samedi 9 mars 2019

Les mondes de la Couronne de Fer (8) Gryphon World


Le monde de HARP
Après un retour sur le Shadow World, nous allons faire un saut dans le temps dans l'histoire de l'Iron Crown Enterprise. L'entreprise fit faillite en 2000 et perdit alors la "licence" de Tolkien (il semble que cela ait été dans cet ordre). Malgré le départ de certains des créateurs historiques, la compagnie fut recréée par une de ses anciennes autrices, Heike Kubasch (celle qui avait écrit Angmar, 1982) et ils décidèrent de relancer ICE avec un nouveau jeu nommé HARP (High Adventure Role-Playing, 2003), qui serait une version légèrement simplifiée de Rolemaster (on doit toujours y utiliser des tableaux pour les effets et réussites critiques mais pas pour déterminer si on a touché ou pas). Mais ils décidèrent alors que le nouveau HARP devait aussi avoir son propre univers de fantasy, comme l'avait eu Rolemaster avec Shadow World, et ce serait donc le Monde des Griffons, qui sera appelé du nom du continent Cyradon, 2005 (ils firent aussi un nouveau monde de sf pour une nouvelle édition de Spacemaster mais en l'occurrence cette nouvelle version ne fut jamais assez détaillée).

L'exil dans la Cité des Griffons
L'idée de départ du Monde des Griffons est parfaitement adaptée à une campagne de jeu de rôle (même si l'exécution ensuite peut sur certains points décevoir). Les personnages-joueurs viennent de différentes races et espèces classiques (Humains, elfes, nains, etc.) mais ils sont des exilés, des réfugiés qui ont fui une théocratie oppressante par un portail de téléportation pour arriver en un nouveau continent loin à l'Orient à l'autre bout de leur planète. (Ils ne risquent pas d'être poursuivis car la théocratie en question est opposée à l'usage de la magie).

On a ainsi une justification à la fois du besoin d'exploration et du fait que les joueurs puissent en savoir si peu sur ce qui les entoure. C'est une bonne base pour un monde de jeu de rôle de fantasy, un peu comme celle d'Earthdawn où on doit réexplorer le monde après un long fléau ou celle utilisée par King of Dragon Pass où les humains reviennent explorer un territoire abandonné aux non-humains.

Ce continent oublié était jusqu'à très récemment scellé par une protection magique (le Voile) qui bloquait aussi les portails de téléportation et c'est à sa tombée que les réfugiés en ont profité pour organiser leur exode, grâce aux Nains qui avaient gardé les secrets de ces voies magiques. Les divers réfugiés ne sont que quelques milliers. Ils sont conduits par un guerrier humain nommé Grayson. En sortant du portail, ils se sont retrouvés dans une vaste et antique Cité abandonnée depuis 500 ans. La Cité est au coeur d'un volcan, dans un territoire en ruines, dévasté par une catastrophe qui consume la réalité et absorbe l'énergie magique. Même la Mer intérieure au nord n'est plus qu'une étendue d'eaux toxiques.

Les gardiens de cette cité vide de Belynar sont un ordre de valeureux Griffons intelligents qui ont juré d'empêcher un nouveau désastre du même genre. Ces Griffons sont une espèce jouable (six tribus différentes) et sans doute un choix si on préfère jouer des "autochtones" du nouveau monde dans le groupe (un détail est que les Griffons ont une patte avant avec une serre opposable qui leur permet d'écrire par exemple).

Soigner la Terre Gaste
La carotte du jeu est plus positive que d'habitude dans un jeu de "survie". La bonne nouvelle est que l'arrivée des réfugiés coïncida avec un début de renaissance de la Dévastation autour d'eux qui se mit enfin à reverdir quelque peu. Les Gnomes indigènes (êtres féeriques liés à la terre et à la nature) qui étaient venus voir les nouveaux réfugiés, réussirent enfin un Rituel de fécondité, en sacrifiant un artefact nommé une Larme de vie. Le Voile qui enfermait le continent de Cyradon et était censé le protéger avait en effet empêché à la terre de se régénérer naturellement et n'avait fait que figer cette malédiction.

