lundi 12 février 2024

Creation of the Gods I Kingdom of Storms



A l'occasion du Nouvel An chinois et du passage à l'Année du Dragon de Bois, les cinémas diffusaient pendant 48 heures le film Creation of the Gods du réalisateur Wuershan qui est la première partie d'une trilogie. Il n'est hélas pas prévu d'autre sortie nationale, ce que je trouve assez peu compréhensible car le film est certes un peu long (2h30) mais on commence à s'habituer à ces durées et il assez facile à suivre malgré les nombreux personnages et quelques allusions peu expliquées. Le Parisien exagère complètement en disant que cela ne peut viser que des spectateurs chinois émigrés.

C'est l'adaptation de l'Investiture des Dieux (封神演義, Fēngshén Yǎnyì), roman mythologique du XVIe siècle qui raconte de manière fantastique la chute de la Dynastie Shāng et l'arrivée de la Dynastie Zhōu vers l'an 1050-1046 avant J.C. Yīn Zhòu (aussi appelé Zhòu Xīn, 1075-1046) est le dernier empereur des Shang et le roman justifie comment les Shang perdent le "Mandat céleste" (tiānxià, 天下) au profit de Jī Fā (姬發, 1076-1043), qui deviendra le futur Empereur Zhōu Wǔ wáng (Wǔ le Roi des Zhōu). Il y a 20 ans en 2004, j'avais fait un bref survol de l'Investiture des Dieux dans la traduction si peu pratique paru chez You Feng.

Le film est une débauche d'effets spéciaux qui vise à concurrencer les trilogies de fantasy occidentales et lorgne parfois plus vers Marvel que vers Lord of the Rings

J'ai pu voir quelques petites différences mais je ne me souviens pas assez du roman pour détailler. Le Méchant Empereur Yīn Zhòu me paraît plus actif et courageux dans cette version au lieu d'être seulement la victime languissante de Dájǐ la démone renarde à neuf queues (húlijīng).



Daji est quasiment le seul personnage féminin de tout ce premier volet. Elle est jouée par une actrice russe d'origine bouriato-mongole Naran (Narana Erdyneeva, née en 1997 - Wuershan est aussi d'origine mongole) et le choix de mise en scène change beaucoup le personnage traditionnel de Daji. Au lieu d'être une manipulatrice froide et cruelle, cette version de Daji en fait plutôt une jeune femme-bête certes sexy mais aux yeux innocents et qui ne semble pas toujours comprendre entièrement ce monde humain dans lequel elle a été plongée. Quand elle tue, cela semble être plus un acte de prédation dénué de toute malveillance (même si elle est quand même consciente de la catastrophe à venir). Elle n'a pas ses soeurs démones pour l'instant. 

J'aime bien aussi l'idée que les différents seigneurs ne sont pas que des princes à la Cour mais un corps des "Otages", fils des Quatre Ducs élevés par l'Empereur Yīn Zhòu pour former une Garde d'élite dévouée à sa personne. Cela crée une dynamique nouvelle où le héros Jī Fā a une double allégeance entre son père adoptif l'Empereur et le père dans sa province du Xiqi. 

Une autre différence est de faire de "l'Investiture des Dieux" du titre non pas simplement un événement à la fin de l'histoire (où le sage Jiāng Zǐyá proclame la liste et la déification de divers personnages de l'histoire) mais le MacGuffin depuis le début, le Parchemin divin qui est le vrai enjeu de la guerre entre les démons et les différents Immortels de Kunlun. Les scénaristes ont décidé que ce rouleau pouvait absorber la force vitale pour la donner à l'Empereur légitime mais qu'il était le seul moyen qui pouvait éventuellement rétablir l'ordre du cosmos. 

Une autre intrigue est l'idée de sacrifice du Roi. L'Empereur des Shang Yīn Zhòu prétend être prêt à s'offrir en sacrifice pour sauver le cosmos contre le chaos mais il semble changer d'avis quand le parchemin lui offrirait la puissance du sacrifice d'autres victimes. 

Jiāng Zǐyá, le vieux sage taoïste qui est en un sens le vrai héros du roman, a ici perdu tous ses pouvoirs et notamment ses pouvoirs oraculaires. Il les a sacrifiés pour accepter de revenir sur Terre et d'apporter l'Investiture des dieux. Pour faire des comparaisons occidentales, il apparaît comme une sorte de Gandalf incompétent de cette trilogie (ou pour ceux qui connaissent Dragonlance, il ferait plus penser à Fizban). Il est représenté avec ce ton un peu humoristique chinois que j'aurais du mal à décrire si ce n'est comme ce mélange de sublime et de comic relief des vieux maîtres excentriques, mélange de sagesse et de ridicule (un peu comme Yoda au début de l'Empire contre-attaque). Peut-être que les scénaristes voulaient diminuer sa puissance pour qu'il ne vole pas la vedette à Jī Fā. Il n'a pas son Fouet Divin, il porte l'Investiture des Dieux et a gardé sa sagesse mais il a besoin de ses deux gardes du corps divins Nézhā et Yángjiǎn pour le défendre. 

Nézhā, l'enfant demi-dieu qui vole sur ses roues de feu est l'un des plus célèbres héros de la mythologie chinoise. Yángjiǎn est plus connu sous le nom d'Èrláng Shén, Neveu de l'Empereur de Jade et un des dieux de la guerre avec son Trident. On les voit aussi tous les deux se faire vaincre par le Roi des Singes dans le Voyage vers l'Ouest.

L'adversaire Shēn Gōngbào n'est pas ici un frère du sage Jiāng Zǐyá mais plutôt juste un nécromancien générique (et un peu caricatural avec sa cape noire et ses crânes et son aspect de clown illusionniste). Il sert un Maître plus puissant qui serait peut-être aussi derrière Daji et toutes les catastrophes cosmiques. 

A la fin, la scène avec le monstre de pierre n'est pas un dragon mais un Tāotiè. Le gentil démon "Coup-de-Tonnerre" adopté par la dynastie Zhou et élevé par les Immortels est Léi Zhènzǐ, fils de Léigōng.

Ce premier volume a certaines des scènes les plus célèbres du roman comme la scène à la Thyeste où un père va être forcé de manger son enfant ou celle où le grand devin qui a identifié la démone-renarde sera forcé d'arracher son propre coeur (mais la résolution est assez différente ici et n'inclut pas le sage Jiāng Zǐyá). 

A la fin, la Rébellion (et la Guerre des Immortels) a bien commencé contre l'Empereur Yīn Zhòu et je me demande comment ils vont tenir sur deux films entiers pour tout le reste de la Guerre. Ils vont devoir multiplier de nouveaux ennemis (comme Wén Zhòng au Troisième Oeil ou les frères Mo, les Quatre Géants Gardiens qu'on voit dans le post-générique). Toute la difficulté de ce genre d'épopée est de créer du suspense alors que la chute des Shang est aussi clairement annoncée dans chaque scène. 

2 commentaires:

  1. Ooooh, j'aurais tellement aimé le voir. La prof de chinois est tombée de sa chaise quand je lu ai dit que j'avais lu l'Investiture des Dieux 😂

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Désolé. J'ai improvisé cela hier en cherchant des animations de Nouvel An. J'aurais dû te prévenir. J'espère qu'il va ressortir.

      Supprimer