Il est difficile d'imaginer la politique israélienne comme nous n'entendons le plus souvent parler que des enjeux internationaux de sécurité et nettement moins de tous les aspects sociaux internes (et notamment des questions religieuses internes concernant le poids des Partis religieux Shas, sépharade, et Parti de la Torah, ashkénaze). Je voulais revoir la chronologie des 30 ans depuis l'échec du "processus de paix de Clinton" pour comprendre le déclin de la gauche et la droitisation de la politique israélienne (malgré la stabilité globale du score du seul Likud à 25%). On est passé d'un Parti travailliste dominant au début de l'histoire d'Israël à la situation où ce sont les coalitions entre les différentes parties de la droite qui sont devenues décisives et où les Travaillistes et le Meretz deviennent des partis symboliques qui ne servent plus tout au plus que d'appoint. Pendant cette période du long échec d'Oslo, Netanyahu est devenu le Premier ministre le plus durable de toute l'histoire d'Israël même si les coalitions sont devenues de plus en plus instables depuis la crise parlementaire de 2019 (avec 4 élections législatives en 3 ans).
On va observer cette baisse de la gauche israélienne au fil des élections surtout depuis 2015-2019. Le Meretz était le Parti israélien représentant un espoir d'une paix juste avec reconnaissance d'un Etat palestinien mais cet espoir est enterré depuis l'échec du processus d'Oslo et la Seconde Intifada : Israël est assez puissante militairement pour rester dans ce cycle de radicalisation constante de la population des Territoires palestiniens et d'insécurité totale pour la population israélienne.
13e Knesset (1992)
Yitzhak Rabin (HaAvoda, parti travailliste) gagne les élections avec 35% des voix (le Meretz plus à gauche était encore à près de 10% à cette époque). Le Likud n'a que 25%, les trois partis juifs religieux Shas-Mafdal-Torah sont à 13% au total. Rabin signe les accords avec l'OLP en 1995 et est assassiné. Qui aurait pu penser à l'époque à quel point cet assassinat serait un tournant et une réussite pour la faction qui soutenait ce revirement. Pour aller plus vite, je n'indique pas les scores des "partis arabes" ou d'extrême gauche qui sont très marginaux dans la Knesset comme ils n'entraient pas dans de grandes coalition avant 2015.
14e Knesset (1996)
Benjamin Netanyahu (Likud) devient Premier ministre pour la première fois, il bat de justesse les Travaillistes dans sa coalition (27% pour les Travaillistes, 25% pour le Likud, 7% pour le Meretz, 20% pour les trois partis religieux, 5% pour un parti des Juifs russes qui finira par rejoindre le Likud).
15e Knesset (1999)
Ehud Barak (coalition de Travaillistes et d'ex-Likudniks acceptant le processus de paix) gagne. Les partis deviennent plus dispersés : Barak n'a que 20%, le Likud de Netanyahu s'effondre à 14%, les trois partis religieux restent stables à 21%, la gauche Meretz 7%, le centre-droit libéral laïc du Shinui 5%, un autre parti "centriste" 5%, l'extrême droite de Yisrael Beteinu est à 2,6%. La Seconde Intifada commence en 2002. La situation va conduire à un déclin général de la gauche israélienne.
16e Knesset (2003)
Ariel Sharon (Likud) revient au pouvoir et écrase la gauche. Le Likud est à 29%, HaAvoda tombe à 14%, le centre-droit libéral laïc du Shinui grimpe à 12% (notamment parce que la Knesset paraissait avantager les juifs orthodoxes en maintenant leur droit de ne pas faire leur service) les 3 partis religieux à 17%, l'extrême droite "russe" de Lieberman à 5%, le Meretz à 5% aussi. Le Likud va finir par se diviser entre une aile pro-Sharon qui accepte certaines négociations et le parti de Netanyahu. Mais Sharon est discrédité par plusieurs affaires et sera dans le coma de 2006 à a mort en 2014.
