout la Lame Brandie, clan militaire lié au dieu Karakán, le Rameau d'Or ou l'Epée de Feu de Vimúhla - voir cette liste des dix Très Hauts Clans). Le jeu se déroule (comme Tékumel) dans les années 2370 après le Sceau Impérial (alors que la première édition, qui se déroulait avant les romans de MAR Barker, commençait plutôt vers 2360). J'ai une tendance à préférer la Guerre civile très ouverte des années 2364-2370 (voir cette chronologie) que le présent récent avec le nouvel Empereur, redevenu plus calme en apparence.
Il suggère qu'il faut des connexions entre les PJ et donc qu'ils font tous partie (1) du même Clan (2) d'une même Légion (mais cela revient souvent au même qu'un Clan), (3) du même Culte, (4) de la Légion Omnipotente d'Azur (les services secrets de l'Empire) ou bien (5) ont été réunis malgré toutes leurs différences avec un Destin décidé par un Panthéon.
sorcière du culte de Grugánu la Noire Epée
La création de personnages (p. 16-51)
Le MJ a choisi un Clan et un niveau social homogène pour la campagne. Les joueurs choisissent ensuite leur personnage d'après ce niveau social et ont aussi le droit de jouer des visiteurs de l'extérieur de Katalál. Les espèces non-humaines sont autorisées (même s'il est plus simple qu'ils soient des citoyens intégrés à la société humaine pour que le système social soit compréhensible). Les règles expliquent que la caractéristiques statut social (sur 12) doit être dans le même intervalle de 4 points ou il ne serait pas cohérent que les personnages parlent entre eux comme des égaux. La stratification sociale est si forte dans l'Empire qu'au-delà de 4 points différence entre deux statuts, il n'y a même plus de communication directe possible. [Voir les différentes manières d'user de la Seconde Personne.]
Bien que le jeu utilise des répartition de points, il y a beaucoup de tables de génération aléatoire pour des détails du background comme les villes d'origine, les prénoms et les noms (tables qui viennent de Gardásiyal).
Il y a 5 caractéristiques : Physique (à la fois Force et Endurance), Adresse (en anglais Deftness), Intellect, Volonté (dont il est dit qu'elle comprend aussi l'empathie et le charisme) et la Capacité Psychique. Toutes les caractéristiques sont à 8 (sur 12) initialement, sauf la Psyché qui est à 2. On a ensuite 10 points de "Construction" à répartir, ce qui me semble donner des Caractéristiques qui risquent de se ressembler un peu. Les Points de Vie ne sont pas égaux à Physique mais dérivés de manière non-linéaire (un 10 en Physique donne 10 Points de Vie mais un 12 donne 20 PV par exemple). Les points d'énergie psychique (ce qui s'appelle dans d'autres versions le Pedhétl) sont égaux à Psy x 5, ce qui fait que cette version ne conserve pas l'idée d'autres jeux tékumeliens selon laquelle la Capacité psychique et le Réservoir de Mana sont indépendants (dans Gardasiyal, on pouvait en théorie avoir un mage avec une bonne capacité psychique mais un Réservoir de Pedhetl médiocre). Curieusement, l'Initiative dépend de la Volonté et non de l'Adresse : c'est la détermination qui compte plus que la coordination physique. On dérive aussi un nombre de Contacts de la Volonté et du Niveau social.
Contrairement à Hero System ou à GURPS, le système de répartition de points sépare les points pour les Caractéristiques et ensuite les points d'expérience pour les Compétences (dont le total de départ dépend seulement de l'Intelligence, approximativement une compétence par point d'Intelligence). Ce sont aussi les mêmes points qui servent à acheter des Sortilèges, ce qui signifie que si on veut créer un Sorcier un peu puissant, il aura nécessairement moins de Compétences que les PJ non-magiciens.
Les Avantages et Désavantages sont eux "achetés" avec un autre total égal à zéro, comme dans Ars Magica (il faut donc compenser tout Avantage par autant de Désavantages). Ces Avantages et Désavantages sont hélas génériques alors que la version précédente de Tékumel en avait quelques-uns avec plus d'atmosphère. Parmi les Désavantages typiques de Tékumel, il y a "Annulateur Psychique" (p. 35, certains individus de Tékumel ont un si bas niveau d'énergie psychique qu'ils peuvent nuire à la magie autour d'eux en drainant cette énergie).
