L'auteur GP Davis (qui exerce le métier de juriste dans une autre vie) a tout réalisé seul, avec des images N&B, des gravures du XIXe siècle libres de droit (ce qui explique le faible nombre de cartes), et il a une connaissance étendue de la bibliographie, au point qu'on peut supposer que c'est un des jeux historiques les plus détaillés sur cette période, avec des notes sur la syntaxe élamite ou sur les tribus gutiennes.
Un des charmes particuliers de BowF&JaB (appelons le simplement BFJB) est son grand usage des Cunéiformes en Akkadien et on peut même en mettre dans sa feuille de personnage pour les noms de caractéristiques ou le nom du personnage. Je trouve cela assez irrésistible - je ne crois pas qu'un jeu égyptien soit allé aussi loin avec les hiéroglyphes par exemple ?
Le livre fait 308 pages.
Le thème du jeu est la célèbre cité de Bāb-ilim ("La PORTE DE(S) DIEU(X)", 𒆍𒀭𒊏𒆠) mais à ses débuts dans un cadre pseudo-historique en l'an 1767 avant notre ère, il y a environ 3800 ans. Nous sommes 25 ans après le début du long règne du célèbre législateur et grand Roi 𒄩𒄠𒈬𒊏𒁉 Ḫâmmu-rapi (ce signe particulier Ḫ est en akkadien un /χ/ et en araméen un /x/). Babylone contrôle déjà le centre de la vallée du Purattum (l'Euphrate) mais pas encore l'embouchure des deux fleuves ou le nord (mais Babylon n'atteindra jamais l'extension de l'empire "sargonide" d'Akkad cinq cents ans avant).
C'est la période du premier essor de l'Ancienne Babylone alors que le seul livre que j'ai pu lire sur Babylone parlait plutôt de la Babylone "chaldéenne" de Nabuchodonosor II, vers -580, donc 12 siècles après ce supplément (l'époque de l'effondrement des Assyriens, des Jardins suspendus, de la déportation des Juifs du Royaume de Juda et de la naissance de l'Empire perse avec Cyrus). GP Davis a fait tellement de travail sur la première dynastie babylonienne que je serai sans doute trop paresseux pour chercher à le transformer pour l'adapter vers Nabuchodonosor (même si ce contexte me paraît sur certains points plus facile à utiliser).
A noter que Mythic Babylon, le supplément pour Mythras, a choisi aussi la même période que Davis (et ce dernier a plutôt aimé son concurrent direct, avec une admirable honnêteté).
Le livre fait 308 pages.
Après une courte nouvelle, l'Auteur explique son projet dans cette seconde édition avec un système bien plus allégé (la première édition était OGL) et plaisante sur le fait que personne ne lit ce genre d'introduction dans un jeu de rôle.
CREATION DE PERSONNAGE
Il y a 3 caractéristiques : le zumrum (𒋢 le corps), le ṭēmum (𒌆 l'esprit) et le bāštum (𒌨 "l'aura", la dignité). On peut répartir 12 points entre les 3 caractéristiques avec un maximum de 6 ou utiliser un système aléatoire (on peut dépasser le score de 6 ensuite avec des talents spéciaux). Un personnage plus "âgé" peut décider de se donner un -1 en Corps et +1 en Esprit. On verra seulement au chapitre 8 (p. 109) que le système est simplement de jeter 1d6 en ajoutant la caractéristique en essayant de dépasser 6.
Une des complexités de l'origine des personnages est qu'on définit la cité et d'autre part l'ethnicité comme certaines cités - comme Bāb-ilim - sont multi-ethniques (le roi Ḫâmmu-rapi est lui-même amorite et utilise la langue akkadienne avec les cunéiformes d'origine archaïque sumérienne). On peut jouer un personnage venu de tribus extérieures mais le jeu est prévu pour le cadre urbain babylonien. Le roi amorite ne discrimine pas contre les akkadiens. Les origines ethniques comptent moins que les classes sociales.
Il y a les peuples sémitiques comme Akkadiens (notamment à Babylone, dans l'ancienne Ashur, en Eshnunna ou bien au sud dans les cités du royaume rival de Larsa - Ḫâmmu-rapi ne les a pas encore absorbés) ou d'autre part les Amorites (surtout au nord dans le Mari, le Yamhad ou le Qatna) et des peuples parlant d'autres familles linguistiques comme dans les montagnes et le sud de la Perse les Elamites ou au nord de la Syrie les Hurriens. Le livre distingue aussi en plus des cités plusieurs tribus pastorales qui se rattachent à ces groupes.
