samedi 7 mai 2016

Essentialisme et racismes





  • Je suis un peu interloqué que Philosophie Magazine ait titré son dernier numéro "Nomades contre Sédentaires, la Nouvelle Lutte des Classes". Cette expression se trouve en effet souvent dans l'extrême droite néo-nazie de Soral et ce nazillon narcissique doit jubiler qu'on reprenneainsi une de ses thèses pseudo-marxistes (où je vous laisse deviner qui sont ces "Nomades mondialistes capitalistes spéculateurs sans racines" face aux "Sédentaires producteurs gaulois"). Mais je n'ai pas ouvert le magazine et j'ignore s'ils l'attaquent ensuite.

  • Un des prétendus candidats aux Présidentielles (qui n'aura pas les 500 signatures) est un élu local versaillais et dirigeant de radio Courtoisie, De Lesquen du Plessis-Casso (polytechnicien et énarque, ce crypto-négationniste* appartient ironiquement à la Promotion qui avait pris le nom de la philosophe gnostico-trotskiste Simone Weil). De Lesquen frappe dans son discours raciste car il ne le crypte que très peu, contrairement à toutes les habitudes depuis des décennies, même au FN. Je n'avais jamais entendu en France quelqu'un parler de "fierté blanche" dans un discours public et je croyais que c'était confiné à quelques skinheads un peu américanisés et pas à des milieux de pouvoir politiques versaillais nourris à Alain de Benoist et au GRECE (De Lesquen était aussi au Club de l'Horloge).

    [* Le négationnisme, lui, est codé uniquement pour des raisons juridiques. Il ne dit pas qu'il n'y croit pas, il dit de manière détournée qu'il n'aurait pas le droit de dire qu'il n'y croit pas - un peu comme OJ Simpson se faisant payer pour dire qu'il n'a pas tué sa femme mais qu'il peut raconter sans conditionnel comment il s'y [était] pris s'il l'avait fait.]

  • Je commence à être déprimé par toute cette tératologie raciste. Si vous doutiez encore que Renaud Camus (et son "Parti de l'In-nocence" pour qui la "nocence" est avant tout les incivilités et la présence d'allogène) était de tendance KKK / White Pride, voici un tweet de lui du 29 avril  :
    Hitler a commis deux génocides : 1/ des juifs, de son vivant 2/ des blancs en rendant impossible, par le premier, toute référence à la race.
    Le principal reproche qu'il fait donc à Hitler est donc d'avoir trop contribué à "discréditer" le racisme, tout comme Maurras regrettait qu'il ait nui à la cause de l'antisémitisme.

  • Et pour passer de l'extrême droite raciste traditionnelle à leur double prétendument de "gauche" théocratique du Parti des Indigènes de la République, je ne comprends pas l'angle d'attaque choisi par cet article contre le PIR. Ils disent que le problème du PIR est que c'est un renouveau du racisme vers un "essentialisme", qui enferme les individus dans une essence (de l'Arabe, du Noir, du Colonisé).

    Bien sûr, tout dépend de ce qu'on appelle l'essentialisme et c'est ambigu. Mais prenons par exemple l'analyse critique du terme tel qu'on l'entend dans l'ontologie analytique depuis Quine : l'essentialisme consiste à croire qu'il existe des propriétés nécessaires d'un individu, indépendantes d'une classification générique arbitraire ou quelle que soit la description. Autrement dit, cela veut dire que Monsieur X a telles propriétés nécessairement et d'autres non, indépendamment d'autres propriétés accidentelles. Ces propriétés qu'il possède nécessairement ne dépendent pas d'une description contingente qu'il aurait pu ne pas satisfaire.

    Si j'ai bien compris le discours du PIR (et en feignant de croire que ce soit plus qu'une idéologie rhétorique pour unir plusieurs combats hétérogènes), ils se veulent complètement "constructionnistes", ce qui en fait un mouvement assez "moderniste". Ils disent partir de la thèse que les concepts de race sont construits socialement. C'est donc un renouveau original du racisme : ce sont des racialistes mais justement des racistes non-essentialistes ou des racialistes "relationnels" ! Le "Blanc" est fixé comme le terme non-marqué par la classification raciste blanche, comme le dominateur qui ne se nomme pas lui-même et le "non-Blanc" par exemple (ou l'Indigène) est constitué de manière relationnelle par domination : ce sont les Blancs qui ont constitué les non-Blancs par leur hégémonie.

    Donc le PIR en déduit que tout discours universaliste disant que tout homme peut accéder à une identité et des droits indépendants de telle ou telle communauté est un discours homogénéisateur artificiel, une ruse (des Blancs) pour empêcher les communautés non-blanches de s'allier contre le vrai pouvoir dominateur des Blancs. L'universalisme (et donc l'anti-racisme) est le complot des Blancs pour faire oublier qu'il y a des "Blancs". D'où ensuite les conclusions ségrégationnistes du type qu'un(e) non-Blanc(he) qui se marie avec un(e) Blanc(he) trahit la cause des non-Blancs (ce qui rejoint le racisme traditionnel et l'apartheid "blanc" en lui donnant un habillage de lutte anti-coloniale).

