J'avais envie d'écrire une recension plutôt positive de l'épais livre de Pierre Charbonnier, Abondance et Liberté, qui pose une question importante quand on veut lire certains libéraux comme Locke, le lien entre les conceptions de la liberté politique et des réalités occultées sur la possession des terres et les conceptions de la nature. En gros, Charbonnier dit que le productivisme a lié depuis trois cents ans l'idée d'expansion de notre liberté d'agir et la croissance de la production (liberté comme capacité d'atteindre l'autosuffisance) mais que cela conduit à une tension où on craint maintenant de perdre sa liberté en critiquant la croissance. Il propose de découpler l'autonomie-comme-extraction de la nature et une conception plus positive de l'autonomie. Charbonnier veut décarboner la philosophie de ses présupposés matériels impensés et pas seulement décarboner l'industrie (oui, je n'écris cela que pour caser ce jeu de mots vaseux).
En passant (et sans vouloir trop me concentrer sur la partie la moins "matérielle" ou la plus "abstraite" dans les grands récits d'histoire de la philosophie), il fait une remarque métaphysique contre une lecture arendtienne du concept de "production" et des conditions. Arendt, en bonne aristotélicienne, oppose sans cesse dans La condition de l'homme moderne la Praxis politique (qui crée la liberté entre les hommes) à la Poiesis technique (qui arrange le monde durable et habitable, l'oikia, alors que le Labeur, lui, consume et consomme l'hulè dans le cycle naturel). Charbonnier dit au contraire que le privilège de la Poiésis technique et artistique a consisté à nier le plus possible la dépendance vis-à-vis de la nature dès le cadre aristotélicien (la nature ne fournit que de la matière potentielle et c'est l'activité qui impose une forme).
Mais cette recension par le philosophe Aurélien Berlan accuse le livre d'être trop peu "décroissant" alors que Berlan défend des formes d'autoconstitution de sujets plus radicaux. Comme Baptiste Morizot, il accuse le livre d'être plus socialiste "renouvelable" (donc capitaliste greenwashant) qu'écologiste politique, et il dit donc en sous-entendu que ce ne serait que du crypto-néo-libéralisme. Je ne sais pas si je convaincu par tout le zadisme de Berlan (éloge d'un ascétisme extramondain de frugalité et sobriété) mais son argument contre les ambiguïtés du concept d'autonomie me paraît être un problème ouvert dans le livre. Il l'accuse aussi d'avoir refoulé des auteurs peu "académiques" mais les exemples qu'il cite (Castoriadis) ne me semblent pas si marginaux que cela.
Add. (7/11)
P. Charbonnier vient de répondre à la recension d'Aurélien Berlan.
Pour sûr, sa pensée divise :
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