Survol du reste du livre
Après une longue liste d'équipement (p. 52-62). les règles générales tiennent sur les p. 62-77. Le chapitre sur la magie (p. 78-155, donc près d'un tiers de tout le livre) a repris de longues listes de sortilèges des éditions précédentes, liées à des cultes particuliers. Il faudrait étudier de près pour voir ce qui a été conservé et modifié. Après une lecture superficielle, j'ai l'impression qu'il y avait plus de sortilèges, dont certains construits un peu comme des pouvoirs de superhéros mais il s'agit en gros de versions plus détaillées et graduelles que les sorts de Gardasiyal. Un Sortilège est semblable à une compétence (avec un jet de Rituel ou de Sorcellerie) mais les Sortilèges s'apprennent par des listes ou "phyla" (comme dans GURPS).
Un détail important pour les règles et pour l'atmosphère est qu'on recharge un taux variable de son énergie psychique chaque jour. En pratique, il faut donc souvent 2-3 jours après utilisation pour revenir à son taux de départ (voire plus si on n'a vraiment pas de chance au dé), ce qui peut ralentir les sorciers par rapport à d'autres jeux de rôle où la règle habituelle était qu'on récupérait tout en 24h.
Le Bestiaire (52 pages) a l'avantage d'avoir de nombreuses illustrations de Jeff Dee, ce qui me paraîtrait justifier l'achat du livre même si on n'a pas envie d'utiliser le système de Béthorm. Il y a en plus des systèmes Old School pour le MJ comme des tables de rencontres aléatoires et de nombreuses listes de trésors reprises encore des éditions précédentes depuis EPT. C'est une synthèse réussie qui permet de ne pas trop se demander s'il ne manque pas des petits détails d'atmosphère qui enrichissaient les premières versions.
La fin décrit un peu Katalál et les environs autour du fleuve Chaigáva, mais il n'y a pas beaucoup de pistes directes pour l'aventure, comme par exemple un jeune sorcier nommé Meshétsu qui enquête sur les ruines occultes du coin. Je regrette qu'il n'y ait pas plus de PNJ (ne serait-ce que pour les "Contacts" dont a besoin le PJ). Le site a une autre version de la carte de la ville en couleurs. Le Gazetteer (vendu séparément) est très bref (5 pages que les joueurs doivent pouvoir lire aussi). Il y a aussi un long errata mais les erreurs citées ne me semblent pas gêner le jeu.
Béthorm me fait penser un peu au jeu précédent Tékumel, mais il intègre mieux des listes de données de Gardasiyal. Grâce à son cadre plus restreint, il paraît aussi moins effrayant ou moins général pour commencer.
Un autre avantage est que Jeff Dee a l'air de vouloir le faire vivre avec au moins un scénario paru (ce qui n'était pas arrivé en dehors de fanzines depuis les aventures en solo écrites par MAR Barker).
Les scénarios de jeu de rôle se vendent relativement mal mais ils sont essentiels pour un univers aussi dépaysant pour se rendre compte du type d'aventure qu'on peut avoir (même si, dans les faits, les aventures publiées sur Tékumel ont souvent été de simples tunnels avec Portes-Monstres-Trésors qui n'exploitaient pas assez les spécificités de l'univers de Tékumel).
mardi 17 novembre 2015
Comment Daech tient ?
Un très bon article (d'un analyste anonyme) d'août dernier sur le mystère de Daech depuis ses origines il y a 12 ans : comment peut tenir une organisation qui s'aliène peu à peu tous ses alliés (même Al Qaeda et d'autres Sunnites sont à présent en guerre contre leur "takfirisme" virulent), qui restaure l'esclavage, semble se complaire dans son image de brutes monstrueuses aux bornes de toute norme universelle de la morale et dont les cadres ne paraissaient pas venir des élites sunnites ?
C'est une énigme assez effrayante et qui rendrait presque complotiste.
Au passage, l'auteur critique aussi l'idée que notre modèle d'intégration français serait plus susceptible d'attirer les militants. Les analyses récentes de ceux qui partent rejoindre Daech semblent montrer des personnes qui rêveraient plus directement de l'héroïne de la violence (Daech est une sorte de retour à une conception du Léviathan comme pure association de criminels) que de l'opium consolateur d'une secte. Le dogmatisme takfiriste conduit à la guerre civile contre les hérétiques mais la guerre n'est plus un moyen mais une fin en soi. Le fantasme du Grand Califat Réunifié utopique dont rêvent de nombreux jihadistes est remplacé par un Jihad perpétuel, y compris contre tous les autres musulmans jamais assez fidèles.
"At first, the large number who came from Britain were blamed on the British government having made insufficient effort to assimilate immigrant communities; then France’s were blamed on the government pushing too hard for assimilation. But in truth, these new foreign fighters seemed to sprout from every conceivable political or economic system. They came from very poor countries (Yemen and Afghanistan) and from the wealthiest countries in the world (Norway and Qatar). Analysts who have argued that foreign fighters are created by social exclusion, poverty, or inequality should acknowledge that they emerge as much from the social democracies of Scandinavia as from monarchies (a thousand from Morocco), military states (Egypt), authoritarian democracies (Turkey), and liberal democracies (Canada)."
