Le nouveau programme du baccalauréat propose en spécialité Humanités, Lettres & Philosophie un thème sur les limites de l'humain et la post-humanité. Le ministère a proposé un corpus bibliographique sur ce thème, dont Le cimetière marin de Paul Valéry.
Or, je ne vois guère de rapport avec la post-humanité ou la technique. Il y a toujours plusieurs niveaux, certes, chez Valéry, mais en gros, cela semble être un assez standard contexte du symbolisme de Nietzsche ou d'Oscar Wilde (Ne te soucie pas de l'au-delà, d'une immortalité imaginaire ou du temps qui passe et apprends à vivre ici-bas dans ce corps). Le fameux vent qui se lève s'oppose aux eaux mortes qui reflètent des cieux sans Dieu(x).
Certes, il y a bien l'exergue du poème, l'extrait de Pindare, Pythiques III, qui dit "Cesse, ma chère âme de te soucier de vie immortelle // mais épuise toute machination (ou ruse) possible", sers-toi de tous les outils pratiquables, et il dit ensuite qu'il souhaiterait que son art soit comme un philtre ou un remède tiré ("épuisé") de la Fontaine d'Aréthuse pour soulager les douleurs semblables aux flèches et au poison de l'hydre qui torture le Héros avant son apothéose, thèmes qu'on retrouvera dans le poème de Valéry et dans La jeune Parque).
Le sens chez Pindare paraît un mélange de piété olympienne contre la démesure (ne te prends pas pour un dieu) et d'un reste d'effroi prométhéen sur la puissance de l'art (sans doute comme dans le choeur d'Antigone de Sophocle dont Heidegger nous a tant rebattu les oreilles sur l'Homme terrible ; vers 335sqq τοῦτο καὶ πολιοῦ πέραν πόντου χειμερίῳ νότῳ...).
Les derniers vers du poème de Valéry ("Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies // Ce toit tranquille où picoraient des focs !") font d'ailleurs plus penser à une sorte d'inversion du choeur semi-triomphant, semi-effrayé de Sophocle sur l'exploration des mers où l'Homme formidable a dompté les flots par ses voiles.
Le choeur cite d'ailleurs aussi une autre idée proche de celle de Pindare sur la puissance de l'art médical contre la mort et la panacée de Chiron : Ἅιδα μόνον φεῦξιν οὐκ ἐπάξεται· // νόσων δ᾽ ἀμηχάνων φυγὰς ξυμπέφρασται. "Il n'y a que le seul Hadès auquel il [L'Homme] ne puisse échapper // mais il a trouvé des moyens d'échapper aux maladies qui résistaient à toute machination").
Mais je continue à être perplexe. Pourquoi le Ministère a-t-il mis Le cimetière marin de Valéry si ce n'est que l'exergue de Pindare (+ Sophocle) qui est pertinente ? Ou alors est-ce parce que Valéry parle de ce corps-ci (et non d'un corps glorieux amélioré ?). Mais Valéry oppose ce corps au fantasme dualiste et pas au fantasme technique d'un cyborg. La méditation sur la technique paraît peu présente par rapport au thème plus abstrait sur le temps et le sens de la vie dans la finitude.
En passant, Pindare est décidément bien au coeur de ce programme qui commence par "Devenir soi-même" comme dans le célèbre passage de la seconde Ode Pythique (II, 131, vers 72, "Deviens semblable à ce que tu as appris à être").
J'ai tenté de m'appuyer sur la bibliographie indicative pour élaborer mon cours et j'ai partagé votre perplexité devant la mention de ce texte de Valéry.
RépondreSupprimerLes limites du programme sont assez nébuleuses - on a l'habitude en philo -. Pour ma part ce sont les "expressions de la sensibilité" qui m'ont le plus embarrassé.
De surcroît il y a des effets empiétements sur les programmes de philo tronc commun. Comme nous avons en "spé" des élèves que nous n'avons pas en tronc commun, cela force à une coordination non seulement avec les collègues de lettres qui enseignent la spé mais aussi avec les collègues de philo.
Oui, même problème : j'ai traité la Philo de l'esprit en tronc commun pour aider mon groupe sur les métamorphoses du moi, mais mes collègues ont fait de la Politique. Je ne vois pas comment éviter des redites sur le Langage (notamment comme j'ai insisté sur Bergson).
RépondreSupprimerJ'avais beaucoup apprécié les passages que vous citiez de Wilhelm Meister comme j'ai aussi fait quelques cours à partir du roman de formation (mais à partir de Hegel plus que de Goethe).