jeudi 13 janvier 2022

Mythe vs Fantastique

L'épopée mythique présupposait un mythe que connaissait déjà l'auditeur. Elle n'avait pas à faire de l'exposition didactique ou jouer sur l'intrigue et reposait donc sur la mise en forme d'une intrigue déjà connue. Le plaisir était très différent puisqu'on n'attendait pas une chute, une intensité de la surprise mais tout au plus des décalages dans les refrains. 

Le goût moderne pour la construction complexe des intrigues va donc avec une moindre importance de la forme. Le roman en prose est plus du côté de l'histoire que du formalisme. 

Les critiques de l'Antiquité vantaient les poètes épiques qui ne se prenaient pas pour des historiens exposant les origines et qui choisissaient des fragments du mythe à dramatiser : Homère contre Stasinos de Chypre, Arctinos de Milet ou Lesches de Lesbos (mais le chant II de l'Iliade avec le Catalogue des Vaisseaux ou des passages aux Enfers avec la Nekuia du chant XI de l'Odyssée ont déjà une fonction de liste érudite). Les poètes du cycle épique commençaient, avant ou après Hésiode, à transformer le mythe en une mythologie à organiser et donc à l'historiciser. Homère est dans une scène dramatique, dans une unité in medias res alors que la mythologie au contraire va devenir une longue frise chronologique et généalogique pour rationaliser ses contradictions. 

L'épopée fantastique contemporaine est le contraire de l'épopée mythique car elle doit nécessairement présenter et exposer un univers et mythe original qu'elle ne présuppose pas avec les lecteurs (sauf dans certains cas particuliers comme la réutilisation décalée de la Matière de Bretagne). C'est le roman historique qui lui sert plus de modèle que la poésie. 

Cela doit donc aussi atténuer les effets formels et constituer de faux apparats critiques plus prosaïques, des notes, des appendices, un ensemble non-linéaire autour de l'intrigue. On est passé de la poésie à la philologie. Borges est un poète mais pas un romancier, il reconnaît souvent résorber toute intrigue en un résumé philologique ou dans le commentaire. A l'inverse, Nabokov est un poète qui parodie les notes universitaires pour en tirer des effets poétiques et ironiques. 

Même le comic book se sert de paratexte comme les notes de bas de page ou des compilations encyclopédiques pour s'y retrouver dans les labyrinthes de leurs références fictives, mais il faut dire qu'ils le font moins depuis qu'ils présupposent que le lecteur pourra retrouver ces informations par lui-même hors du texte, sur Internet. Les notes des éditeurs ont disparu comme les Bulles de Pensée jugées trop peu cinématographiques, parce que la règle behavioriste de la narration anglosaxonne est Show, Don't Tell. En ce sens, le fait que les notes d'exposition soient exclues du récit redonne une idée d'un mythe plus ample présupposé par l'auteur et ses lecteurs. 

Add. 

En y réfléchissant le lendemain, je dois retirer une part de l'argument. La tension entre formalisme et exposition ne tient pas. La poésie est de la mémorisation et les Anciens lui donnaient aussi une fonction didactique. Les épopées poétiques comme l'Iliade ont une relative unité dramatique en quelques jours mais une épopée bien plus énorme comme le Mahabharata au contraire a une fonction encyclopédique sur des générations, comme si Hésiode et tous les poètes du cycle épique avaient fusionné leurs oeuvres. On attribue déjà à Hésiode le poème en grande partie perdu Catalogue des Femmes en une suite généalogique de la Théogonie qui n'a plus rien de l'unité d'intrigue de Homère. 

Mais à l'inverse, il y a des styles poétiques qui aiment mémoriser des éléments allusifs sans du tout les expliciter. Les poèmes gallois courts sont des listes si obscures qu'on ne les comprend plus. L'Edda en prose de Snorri est une suite d'annotations pour comprendre les allusions des Eddas poétiques. 

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