Olivier Roy nuance un peu cette idée que Daech a brulé les ponts avec tous ses alliés (y compris les Salafistes qui craignent un peu que Daech ne finisse par les discréditer). Mais au-delà des vrais alliés plus ou moins honteux (sans doute dans les pétromonarchies), il y a aussi l'alliance "objective".
Daech n'a pas beaucoup de vrais "amis" mais ses ennemis les trouvent quand même parfois utiles.
La Turquie est contente que Daech affaiblisse les Kurdes, les Kurdes d'Irak (qui se font massacrer autant que les Yézidis) espèrent quand même que Daech affaiblisse Baghdad, les Chiites d'Irak et leur allié iranien profitent de Daech pour ne pas intégrer les Sunnites, Bachar el-Assad et les Russes sont contents que Daech affaiblisse toute opposition respectable à Damas, les Pétromonarchies se disent que leur seul vrai ennemi reste la République iranienne et les Chiites... Daech est son propre ennemi mais son environnement avait créé un équilibre précaire pour permettre cette expansion incroyable.
La fin de l'article de Roy est plutôt optimiste.
"The attack against Hezbollah in Beirut, the attack against the Russians in Sharm el Sheikh and the attacks in Paris had the same goal: terror. But just as the execution of the Jordanian pilot sparked patriotism among even the heterogeneous population of Jordan, the attacks in Paris will turn the battle against ISIS into a national cause. ISIS will hit the same wall as Al Qaeda: Globalized terrorism is no more effective, strategically, than conducting aerial bombings without forces on the ground. Much like Al Qaeda, ISIS has no support among the Muslim people living in Europe. It recruits only at the margins."
lundi 16 novembre 2015
Moore et l'Âge d'argent
Sans vouloir rien retirer au génie d'Alan Moore, certaines de ses histoires les plus célèbres parmi les comics mainstream sont parfois des révisions d'histoires plus classiques (même avant Supreme, qui n'est plus composé que de tels hommages à l'Âge d'Argent). Par exemple, j'ai déjà dit que sa célèbre histoire "Mogo does not socialize" (Green Lantern n°188, mai 1985), où on recrute une planète vivante comme Green Lantern était une révision (plus réussie) de "The Strange World Named Green Lantern" (Green Lantern n°24, John Broome, octobre 1963). [En revanche, je n'ai pas trouvé de précédent aussi direct de son chef d'oeuvre sur les limites de la traduction et de l'intelligibilité dans “In Blackest Night,” Green Lantern Corps Annual #3 (1987).]
De même, son célèbre "For the Man Who Has Everything" (Superman Annual #11, 1985) ressemble de très près (en encore plus mélancolique) à Superman #132 (Otto Binder, octobre 1959) et même son titre est en fait une citation de la première phrase dite par Batman dans cette histoire. Dans la version de Binder, Superman regarde ce qu'aurait été sa vie si Krypton n'avait jamais été détruite et de manière assez peu crédible, l'histoire se répète et il était destiné à devenir un superhéros quand même et à rejoindre la planète Terre. L'idée géniale est d'avoir transformé la simulation contemplative en une toxique hallucination où Krypton devient une dystopie et où Jor-El bascule dans l'amertume en s'étant trompé. Les deux sont d'ailleurs reproduits ensemble dans The Greatest Superman Ever Told (la version de 1987).
Enfin, son célèbre "Whatever Happened to the Man of Tomorrow?" (Superman #423 + Action Comics #583, septembre 1986) est moins original quand on a d'abord relu "The Doom of the Super-Heroes!" (Edmond Hamilton, Adventure Comics #310, juillet 1963), y compris l'extrême mortalité et la chute avec Monsieur Mxyzptlk qui est très similaire (celui de Hamilton étant un descendant de Mxyzptlk et non pas une évolution du même personnage).
Malgré tout le mépris de Moore actuellement pour le fanatisme conservateur des Geeks, toutes ces intertextualités rappellent à quel point il connaissait profondément les comics DC de l'Âge d'argent.
Les degrés insensibles du mal radical
Je n'ai rien à dire sur le terrible attentat de ce vendredi 13 novembre mais j'ai quelques scrupules à revenir sur mes sujets frivoles d'escapisme tout de suite (Comme dit méchamment Alan Moore, ceux qui renoncent à comprendre le monde compensent en classifiant des mondes imaginaires minuscules).