La liste des noms de personnage pour les différentes ethnies est impressionnante et offre aussi l'inscription en cunéiformes (p. 33-46 !).
On choisit une classe sociale : Wardum (esclave), Muškēnum (libre pauvre) ou Awīlum (libre "noble") et le choix de la classe décidera (dans le chapitre 4, p. 48-82) quelles professions sont disponibles (si ce n'est que l'esclave peut aussi avoir des compétences dans une profession secondaire en tant qu'assistant). Les professions sont nombreuses et celles qui sont réservées à la "noblesse" (Astrologue, Bureaucrate, Devin, Docteur, Exorciste, Prêtre ou Nadītum - les femmes consacrées au Temple et qui sont très proches de "nonnes" ou de Bene Gesserit si on veut).
Chaque Profession a en plus de talents liés et un équipement une capacité spéciale en termes de jeu ou de méta-jeu qui ne sont pas toujours si évidentes (comme des droits de relances de dés).
Un des métiers féminins est particulièrement "mésopotamien" : la Vendeuse de bière ou tenancière d'auberge (la sābītum), qui était un des statuts qui donnait le plus de liberté aux femmes non-mariées. En revanche, les célèbres Prostituées sacrées des Temples d'Ishtar (ou "Eštar") qui étonnaient tant Hérodote mille deux cents ans plus tard ne semblent pas encore exister à l'époque de la Babylone ancienne d'Ḫâmmu-rapi (les prostituées ou courtisanes ont donc un statut moindre et ne doivent pas être confondues avec les Nadītum, les "prêtresses").
Les talents (p. 83-96) comprennent aussi les sortilèges qui sont ouverts aux professions sacerdotales. Les rituels ressemblent un peu à ceux de Runequest mais il y a quelques "fléaux" puissants comme Seisme ou Peste. Je regrette un peu que l'auteur ait décidé de simplifier sa première édition où les sorts étaient beaucoup plus dépendants de chaque Culte comme dans Runequest. Ils sont devenus plus génériques dans cette 2e édition.
La liste des équipements (p. 98-106) a une tarification qui se veut assez "réaliste" et historique (d'après des vraies tablettes sur le commerce) mais j'imagine qu'il a dû faire des adaptations pour la jouabilité. Les armes paraissent assez économiques par rapport à d'autres jeux, quelques "shekels" d'argent. Mais de manière générale, les jeux de rôle ont besoin (en dehors de la recherche de l'atmosphère) d'une tarification "non-réaliste", par valeur d'usage et non par valeur d'échange, où l'objet vraiment utile en termes de jeu doit coûter proportionnellement plus cher que des objets valorisés socialement mais avec moins d'utilité. Si une épée fait en fait moins de dégâts qu'une hache mais coûte plus cher pour des raisons sociales, aucun joueur n'achèterait plus d'épée.
LE SYSTEME
BFJB a gardé des Niveaux (qui sont les mêmes quelles que soient les professions) et ils donnent simplement des talents en plus (un talent tous les 4 niveaux) ou progressivement la possibilité d'un bonus dans une caractéristique (un +1 au niveau 5 puis 9, 14 et 18). Je regrette qu'il ait gardé un système de points d'expérience qui paraît un peu trop "granulaire" (voir p. 272-273 où on est censé calculer les points d'expérience gagné en combat selon le différentiel de Niveau entre les adversaires).
Comme on l'a déjà dit, le système de résolution n'arrive qu'au chapitre 8 puis le combat au chapitre 9. Pour toucher on doit faire au moins 7 avec la caractéristique CORPS - le score d'Armure (plus ou moins des bonus selon les talents). Tenter une action sans rapport avec sa Profession ou Talent donne un malus -3 sur le d6. La caractéristique CORPS représente à la fois la rapidité physique, la coordination et la force physique, elle décide donc de l'initiative en combat (sauf pour les sortilèges où l'initiative dépend d'ESPRIT).
Il y a un tableau des blessures critiques quand la caractéristique CORPS est tombée à 0. La probabilité d'éborgner la cible est assez élevée (14%). On a 5% de chances d'être tétraplégique et 3% de chances de mourir...
