dimanche 17 décembre 2023

Calendrier de l'Avent des Arguments philosophiques VIII On n'aime jamais personne

15 Bichat, jour du chimiste Torbern Bergman (1735-1784). Il pourrait faire un PNJ pour Lex Occulta ?

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L'argument d'aujourd'hui de cet ascète dévot de Blaise Pascal mais qui n'est pas sans intérêt même hors de sa pensée théocentrique et de ses vraies intentions apologétiques. Voir Pensées Le Guern 582

On n'aime pas les gens mais des propriétés. 

En philosophie analytique, on appelle "haeccéité" une propriété singularisante qui ne serait possédée que par un seul individu particulier, ou bien une "essence individuelle". S'il y avait des haeccéités qui ne soient pas que des collections d'autres propriétés générales alors votre haeccéité serait attachée à vous quelles que soient les autres changements de propriétés. 

Or je peux aimer quelqu'un pour autre chose que sa beauté superficielle mais il serait étrange d'aimer quelqu'un indépendamment de toutes ses propriétés. La bonté ou la gentillesse aussi peuvent disparaître en vieillissant. Même la personne dont vous vous occuper par devoir, comme une personne dans le coma ou bien une personne âgée que la malade d'Alzheimer rendrait agressive et hostile, vous pourriez être fidèle à ce qu'elle était mais pourriez-vous encore l'aimer alors qu'elle serait victime de cette transformation totale de son être ? En supposant qu'on puisse ainsi faire le choix d'une telle fidélité absolue, cela serait-il légitime ? Cela serait-il plus "fidélité" à ses sentiments antérieurs ou peut-être reconnaissance envers ses bienfaits passés qu'amour envers l'autre en tant que tel ? 

L'amour envers un individu singulier peut certes croire qu'il peut essentialiser ou absolutiser son sentiment mais c'est une illusion. Même l'amour envers ses enfants ne dépend-il pas avant tout de relations envers tel proche et non pas de son haeccéité pure d'être singulier ? 

Mais s'il était possible d'aimer une haeccéité, cela pourrait-il nous permettre de dépasser notre ressentiment et d'aimer plus purement en pardonnant ? Il y a quelque chose qui semble aller au-delà de son devoir, ce qui pourrait paraître "pur" ou "saint" ? 

En tout cas, du côté de l'objet aimé, Pascal dit qu'il serait même "injuste" d'exiger d'être aimé absolument pour soi indépendamment de toute autre propriété. C'est même le défaut du moi que d'être si égocentrique qu'il voudrait être aimé pour soi alors qu'on n'aime pas quelqu'un mais quelque chose en elle. Le moi est vanité parce qu'il craint de saisir à quel point il devrait mépriser en lui tous ses vices et ne reconnaître que ses qualités ne sont que temporaires. D'où le moi haïssable : je devrais me méfier de mon propre moi narcissique et de sa tendance à considérer comme normal qu'on essentialise en moi certaines propriétés peut-être tout à fait accidentelles. 

Un des buts de cet arguments est chez Pascal d'arriver à l'idée qu'il n'y a qu'un seul être absolu "en nous" que nous pourrions et devrions aimer et je vous laisse deviner lequel. L'ordre de la charité envers le créateur dépasserait ainsi infiniment la concupiscence envers la créature. Mais il me semble qu'il y a une tension à l'intérieur du christianisme entre ceux qui vont laisser penser que l'amour envers les personnes finies est une sorte de voie d'accès vers l'amour infini et ceux comme Pascal qui vont dévaloriser le premier comme seulement une concupiscence égocentrique et déchue. La morale chrétienne chez Pascal n'est pas "aime et fais ce que tu veux" mais "tu dois ne haïr que toi et n'aimer que Dieu" (Le Guern 353), pour rabaisser notre vanité.  

Je ne comprends pas bien par ailleurs comment Nietzsche a tant d'indulgence ou d'admiration envers Pascal alors qu'il semble parfois être un des paroxysmes du "nihilisme" chrétien (avant S. Weil). Est-ce parce qu'il le montrerait avec plus de radicalité justement ? Ou n'est-ce qu'une question "stylistique" où il ressent des analogies au-delà de leurs oppositions ?

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