Mais là, tout débat m'irrite par avance. On pouvait toujours (à la limite) débattre sur les limites ou pas de la liberté d'expression, sur le respect ou pas des communautés minoritaires, de leurs croyances ou sur le droit de blasphème lors des assassinats du 7 janvier mais (comme pour les autres assassinats du 8-9 janvier) ceux du 13 novembre ne peuvent susciter de débats intéressants et même les plus occidentalophobes seront d'accord et n'iront pas dire que ceux qui sont (dans un commerce communautaire ou) à des terrasses de café l'ont bien cherché. On peut ensuite discuter en tant que citoyen ne voulant pas tout abandonner aux prétendus experts des après-coups, du bien fondé ou de l'efficacité de telles ou telles représailles militaires.
Le débat sémantique sur la guerre est assez peu intéressant : une organisation non reconnue comme un Etat a envoyé des assassins faire un crime de masse, mais à quoi sert de se demander s'il s'agit plutôt d'un crime civil fomenté par une organisation étrangère ou d'un crime de guerre mais venant d'une organisation non-étatique, alors qu'on n'a personne à qui déclarer une supposée guerre ou un vrai armistice par la suite. Et la confusion règnera encore longtemps dans nos choix stratégiques où nous (ni les Français ni les Américains) n'arrivons pas à choisir entre le régime d'Assad, les mouvements de Daech et le rôle des Russes aux côtés d'Assad ou des organisations salafistes des pétromonarchies aux côtés de Daech. [L'argument que nous avons tous pour dire Daech et non plus E.I. ou ISIS est du simple esprit de contradiction, que c'est le terme que Daech aime le moins pour les qualifier.]
Mais autant le Mal de Daech est une figure trop évidente pour qu'on puisse en débattre, ce qui est frappant est les petits degrés d'autres Maux. Je ne parle pas des maux prévisibles comme le ressentiment, la sottise insondable du démagogue qui exerça la fonction de Président ("toute personne qui consulte un site islamiste doit être considéré comme un islamiste", "tout personne fichée administrativement à quelque degré que ce soit doit être arrêtée alors qu'il n'y a pas eu de mise en accusation contradictoire"), les amalgames avec les réfugiés (alors que tout le monde sait que c'était un des buts de Daech que de pousser à ces amalgames) ou les récupérations politiques.
Je parle de la croissance de nuisances minuscules dont je n'avais pas vu autant de précédents en janvier dernier. Je parle de ces multitudes purulentes de canulars et photomontages que les journaux passent leur temps à rectifier. Ces trolls font certes nettement moins de dégâts mais en un sens leur volonté de nuisance de petits Erostrate a quelque chose d'encore plus haineux que les illuminés de Daech, qui ont au moins une idéologie millénariste pour justifier leurs crimes à leurs yeux. Par exemple, des trolls (qui semblent liés à certaines sphères racistes des GamerGate) ont pris une image d'un Sikh qu'ils n'aimaient pas et ont voulu faire croire qu'il était un des suspects. L'effort nécessaire pour tenter de nuire ainsi (même si c'est pendant peu de temps) a quelque chose du Mal pour le Mal plus irrationnel que des militants terroristes qui croient au moins avoir quelques raisons ou prétextes pour fonder leur ressentiment.
Les sites de "Désintox" semblent avoir beaucoup plus d'utilité encore à réfuter tous ces petits trollages. En s'accumulant, cette nuée d'inexactitudes donnent l'impression que le rapport signal sur bruit tend à décroîte très vite et va tous nous rendre "complotistes" en annulant la fiabilité des réseaux non-officiels. La multiplication des sources tendra alors à tellement faire douter de chaque information même la plus anodine qu'elle la rendra inaudible. C'est peut-être le but inconscient de ce "Mal pour le Mal", tendre à augmenter les incertitudes de l'information pour qu'elle se réduise à une sorte de chaos saturé ou de songe contradictoire.
Add. En y réfléchissant, les médias officiels ne sont bien entendu pas tellement mieux. Même sur des sujets nettement moins brulants d'actualité, ils peuvent s'emporter. La BBC a repris trop vite un mathématicien nigérian qui disait qu'il avait résolu l'Hypothèse de Riemann et il semble bien qu'ils n'aient pas assez attendu de vérification de la prétendue preuve (sachant que des charlatans ou même des mathématiciens sincères prétendent l'avoir prouvée sans arrêt - il y avait déjà eu un même emballement en 2008 sur une preuve qui fut réfutée).
mardi 3 novembre 2015
Exemple d'introduction à Tékumel
Kevin Crawford propose comme exemple ces 15 pages d'introduction (pour pousser à lancer un jeu de rôle gratuit de plus pour relancer Tékumel). (Via RPG.net)