L'Oracle, anthologie de bandes dessinées sur la mythologie grecque a été créée sous la direction éditoriale de JL Istin chez Soleil en 2014, avec des équipes d'auteurs différents à chaque fois. Tous les héros (du moins dans ces 5 premiers volumes) sont des créations originales des scénaristes dans le style des mythes, avec parfois des interférences d'autres mythes déjà connus. Le ton est sinistre et violent, avec des Olympiens plus immondes les uns que les autres. Le thème principal est "prométhéen", le ressentiment ou la Némésis des mortels contre les Dieux cruels et inconstants alors que les mythes grecs déplorent plus l'hubris des mortels que l'indifférence des Olympiens. Des productions hollywoodiennes récentes (comme le mauvais remake de Clash of Titans ou sa suite Wrath of the Titans, 2012) se fondent souvent aussi sur cette idée d'une guerre des humains contre le divin.
L'intrigue au fil des albums suit un aède aveugle au pouvoir oraculaire qui raconte les différentes histoires à un jeune aède qui est devenu son disciple, Homère. Homère est enfant dans le tome 1 et vieillit à chaque fois avant de devenir assez âgé au tome 5.
Tome 1 (Olivier Peru, Stefano Martino) La Pythie
La Pythie Aspasia est violée par Apollon et part en guerre pour se venger du dieu en manipulant ses prédictions. Athéna, qui cherche à discréditer Apollon auprès de son père, semble soutenir la Pythie
Tome 2 (Ronan Le Breton, Bertrand Benoît) L'Esclave
Akilon est un fils adultérin de Zeus et d'une Reine thrace. Abandonné par le mari de sa mère, il est réduit en esclavage par les Argiens et jure de se venger de Zeus pour sa destinée. Devenu le maître de pancrace de Balerios, prince d'Argos, en préparation des Jeux Olympiques, il est aussi l'amant de Perséphone et a pris à Héra un Masque qui lui permet de changer de forme.
Je n'ai pas tellement aimé tous ces combats sanglants parce que j'ai du mal à suivre l'idée qu'un mortel puisse tuer Zeus aussi facilement et se faire ressusciter de l'Hadès aussi simplement. Héra y semble plus aimante que que dans le tome 5.
Tome 3 (Nicolas Jarry, Gwendal Lemercier) Le Petit Roi
Léandre est le Roi héritier de la petite île de Seriphos. Il est partagé entre son devoir social de protéger son île et son désir personnel d'abdiquer et de devenir un sculpteur qui réussirait à représenter le divin Zeus dans la matière inerte. Le ton de cet album est plus mélancolique et moins gore que les autres, avec des allusions claires aux Dialogues Méliens où Athènes opprime la petite Mélos en disant qu'il n'y a que des rapports de force dans la réalité politique.
Mais s'il est moins cliché que les précédents (pas de vengeance, donc moins de mélodrame), il a une structure narrative plus répétitive dans son hésitation entre plusieurs thèmes (Autarcie ou Interdépendance, l'Art ou la Vie). Je ne suis pas certain que la conclusion soit si grecque (ou du moins peut-être pas très nietzschéenne en tout cas). Zeus (dont on nous dit qu'il n'est qu'un reflet de ses adorateurs) y est pour une fois moins antipathique aussi que dans les autres tomes.
Tome 4 (Patrice Lesparre, Nicolas Demare) Le Malformé
Cela ressemble à une histoire de vengeance comme le tome 1 mais c'est plus une tragédie sur l'amour. Melos est un bel amant d'Aphrodite mais Apollon (décidément l'antagoniste dans cette série) se venge en le transformant en un être difforme rejeté de tous, un φαρμακός. Devenu monstrueux pour les yeux et sans espoir de plaire à la Déesse de la Beauté, Melos rejoint le cortège des Satyres et des Ménades de Dionysos et il devient le plus grand artiste des plaisirs de la saveur, le meilleur de tous les cuisinier pour récupérer la faveur d'Aphrodite malgré sa laideur repoussante. Mais l'hubris ne le quitte pas et on va finir par perdre notre pitié pour ce Bouc-émissaire de la tragédie...
Trigger Warning : viol, cannibalisme... Je me demande si le côté très sensuel de cet épisode doit quelque chose au Parfum de Süskind car Melos évoque un peu Jean-Baptiste Grenouille avec le goût à la place de l'odorat. Lesparre est un ami de Peru et ce volume peut être vu comme symétrique du 1.
Tome 5 (Stéphane Betbeder, Erwan Seure-Le Bihan) La Veuve
Zeus a abusé de Galatée, poursuivie par le cyclope Polyphème, et Poséidon a englouti sa Cité, sous les ordres de son frère, pour qu'Héra ne soit pas au courant de ce nouvel adultère. La veuve Cydippé, esclave affranchie et dernière survivante du cataclysme, menace de tout révéler si Zeus ne l'aide pas à récupérer toute sa famille dans l'Hadès. Cydippé accomplit avec Polyphème une Katabasis (une Descente aux Enfers) jusqu'aux Champs Elysées où vit Achille et jusqu'au Tartare. En passant, on croise une "Sémélé" qui n'a pas jamais été ressuscitée par Dionysos. Zeus apparaît encore plus odieux et manipulateur et c'est encore plus grim & daaark que les histoires déjà assez gore auparavant.
La veuve Cydippé, nouvelle Psyché aux Enfers, doit être l'héroïne la plus accomplie de ces 5 volumes (Léandre échoue, Aspasia, Akilon ou Melos sont antipathiques) mais elle est un peu trop parfaite (en dehors de certains de ses choix amoraux où la famille doit compter plus que tout engagement). Ce doit être mon album favori dans les 5 premiers avec le 3 et le 4 derrière (mais il est rare que je n'aime pas une bonne Katabasis). Seul le 3 a un peu de lumière apollinienne et une représentation plus nuancée du divin.
C'est dans ce volume que l'Oracle, narrateur des 5 premiers volumes, ravagé par la lèpre, meurt et que Homère perd la vue.
Est-ce que tu as lu les romans de Madeline Miller ? Ils ne se placent pas exactement dans la perspective d'une guerre des humains contre le divin, mais les dieux n'en sortent pas grandis non plus...
RépondreSupprimerNon, je ne connais pas.
RépondreSupprimerDans un genre ironique proche où Apollon est avant tout réduit à un violeur narcissique, il y avait The Just City, le roman de Jo Walton où Athéna s'amuse à organiser dans la réalité la République de Platon avec des Platoniciens venus d'époques différentes mais où le vrai Socrate commence à poser des questions qui dérangent dans la Cité Parfaite.