Je ne détaillerai pas tous les systèmes plus précis qui sont donnés mais il y a aussi un chapitre sur les maladies avec leurs noms babyloniens (p. 139-143).
LE MONDE
Le chapitre 12 (p. 145-172) décrit le monde et la société.
Une petite déception ici est que la liste des divinités de la région (p. 152-158) ne reprend aucun mythe. L'auteur dit que les lecteurs trouveront facilement des documents sur ce sujet. Sur ce point j'ai préféré le chapitre sur les dieux dans le supplément Mythic Babylon (p. 86-101) qui a des encadrés sur quelques mythes. BFJB présuppose plus que les histoires porteront sur des intrigues urbaines où les religions sont avant tout des institutions de pouvoir terrestre (les dieux sont avant tout des cultes de telle cité) et l'auteur doit avoir moins de goût pour un jeu plus épique ou mythologique.
Mais le jeu admet le surnaturel et les Démons (qui apportent les malédictions ou les maladies) seront peut-être plus importants dans la vie quotidienne que les Dieux.
Le chapitre 13 (p. 173-210) décrit uniquement la Cité de Babylone en 1767 avant J.-C. (avec les cités voisines et quelques autres cités hors du royaume p. 211-235). L'auteur précise quand il a dû inventer certains détails ou extrapolé à partir des données et je trouve que les designers de jeux devraient l'imiter sur ce point. La grande Tour du Temple de Marduk qu'on associe à la Tour de Babel ne devait pas encore avoir atteint sa taille maximale de 91 mètres et n'était peut-être encore "que" de 60 mètres (sachant que la Grande Pyramide de Chéops atteignait les 140 mètres).
Une carte de la ville est p. 176 mais on peut trouver d'autres cartes comme celle-ci, qui ajoute des éléments plus tardifs.
En plus de la description quartier par quartier, le jeu a des PNJ (p. 184-193) et la première édition du jeu avait eu aussi un supplément de 28 pages avec 25 PNJ). Les PNJ sont ce qui fait resplendir un supplément urbain et il y a là des éléments pour construire des scénarios.
Par exemple, les trois Reines Šaddašu, Dan-erēssa et Lālûtum ont quelques conflits divers avec le Roi Hammourabi : la première sur leurs enfants, la seconde sur le pouvoir, la troisième souhaiterait repartir chez son frère le roi d'Eshnunna. Sîn-bēl-aplim, le ministre des affaires étrangères, a un réseau d'espions dans la Mésopotamie. Ruttum est une influente Vendeuse de Bière qui protège bien des activités occultes dans la ville. Taklāku-ana-Marduk est le grand prêtre de Marduk (mais dans le supplément on peut ajouter la nonne Amat-Marduk qui dirige les archives de tablettes ou Lu-Enlilla le grand exorciste). Pour les campagnes plus surnaturels, le sorcier Utu-andul est un dangereux nécromancien et on peut aussi ajouter dans le supplément Ayya-šemeat la Dame du Désert qui dirige une cour de Démons près de la cité de Dilbat.
Carte du sud de la Mésopotamie tirée de BFJB
Les autres cités proches comprennent Borsippa (cité des scribes de Nabu), Dilbat (cité de la déesse Uraš, une femme d'Anu, où vivent des tribus hurriennes), l'antique cité sumérienne de Kish (cité du dieu de la guerre Zababa), Rapiqum, Sippar (cité du dieu solaire Shamash, carte p. 204 - la cité de Larsa aussi a choisi Shamash comme dieu tutélaire mais est plus opposée à Hammourabi). Dans les autres cités plus lointaines, il y a par exemple aussi les ruines d'Eridu (cité du dieu de l'eau Ea / Enki), la cité sainte de Nippur (un ensemble de sanctuaires pour l'instant contrôlé par Rim-Sîn, Roi de Larsa) ou Isin, cité de la déesse guérisseuse Gula. Chaque ville a quelques idées d'aventure.
Je me demande si on pourrait créer une carte qui soit un compromis entre les cartes historiques modernes et une représentation plus archaïque comme la carte babylonienne du monde sur une tablette du IXe-VIIe siècle avant notre ère trouvée à Sippar et qui viendrait de Borsippa.
