lundi 5 juin 2023

Edge of Chaos 1-3 (1983-1984)

Gray Morrow (1934-2001) était un dessinateur avec une carrière variée qui fit aussi bien depuis 1959 des couvertures de romans de SF (il a gagné 3 Hugo comme artiste 3 ans de suite en 66-68), des adaptations de classiques littéraires, des reprises de comic strips (de Tarzan, Flash Gordon ou Buck Rogers à Prince Valiant - il a même fait un strip adaptant Sword of Shannara dès 78 !), des comics mainstream chez DC et Marvel, de l'horreur en N&B, de la bd érotique (chez Playboy ou Penthouse), du dessin animé avec Bakshi, des travaux indépendants pour adultes comme witzend avec Wally Wood ou chez Heavy Metal (1978-1982). 

Il s'est suicidé (comme son ami Wally Wood vingt ans avant), par arme à feu à 67 ans quand les tremblements de ses mains causés par la maladie de Parkinson l'empêchèrent de continuer à dessiner. 

Dans Heavy Metal, Morrow écrivait et dessinait lui-même les aventures d'un héros avec un court bouc noir (un mélange de l'auteur et d'Errol Flynn), nommé Orion (il en avait créé les bases dès une courte histoire dans witzend). C'était une bd de sword & sorcery (avec des influences du Warlord de Mike Grell de 1975, des innombrables John Carter, des comics de blackploitation et de kung fu des années 70). L'heroic fantasy n'a jamais été un genre aussi populaire dans les comics que dans les romans mais c'était assez important dans la bd indépendante. Morrow mit plusieurs années (entre des boulots mieux rémunérés) pour finir sa série en 60 pages sur Orion. Son héros spadassin flamboyant doit affronter plusieurs sorciers qui veulent lui prendre son épée magique nommée Thorbolt, qui est aussi la clef pour ouvrir les 7 portails. 

Après la conclusion difficile d'Orion, Gray Morrow propose en 1983 Edge of Chaos chez Pacific Comics (qui avait le grand avantage de laisser les droits aux créateurs). L'auteur complet y fait tout, le scénario, le dessin, l'encrage, le coloriage. Hélas, le style ne reste pas très consistant en partie pour des raisons techniques (chacun des trois numéros est imprimé sur des papiers distincts) et Morrow semble se désintéresser du 3e numéro. 

L'aventurier Eric Cleese, le héros de Edge of Chaos au nom si curieusement MontyPythonesque, ressemble un peu à cet Orion au point que j'ai d'abord cru à une sorte de suite non-officielle chez un autre éditeur et sous un nouveau nom. Mais son apparence tient cette fois plus de Steve Reeves en Hercule que d'Errol Flynn (Eric-Cleese est censé être l'inspirateur futur du mythe d'Héra-clès). Cleese tombe amoureux de la déesse Diana, comme le personnage mythologique du géant Orion. Peut-être y a-t-il aussi chez Morrow un vague hommage aux jeux mythologiques à la Von Däniken de Jack Kirby dix ans avant. Et comme chez Wally Wood, les femmes ont tendance à perdre vite leurs vêtements. 

Dans Edge of Chaos, les Dieux grecs (mais peut-être aussi d'autres panthéons, on voit passer un Anubis) sont des extraterrestres tombés sur Terre dans la Haute Antiquité (sur "Atlantis"). Ils se sont séparés en plusieurs groupes : le capitaine Zeus veut rétablir le contact avec leur planète d'origine et ceux-ci exigent que les Olympiens mettent fin à leurs interférences nombreuses sur l'Humanité et qu'ils réparent les modifications qu'ils ont causées. Moloch au contraire, qui cherche vainement à ressusciter sa femme Althéa, a formé de nombreux mutants et des disciples sorciers sur cette terre d'Atlantis. Moloch est en guerre ouverte contre Zeus mais aussi contre Orcus, le maître des Morts et amant éconduit d'Althéa qui n'a fourni à Moloch que des androïdes pour remplacer la défunte et qui refuse de la faire revivre. 

Zeus veut lutter contre Moloch sans intervenir directement (en partie parce que tous ses agents ont déjà échoué). Il déclenche un paradoxe temporel en faisant venir un Humain, Eric Cleese, et en lui donnant une superforce et quasi-invulnérabilité. Cleese ne sera aidé au début que de Deona la Chasseresse, qui partage ses sentiments. La mythologie grecque n'est guère qu'une vague toile de fond comme ce monde est une superposition de clichés de fantasy. Atlantis est pleine d'innombrables espèces de mutants et hybrides, bêtes intelligentes, centaures, satyres, dryades, elfes, gnomes. 



Une des meilleures idées est que Cleese a vite deux acolytes d'espèces différentes, Slag un Néanderthalien stoïque et Flan, un Mandrill hyperloquace qui évoquerait plus des picaros de Jack Vance par son style volubile. Ce fripon alcoolique de Flan risque un peu de voler la vedette à Cleese, qui reste assez plat malgré ses tentatives d'humour. 

Cleese les aide contre la Sorcière Circé ("Zersa Hill-Hag"), disciple de Moloch, et celle-ci tente de le tuer avec l'aide d'un Cyclope puis avec une Tunique de Nessus, une sorte de peau-vampire. Ce mélange des mythes d'Ulysse et Héraclès est assez réussi (et Circé semble aussi absorber le personnage d'Athéna comme elle a une chouette robotique, comme dans Clash of Titans).  

Hélas, la fin devient bâclée. Orcus lance ses légions de morts-vivants contre son rival Moloch. Circé se transforme pour faire croire qu'elle est Althéa ressuscitée, pour mieux assassiner son ancien maître Moloch. Celui-ci veut déclencher un cataclysme pour détruire Atlantis et la fin est une reprise directe des théories fumeuses vélikovskyennes : la catastrophe crée à la fois la Lune (Diana) et la planète Vénus (Zeus décide de la nommer ainsi à cause du triangle amoureux entre Orcus, Moloch et Althea). Les Olympiens survivants décident de repartir de la Terre (y compris Deona) et Zeus propose à Cleese de le ramener à son époque, mais Eric Cleese annonce qu'il va rester vivre dans ce monde antédiluvien, ce qui suggère que Morrow n'aurait peut-être pas renoncé à le réutiliser un jour. 

Malgré la fin décevante et les problèmes d'impression des couleurs, ce comic avait le mérite de laisser Morrow se défouler et quelques cases suggèrent ce qu'il aurait pu faire dans un cadre avec plus de temps pour dessiner. 

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