dimanche 7 février 2016

Jeux de rivalités chez Dupuis



  • J'ai une hypothèse de lecture (sans aucune preuve) sur Ralph Azham de Lewis Trondheim (qui paraît dans Spirou et donc chez Dupuis) : et si toute cette série avait pour but de montrer qu'il pouvait faire mieux que Lanfeust de Troy d'Arleston (Soleil) dans ce même genre de fantasy humoristique mélangé avec des superpouvoirs presque universellement répandus (le modèle d'Arleston devait être Xanth d'Anthony). Cette rivalité ou émulation serait ironique comme les BD de Soleil sont un peu le diable philistin-commercial pour l'équipe des anciens de l'Association comme Trondheim. L'univers de Ralph Azham est cependant fondé avant tout sur un jeu de structure. Cette structure des 4x4 "pouvoirs" est finalement l'élément le plus important de l'intrigue et on a l'impression que Trondheim écrit cette bd "grand public" comme une sorte de jeu de l'OuBaPo. Cela donne une profondeur abstraite aux 4 dieux qui n'ont pas de liens clairs avec 4 finalités ou puruṣārtha (Argent / Pouvoir / Sexualité / Sagesse). Sur ce continent de Tanghor, certains acquièrent des pouvoirs tous les cycles de 16 ans et deviennent des Bleuis, marqués par la Lune bleue. Au début de l'histoire, on découvre comment les Etats persécutent et/ou utilisent ensuite les pouvoirs de ces Bleuis (qu'on reconnaît aisément comme une des parties de leur corps devient bleue). Ralph a d'abord un pouvoir qui semble sans intérêt (deviner le nombre d'enfants) mais ensuite il va acquérir un pouvoir plus intéressant (il matérialise automatiquement tous les fantômes tués par la personne dont il s'approche et leur permet donc de tuer leur assassin - cela donne des scènes où il est mécontent quand il est attaqué par des voleurs dont il s'aperçoit qu'ils n'ont jamais tué personne pour l'instant). Les conventions de fantasy y sont plus subverties par le héros cynique que dans Lanfeust et le héros est prêt notamment à bien des changements d'alliance. (En y pensant, le cliché du personnage qui-cache-un-idéalisme-désabusé-sous-un-discours-cynique est une marque de fabrique de Lewis Trondheim qui aime souvent être un vrai Cynique au sens originel du terme, plus un moraliste misanthrope).

  • Les premiers épisodes de Spirou et Fantasio par André Franquin à la fin des années 1940 sont, contrairement à ce qu'on pourrait croire, plus racistes que les Tintin des années 1930 (Spirou chez les Pygmées, 1949, pire que Tintin au Congo, 1930). Franquin s'améliore très vite (notamment à partir du moment où il crée le Marsupilami en 1951 : on peut trouver le personnage agaçant mais cela relance visiblement sa créativité et il rompt avec les histoires que faisait Jijé et introduit plus de continuité d'un épisode à l'autre). La référence ou la rivalité mimétique avec Tintin reste parfois obsédante (Tintin était déjà déguisé par anticipation de Rob-Vel en groom dans une page de Tintin en Amérique, 1931). Le Comte Pacôme de Champignac (créé en 1950 dans Il y a un sorcier à Champignac) est vite la fusion de Tournesol (savant lunaire) et de Haddock (pour le Château de Moulinsart - d'ailleurs racheté par les fonds de Tournesol dans Le secret de Rackham le Rouge en 1944, mais Fantasio joue plus le rôle du partenaire irascible à la Haddock). Mais Hergé se souviendra-t-il de ces origines quand il imite une partie de l'intrigue d'Il y a un sorcier à Champignac et remet un thème contre la xénophobie contre les Gitans à l'intérieur du parc du Château de Moulinsart dans Les bijoux de la Castafiore (pré-publié en 1961). Le Dictateur et le Champignon (publié en 1953-1954) ne cesse de reprendre l'Oreille cassée (1937) dans plusieurs scènes (Zantafio fait Spirou colonel exactement comme Alcazar avait fait pour Tintin - mais Zantafio est plus fascisant qu'Alcazar, qui est surtout ridicule et instrumentalisé par les marchands d'armes).
  • 4 commentaires:

    1. Ça doit être dû à mon obsession pour la linguistique, mais j'ai été rebuté par le mélange langue contemporaine/monde fantasy de Ralph Azham, et je n'ai pas réussi à dépasser le deuxième album. C'est ce qui m'empêche également de regarder Kaamelott dont tout le monde me dit pourtant le plus grand bien.

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      1. Oui, je comprends que cela puisse détonner. C'est bien sûr le propre de l'humour de Trondheim de toujours jouer sur cette distanciation. Les noms propres parodiques des quatre dieux (Moogthar, Tanghor, Angthar et Sashir) me repoussent aussi de l'immersion.

        Cela m'a fait personnellement plus sourire que Kaamelott (où j'ai toujours l'impression que les personnages se contentent de varier sans grande originalité et avec toujours le même style des manières de dire que les autres sont des crétins).

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    2. Je ne connaissais pas Xanth, ç'a l'air plutôt pas mal ; je vais y jeter un coup d’œil à la première occasion.

      Merci.

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      1. Xanth peut être assez inégal (Anthony en a écrit tellement, c'est souvent moins bien que Discworld par exemple). Mais il a introduit certaines idées qu'on retrouve dans Lanfeust comme par exemple celle des "méta-pouvoirs" (certains personnages croient qu'ils n'ont pas de pouvoirs parce que leurs pouvoirs agissent en réalité sur les pouvoirs des autres).

        Mais si ça se trouve, en y repensant, le vrai modèle de Trondheim est peut-être aussi le nekketsu des mangas shōnen qu'il connaît bien, plus que Lanfeust.

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