17e Knesset (2006)
Ehud Olmert dirige le nouveau parti Kadima, coalition de la droite pro-Sharon et de diverses factions contre le Likud de Netanyahu qui défend encore moins de concession aux Palestiniens. Kadima a 22%, HaAvoda d'Amir Peretz 15%, le Likud de Netanyahu à 9%, Yisrael Beteinu à 9%, les partis juifs religieux à 13%, le Parti des retraités à 6%, le Meretz à 4%. Après Olmert, Tzipi Livni échoue à maintenir une alliance entre son parti Kadima, les Travaillistes et les autres partis.
18e Knesset (2009)
Netanyahu (Likud) revient au pouvoir et bat le Kadima de Livni même si les deux partis sont à égalité à 22%. L'extrême droite Yisrael Beteinu de Lieberman est montée à 12%, HaAvoda d'Ehud Barak tombe à 10%, les partis juifs religieux à 13%, le Meretz à moins de 3%, tombant derrière des partis arabes. Netanyahu fait sa coalition aussi avec les Travaillistes mais il va faire beaucoup de cadeaux aux partis religieux et à l'extrême droite.
19e Knesset (2013)
Netanyahu (Likud) gagne une seconde fois en coalition avec Yisrael Beteinu (23%). Yesh Atid (qui semble en gros l'héritier de l'ancien Shinui de droite libérale mais laïque) est à 14%, HaAvoda stable à 11%, le Foyer Juif (extrême droite) monte à 9%, les partis religieux à 14%, Tzipi Livni revient avec un mouvement de droite modérée héritière de Kadima 5% (alors que Kadima disparaît à 2%), le Meretz remonte un peu la pente à 4,5%.
20e Knesset (2015)
Netanyahu gagne une troisième fois mais c'est plus fragile. Son Likud est à 23%, associé aux deux partis juifs religieux Shas et Torah Uni 10%, le centre-droite 7%, le Foyer Juif 7% (Yisrael Beteinu de Lieberman retombe à 5%). Le Parti travailliste avait tenté une grande coalition avec le mouvement de Tzipi Livni et n'a que 19% et son déclin va s'accélérer après cet échec. Les Partis arabes et l'extrême gauche forment une grande liste qui atteint 10%. Yesh Atid (centre-droit laïc) est à 9%, le Meretz stagne à 4%. Netanyahu est poursuivi pour corruption et sa coalition va se désintégrer (en partie sur la question du service national des juifs orthodoxes).
21e Knesset (AVRIL 2019)
Likud 26%, Coalition centre-droite anti-Netanyahu ("Bleu & Blanc") 26%, Juifs religieux 11%, HaAvoda 5% (ouch), Partis arabes + extrême gauche 5%, Yisrael Beteinu 4%, Meretz 3,5%. Netanyahu échoue à garder un gouvernement stable et pour empêcher la coalition contre lui, appelle déjà de nouvelles élections législatives 4 mois après.
22e Knesset (SEPTEMBRE 2019)
Coalition centre-droite 26%, Likud 25%, Partis religieux 13%, la Liste des partis arabes 10%, Yisrael Beteinu 7%, Autre extrême droite 6%, HaAvoda 5%, Meretz (allié à d'autres partis de gauche) 4%. La situation reste instable entre le Likud de Netanyahu et ses rivaux du centre-droite.
23e Knesset (MARS 2020)
Le blocage de 2019 conduit finalement à une coalition des partis de droite autour du Likud de Netanyahu mais avec un Premier ministre par rotation. Le Likud remonte à 29% mais le centre-droit est à 27%, les Partis religieux sont à 14%, la liste commune arabe monte à 13%, la coalition HaAvoda-Meretz tombe à 6% ensemble (ouch - quand on pense qu'ils étaient à 45% à eux deux 30 ans avant...). les deux groupes d'extrême droite sont à 5% chacun. Le système électoral est modifié pour avantager des alliances entre partis.
24e Knesset (MARS 2021)
La loi était censée favoriser de grandes coalitions mais la situation reste très bloquée, conduisant à une coalition du centre-droit et d'une partie de la droite nationaliste en tentant de laisser temporairement Netanyahu. Likud 24%, Centre-droit libéral laïc du Yesh Atid 14% (+ Nouvel Espoir de droite 5%), Partis religieux 18%, Extrême droite 11% (dont 6% pour la Nouvelle droite qui va finalement être au centre des négociations), Coalition Bleu & Blanc 7%, HaAvoda 6%, Partis arabes 8%, Meretz 5%.