Le but premier des réfugiés et de leur nouveau "maire", Grayson, va maintenant être non seulement d'explorer leur sanctuaire mais de trouver d'autres Larmes de vie qui pourraient continuer ce processus de guérison de la Dévastation. On pourrait imaginer que certains ne seront pas prêts au sacrifice d'un tel artefact car une Larme de vie permet aussi de rendre son porteur immortel (ceci n'est pas dans le supplément Cyradon mais dans la revue HARPer's Bazaar n°10, 2007).

Les indigènes de Cyradon
Dans ce nouveau monde, les Humains étaient oubliés avant l'arrivée des immigrés et on n'avait plus vu de Nains ou d'Orcs.

Les peuples dominants en dehors de quelques nids griffons sont surtout des Hommes-lézards paisibles et raffinés, des Gnomes et plusieurs Royaumes de Hauts-Elfes rivaux (les réfugiés elfes sont plutôt des elfes sylvains). Les anciens Sorciers qui avaient occupé la Cité abandonnée de Belynar avant la Dévastation avaient pour spécialité de manipuler les formes de vie et ils créèrent des créatures uniques, artificielles (on trouve des épaves de géants mécaniques) ou bien biologiques (comme les Aoifar, des "lions-centaures" comme les Wemics de D&D ou bien les Hippogriffes non-intelligents, tant honnis par les Griffons car ils furent conçus par hybridation avec des chevaux). Cela devrait permettre au MJ de mettre n'importe quoi dans la région.

L'espèce locale la plus agressive et clairement maléfique n'est pour une fois pas composée de goblinoïdes (qui au contraire arrivent avec les réfugiés, les Gryx, des orcs nomades injustement discriminés) mais d'Elfes déchus et mutants, frappés d'une malédiction lors du cataclysme qui créa la Dévastation, lorsqu'ils tentèrent de changer leur nature pour devenir des Anges. On les reconnaît à leurs petites et sombres ailes vestigiales dans le dos, ils ont perdu la raison depuis ce désastre.

L'autre menace, plus lointaine, est la Dragonne Moril, qui dort depuis l'antiquité mais qui est encore adorée clandestinement par certains Hommes-lézards. Les Griffons se souviennent encore des guerres antiques entre leurs ancêtres, les Grandes Bêtes, et les enfants de Moril.


Alors quels sont les problèmes qui peuvent décevoir après ce point de départ optimiste et assez rafraîchissant ?

La religion
Les auteurs d'ICE ont certes au moins eu la bonne idée de distinguer différentes formes de religion pour les divers peuples mais cela reste succinct et assez cliché.

Les Humains civilisés ont un petit panthéon d'une poignée de dieux (Memra le Soleil, Miah-Sha la Sage et la Féconde, Nirgal le Commerçant, Samia l'Amour). Les Humains nordiques ont quelques divinités directement inspirés d'Aesirs germaniques / baltes (Perkuna dieu du tonnerre, Niamh, déesse de la fécondité, Vella déesse des runes, Y'gin le Trickster) mais ils ont fait le choix étrange d'appeler seidhr toute la magie cléricale (alors que dans les mythes scandinaves, le seidhr est la sorcellerie inquiétante liée à la fécondité et aux Vanir).

Les Elfes sylvestres adoraient des Arbres anciens (Dairda le Chêne de la Sagesse, Beith le Bouleau de la Mort...) alors que les Hauts-Elfes adorent leurs propres ancêtres. Les Nains adorent la déesse maternelle Vassila mais aussi le dieu humain Nirgal sous un autre nom comme dieu de la forge. Les Griffons adorent des divinités fondées sur les Yazatas persans (et ce sont sans doute eux qui ont choisi le nom du monde, Mithra).  Les Hommes-Lézards suivent les Sept Sages (sans doute plus inspirés de l'Ogdoade de Hermopolis que des sept sages grecs) qui auraient fondé leur culture et qui semblent plus fondés sur des modèles mésopotamiens et égyptiens (Anu l'Instructeur, Turan l'Artisan, Naunet la féconde, Neith la Magicienne, Dania l'Artiste, Menhit le Juge et Kami la Guérisseuse).

