mercredi 12 mai 2021

Les solutions prématurées

 

Joli texte lucide de Bouveresse sur l'enseignement de la philosophie en Terminale : 

Autant cet enseignement dispensé à tous les élèves en terminale me paraît nécessaire, autant je me dis qu’il y aurait un sérieux travail d’adaptation à faire. Si je devais enseigner la philo à ce niveau, je ne sais pas comment je m’y prendrais. Le problème est que les attentes des jeunes gens à cet âge-là, et les solutions que l’on est en mesure de leur apporter ne correspondent pas forcément les unes aux autres. Je cite assez souvent la formule d’un logicien d’origine autrichienne, Georges Kreisel: « La philosophie, c’est l’art de venir à bout des questions à un moment où les questionneurs ne sont pas mûrs pour les réponses ».

 

J’ai, en effet, souvent eu l’impression que des réponses que je considère comme parfaitement raisonnables aujourd’hui seraient vraisemblablement tout à fait inacceptables et même probablement scandaleuses pour des élèves de terminale, parce qu’ils attendent autre chose. Ils veulent des réponses directes aux grandes questions concernant le sens de la vie. Si on leur dit : « Non, non, on ne peut pas s’attaquer à la question ainsi. Il faut d’abord faire un travail préalable de déblaiement, ce que Paul Valéry appelait le grand nettoyage de la situation verbale », ils risquent de ne pas comprendre. Commencer par s’interroger sur le sens même de la question, sur ce que l’on est en train de dire, et qui en fin de compte n’a peut-être pas de sens est une ascèse très difficile à faire accepter par des jeunes de cet âge.

 

Est-ce que la formation des professeurs de philosophie leur permet de faire face à ces difficultés ? Je n’en suis pas sûr. Mais je n’ai pas de solution réelle à proposer. Je souhaiterais seulement que l’on réfléchisse de manière sérieuse à la formation des enseignants, à ce qu’elle devrait être pour que l’enseignement de la philosophie réponde à ce qu’on est en droit d’attendre de lui aujourd’hui. Je suis allé une fois dans un collège de Besançon où l’on m’avait demandé de faire un exposé et de répondre à des questions sur « Qu’est-ce que le bonheur ? ». J’ai trouvé cela horriblement difficile. Je dis toujours que j’ai trouvé cette expérience plus difficile que de faire un cours au Collège de France. Ce n’est pas forcément l’agrégation de philosophie qui prépare le mieux à ce genre de choses, Ce sont peut-être davantage des qualités comme la sensibilité, l’imagination, le goût du concret et des détails, etc..

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