25e Knesset (NOVEMBRE 2022)
La droite continue sa croissance et c'est le Parlement le plus à droite de toute l'histoire d'Israël. Netanyahu peut donc consolider son pouvoir malgré toutes ses difficultés judiciaires et son image trouble. Le Likud est stable à 23%, Yesh Yatid (centre-droit laïc) à 18%, les trois partis religieux sont à 24%, l'ancienne coalition centre-droit Bleu & Blanc (rebaptisée Unité Nationale) est à 9%, l'extrême droite de Lieberman est à 4,5%, le Parti travailliste à 3,6%, le Meretz est éliminé, étant juste en dessous du seuil minimal de 3,2%, les partis arabes à 8%. Les massacres perpétrés par le Hamas lors de l'assaut du 7 octobre 2023 ne peuvent que renforcer ce pouvoir du Likud et même pousser à une unité nationale.
On pourrait faire une analogie avec la situation française où on est passé d'un bipolarisme gauche-droite à un débat centré sur différentes droites LREM / LR / RN. Mais la situation est assez différente comme la France a encore une gauche à 25% mais dominé largement par un parti "tribunitien" sans espoir d'arriver au pouvoir. L'échec de la coalition de gauche de mars 2020 est plus inquiétant que les scores de la Nupes.
L'Autorité palestinienne avait organisé des élections en 2006 mais la victoire du Hamas avec 44% contre 41% pour le Fatah a conduit à la guerre civile entre les deux entités palestiniennes. Depuis que le Hamas a pris le contrôle de Gaza, il n'y a plus eu d'élections, ni à Gaza ni en Cisjordanie.
Add. Contrairement à ce que j'écrivais plus haut, la guerre ne profiterait pas du tout à Netanyahu. D'après ce sondage, l'ancienne coalition centre-droit anti-Netanyahu (l'Unité nationale de Benny Gantz) y gagnerait. 2/3 des Israéliens veulent que "Bibi" parte et n'en peuvent plus de sa corruption de Trumpien. Plus surprenant encore, le Meretz (qui avait été éliminé aux dernières élections) reviendrait à la place du Parti travailliste (qui serait éliminé !). Le Meretz jouirait notamment d'un effet d'image grâce à l'héroïsme de Yair Golan, ex-député Meretz, ancien secrétaire d'Etat à l'économie et officier de gauche.
Cette évolution est impressionnante et en même temps le tournant qu’on peut dire rétrospectivement décisif a eu lieu lors de l’élection du nouveau premier ministre au suffrage direct au début de l’année 2001, sans que la Knesset soit renouvelée (fait unique je crois). C’est d’ailleurs l’une des raisons (avec sa conduite des négociations) qui conduisent un observateur comme Charles Enderlin à insister sur la responsabilité personnelle de Barak dans la séquence catastrophique de 2000-2002. Barak décide de revenir devant les électeurs alors que la seconde intifada a commencé, ce qui amène Sharon au pouvoir en 2001 (lequel écrase ensuite l’ancien général Mitzna en 2003 qui avait fait campagne sur les termes d’un accord qui aurait très proche des négociations de Taba, elles-mêmes suspendues à une semaine ou deux semaines de l’élection de 2001). Excès de confiance de l’éternel premier de la classe ?
RépondreSupprimerOui, en effet, ces élections du Premier ministre séparées des élections législatives furent supprimées juste avant celles de 2003 (où on arrêta aussi d'ailleurs le système de présidentialisation du PM commencé en 1996).
RépondreSupprimerJe n'ai pas lu le livre d'Enderlin mais oui, je crois que le rapport de forces faisait que l'échec du processus était assez inévitable, sauf si les Américains avaient vraiment voulu peser fortement. L'Administration Clinton a rejeté la faute sur Arafat parce qu'ils ne voulaient pas vraiment insister sur une solution à deux Etats viables et ensuite l'Administration Bush n'avait plus aucune envie non plus de le faire, quelles que soient ses amitiés saoudiennes.