Il n'y a pas de vraie mythologie. Comme dans Shadow World, les intrigues vont dépendre des conflits historiques entre grands sorciers. Et comme souvent dans les jeux de rôle, la religion n'est donc qu'une liste de quelques classes ou organisations de religieux. Il y a d'ailleurs ici un détail de règles qui distinguait Rolemaster de HARP. Dans le premier, il y avait une différence ontologique entre la Magie "religieuse" (dite "Channeling") et la Magie "profane" (des Essences), ce qui faisait que certains types de sorts dépendaient nécessairement d'une source "divine". Dans HARP, cette différence n'est pas inscrite dans les règles et les Dieux ont une fonction qui peut être aussi plus accessoire.

Les secrets d'exploration
Le livre Cyradon (184 pages) avait le grand avantage de bien situer les différents lieux du continent en répétant à chaque fois des extraits de la Carte. Mais les rares secrets du cadre (que j'ai en fait déjà divulgués) risquent de ne pas passionner les joueurs, comme le détail historique sur le fait que le Voile protecteur de Cyradon, qui vient de se dissiper soudainement, était devenu contre-productif.

Hormis l'idée de départ des réfugiés, la faune (non-terrienne) et un cadre où les Humains sont absents, on se retrouve donc avec un monde relativement banal.

Le fait que le territoire des réfugiés soit un champ de ruines abandonnées fait qu'il n'y a finalement que peu de conflits : personne ne veut leur reprendre ce sol maudit, même si certains se méfient d'eux. A l'inverse, le fait que la malédiction de la Dévastation commence enfin un peu à reculer est aussi pris comme de bonne augure depuis leur arrivée. On n'est pas dans un scénario de conquête mais bien d'une intégration de ces quelques milliers d'individus d'espèces et de cultures différentes dans la cité qui se trouve de toute façon vide.

Les adversaires risquent d'être soit les Elfes déchus (qui sont déjà les ennemis de tous) soit certaines factions impérialistes dans les Elfes ou certains des Hommes-Lézards qui vouent un culte pour le retour de la Dragonne Moril, qui tenta de conquérir le continent. La Forêt d'Ischea au nord-est est peuplée de cauchemars d'un dieu griffon devenu fou.

Une autre des intrigues est le retour des Anciens, les ancêtres divins de tous les peuples et les premiers constructeurs de la Cité de Belynar, mais comme leurs intentions ont l'air tout à fait pacifiques (ils cherchent avant tout à guérir leur Cité pour y retrouver les sources magiques), cela ne risque pas de créer beaucoup de conflits.

Il ne semble pas du tout prévu que les réfugiés tentent de repartir vers leur pays d'origine pour reprendre la guerre contre ceux qui les persécutés. Il est clairement supposé que les réfugiés vont tenter de refaire une vie nouvelle.

C'est donc finalement une certaine déception dans ce manque de révélations. Le MJ aura à faire son travail lui-même s'il veut créer un émerveillement ou un étonnement dans l'exploration.

J'imagine qu'on pourrait aussi surprendre en ajoutant des factions plus ambiguës parmi les réfugiés eux-mêmes. Il n'y a aucune dimension politique dans l'intrigue car il n'y avait pas encore eu de descriptions de PNJ. Le maire est cet officier humain, Grayson (qui dirigeait l'insurrection contre la théocratie dans leur continent d'origine), mais les autres Conseillers devront être créés pour ajouter un peu de tension.

Les mondes tirés de romans ont le défaut d'être centrés sur une seule Quête et pour l'instant, il semble qu'il en allait de même pour le Monde des Griffons : le but donné dans le supplément était de rassembler les Larmes de vie pour guérir la terre aux alentours (et régénérer le Nexus magique qui se trouve sous Belynar). Ma lecture n'a peut-être pas été assez approfondie mais je n'ai pas vu beaucoup d'autres pistes pour une campagne. En revanche, pour les amateurs de Donjons, ce prétexte peut servir à bien des reptations dans des couloirs (il y a même une Mine naine abandonnée, la Flamme Noire, plus au nord que les réfugiés nains voudront rouvrir)...

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