    Comme le PIR a une obsession judéophobe (ce que même Ivan Segré semble un peu contraint d'admettre malgré lui alors qu'il mettait en garde contre toute paranoïa à ce sujet), ils font des contortions pour dire que les Juifs furent persécutés par les "Blancs" mais sont ainsi devenus la quintessence de l'oppression "blanche" puisque les "Blancs" américains soutiennent Israel contre les non-Blancs "palestiniens". Bouteldja attaque par exemple dans son dernier livre (à la suite d'Edward Saïd) Sartre comme un "Blanc" (malgré tous ses textes pro-Fanon) parce qu'il parle encore d'un droit à l'existence d'Israel et elle accorde à Jean Genet un certificat de non-Blanc "honorifique" pour la raison symétrique de son soutien plus direct à l'OLP.

    Donc pour résumer le chaudron du PIR : (1) Il n'y a pas de race en soi. (2) Mais ces sales Blancs sont ceux qui ont construit les races pour opprimer les non-Blancs. (3) Et il faut que toutes les "races" non-Blanches s'unissent contre ces sales Blancs oppresseurs et tous ceux qui nient qu'il y aient des races ne peuvent être que des Blancs ou des traîtres vendus aux Blancs puisque la négation du racialisme ne ferait que soutenir la domination de facto des Blancs. Cela leur permet de dire qu'ils ne peuvent même pas être "racistes inversés" puisque seuls les dominants pourraient l'être en disposant d'institutions de domination.


  • Il y a donc bien un essentialisme qui reste caché (l'Occident essentiellement défini par la colonisation, comme si l'Islam qu'on oppose comme un Grand Autre ne s'était pas diffusé aussi en grande partie avec un impérialisme colonial assez similaire et avec un autre projet "universaliste")

    La théoricienne du PIR a fait des études d'anglais et un de ses principaux modèles est un discours qui vient d'Edward Saïd (qui avait lancé des analogies entre l'oppression des Autochtones amérindiens par les Américains et celle des Palestiniens par les Israéliens). En un sens, le néo-racisme différentialiste (et d'autres versions plus modérées de différentialismes) est une peste qui vient plus des USA que de théories théocratiques (plus universalistes malgré tout le fétichisme pour la particularité originelle du passé qu'il faut copier dans le salafisme). En France, la sociologue différentialiste Christine Delphy aurait certaines convergences "objectives" mais j'imagine que Bouteldja serait trop homophobe et trop théocrate pour chercher cette alliance (Delphy, par ses textes sur l'intersectionnalité contre la laïcité à la française, est plus proche d'autres mouvements communautariens certes très "islamophiles", du genre de LMSI).
  • 5 commentaires:

    1. L'article de Wikipedia consacré à Delphy la crédite d'une participation à la création du PIR.
      Ce texte de 2012 tient des propos élogieux au sujet de ce mouvement.
      http://lmsi.net/Classes-et-castes
      et le site du PIR a publié un texte de Delphy en janvier 2016
      http://indigenes-republique.fr/contre-la-guerre/

      RépondreSupprimer
    2. Une question qu'on peut se poser en lisant les textes du PIR c'est : qui est blanc ?

      Si j'ai bien compris, les Juifs et les Roms ne sont pas blancs ? mais il me semble qu'avec le même genre de raisonnement on pourrait en conclure que les Irlandais, les Bretons ou les Basques ne sont pas blancs non plus ... ou qu'ils ne le sont devenus (tous?) que récemment.
      Les Européens de l'est qui n'ont pas de passé colonial sont-ils blancs? Le PIR devrait penser à soutenir Orban qui lui aussi revendique le droit à la non-mixité.

      RépondreSupprimer
      Réponses
      1. J'imagine qu'ils ne veulent pas entrer dans des détails où chacun est le non-Blanc d'un autre Blanc dans leur délire. Leur judéophobie fait - si j'ai bien compris l'article de Segré - des juifs des "plus blancs que blancs", dans une autre symétrie inversés avec les clichés antisémites.

        Le PIR doit déplorer aussi le Cantique des Cantiques (qui chante aussi dans une des interprétations un mariage entre Salomon et la Reine de Saba) et la décision de la Cour suprême Loving v. Virginia de 1967 annulant les interdictions de mariages inter-raciaux.

        Supprimer
    3. Un certain essentialisme est maintenant revendiqué par le PIR
      http://indigenes-republique.fr/faire-vivre-son-essence/#_ftnref10

      RépondreSupprimer
      Réponses
      1. Cela réfute donc complètement mon idée qu'ils étaient un peu originaux dans l'histoire du racisme.

        Ils reviennent à cet essentialisme (qui ne soit pas seulement "stratégique") au nom d'un anti-anti-racisme car l'anti-racisme est formaliste, universaliste, abstrait et donc impérialiste occidental, "blanc" (alors que d'autres accusent d'habitude l'anti-racisme d'avoir basculé dans le différentialisme anti-occidental).

        C'est d'une dialectique qui rappelle aussi la Nouvelle Droite différentialiste du GRECE, l'essence de la substance éthique contre l'homogénéisation capitaliste.

        Leur détestation politique de Sartre (accusé depuis leur reprise d'Edward Said d'avoir été trop pro-Israel) a maintenant même un corrélat ontologique.

        Supprimer