Le chapitre 15 (p. 235-273) est un grand "bestiaire" avec les animaux réels, une grande liste de PNJ pré-tirés et des monstres surnaturels.
Le chapitre 16 est une liste d'objets magiques (qui mentionne même des objets des mythes en précisant bien qu'aucun personnage-joueur ne devrait pouvoir s'en approcher). Je remarque surtout un objet pour scribe le stylet magique (p. 284) qui peut écrire sur n'importe quelle surface.
Le livre se finit avec un glossaire (p. 287-296), une bibliographie et une chronologie des événements passés (avant et après le "présent" de 1767 avant JC : Hammourabi va vaincre successivement l'Eshnuna, puis Larsa puis Mari et Babylon va atteindre son sommet historique - deux cents ans plus tard les Kassites vont remplacer les Amorites).
Comme vous l'avez déjà deviné d'après la longueur de cette description que j'écris depuis assez longtemps, j'ai beaucoup aimé Babylon on which Fame & Jubilation are Bestowed. Si vous êtes intéressé.e par cette Cité si symbolique ou sur la naissance de l'écriture, alors vous ne pouvez pas ne pas jeter un coup d'oeil sur BFJB.
L'auteur a sorti depuis une aventure The Cursed Colony of Meslamtaea que je n'ai pas encore achetée mais qui a l'air d'avoir le charme effrayant et gothique d'une nouvelle des pulps. Ce mystérieux dieu Meslamtaea est un gardien des enfers et une des nombreuses divinités mésopotamiennes qui montrent la richesse de ce cadre.
Add.
Alea iactanda est a réalisé plusieurs versions de "Tablettes" de personnage pour BFJB dont une entièrement en akkadien ou bien une en "bilingue" akkadien/anglais recto/verso comme une pierre de Rosette, et une table de rencontres aléatoires en ville.
J'aime ce jeu ! Je voudrais le jouer davantage, même si mes séances (en solitaire) ne sont que mi-jeu, mi-recherches aléatoires.
RépondreSupprimerJ'en ai fait des feuilles, ou bien, des tablettes de personnage en anglais et akkadien, et une table de rencontres urbaines basée sur une paléo-babylonienne liste lexique. On peut les trouver à la fin de cette page sur mon blog : https://aleaiactandaest.blogspot.com/p/downloads.html
Merci beaucoup ! Il faut faire vivre ce jeu qui le mérite en effet.
RépondreSupprimerJe crois que le nom de l'éditeur, Šukāmu, n'est jamais expliqué dans le livre (?) Cela semble vouloir dire "art du scribe" (un scribe s'appelle en revanche un ṭupšarrum p. 75).
RépondreSupprimer> La première version de ce jeu contenait des elfes, des nains, etc. J'avais trouvé cela dommage. Ce n'est pas le cas de cette seconde version qui est très bonne.
RépondreSupprimer> "The Cursed Colony of Meslamtaea" est un cadre d'aventure, avec une situation de base dans un grand marrais, un historique, une grosse collection de PNJs détaillés, des rencontres aléatoires, et des idées qui expliqueraient la présence des PJs dans la zone. Cela manque d'un soupçon d'atmosphère pour moi, qui est ce que je reproche au jeu dans son ensemble, mais ce n'est pas très difficile d'en ajouter.
> En ce qui concerne le mot "Sukamu", voici un détail en plus : à la page 514 de l'article suivant, il est expliqué que c'est un mot rare et érudit provenant de l'akkadien. https://www.academia.edu/en/1054015/_Keeping_Company_with_Men_of_Learning_The_King_as_Scholar_in_K_Radner_E_Robson_ed_The_Oxford_Handbook_of_Cuneiform_Culture_Oxford_2011_508_32
> Un lien avec Tékumel : l'auteur de ce jeu s'était occupé des transcriptions du podcast Hall of Blue Illumination jusqu'aux révélations sur Barker.
Oui, la 1e édition était OGL et devait donc offrir cela comme option pour adapter D&D (ou plutôt pour adapter la Mésopotamie vers des cadres de D&D).
RépondreSupprimerJ'hésite encore à acheter le scénario car si j'y joue, ce serait pour rester dans la ville de Babylone le plus possible.
Je n'avais pas vu mais le mot shukamu est expliqué sur le site de l'éditeur. Sur son blog, il commente aussi son choc et sa déception quand il a appris la vérité sur Barker.