14 César, jour d'Alexandre.
Il fut une époque dans mon enfance où j'ai cru en une divinité surnaturelle. J'ai perdu cette hypothèse vers onze ou douze ans en me demandant si je n'y croyais que parce que je trouvais plus confortable de croire ainsi en une projection idéalisée. Je suis reconnaissant d'avoir pu éprouver une telle croyance-désir sans quoi je ne sais pas si je pourrais facilement avoir de l'empathie avec la majorité de l'espèce humaine qui continue d'avoir ce type de pensée. Ceux qui ont toujours vécu dans l'athéisme doivent avoir du mal à éviter une condescendance méprisante. C'est une difficulté majeure pour tout le monde que de pouvoir conserver cette empathie qui est nécessaire pour être humain. D'un autre côté, certains ex-croyants peuvent aussi être plus agressifs et militants que ceux pour qui la religion n'a jamais eu d'effet direct sur leur enfance.
Hier, dans un kiosque de journaux, il y avait une revue chrétienne (d'une association catholique du culte marial) qui s'appelait "1000 raisons de croire" et le sujet en couverture était quelque chose du genre "Savez-vous que la Vierge Marie est déjà apparue 4236 fois au cours de l'Histoire ?" (je ne me souviens plus du nombre et je ne sais pas si ce nombre est censé compter comme seulement une des mille "raisons" en question).
Malgré mes efforts d'empathie, j'ai du mal à comprendre ces croyances où un dieu omnipotent peut intervenir (et même 4236 fois) mais choisit quand même de ne le faire que de temps en temps sans qu'on comprenne pourquoi. Le miracle semble le comble de l'arbitraire pour l'idée d'un être parfait censé représenter ce qui serait la source de tout ce qui est bon ou juste dans la réalité. Cela semble presque pire que l'existence du Mal, le fait qu'il puisse utiliser une puissance infinie mais au cas par cas. Dans ce magazine, l'intercesseur divin (la remplaçante des anciennes divinités maternelles de la fécondité) décide de visiter trois bergers à Fatima ou une femme à Lourdes mais d'abandonner des millions d'autres innocents dans la souffrance et l'injustice.
Même à l'époque où je croyais en un Dieu, je ne pouvais que croire à une divinité de type leibnizien qui ne peut pas vouloir perturber les lois de la nature sinon on se demanderait sans cesse pourquoi il n'essaye pas de sauver tant d'innocents. J'avais plus de problème avec la possibilité de plusieurs miracles au cours du temps qu'avec un seul miracle à la Création (l'idéalité du temps est peut-être une solution pour Leibniz pour faire comme s'il continuait de justifier l'existence possible de plusieurs miracles).
Je ne comprends pas en quoi la possibilité des miracles est censée rassurer les croyants : il y a vraiment un Dieu omnipotent mais il est si mystérieux et incompréhensible qu'il pourrait te sauver à n'importe quel moment mais qu'il choisit quand même de ne pas le faire, peut-être parce que c'est en réalité de ta faute.
Ma première discussion philosophique (autant que je me souvienne) fut avec un prêtre à qui je disais que les miracles ne pouvaient être que des récits métaphoriques ou des sortes de conditionnels irréels (Dieu serait un être tel que s'il le voulait, il pourrait même remettre en cause les lois qu'il a choisi d'instituer) et que ce serait même une sorte d'insulte impie que d'y croire. Je ne me croyais même pas libre penseur original ou ironique, je pensais ne faire que dire en petit comité un truisme qu'on n'osait simplement pas trop manifester publiquement, un peu comme de parler à voix haute du Père Noël dans une école maternelle. Le prêtre, qui paraissait étonné plus que scandalisé, me dit qu'il y croyait tout à fait au premier degré alors que je pensais qu'aucun adulte n'était sérieux à ce sujet. Nous étions chacun déçu de la déception de l'autre.
Mais si on croit en un(e) Dieu/éesse qui ne peut pas intervenir du tout (Deus absconditus et otiosus, Dieu caché qui ne veut pas se montrer et qui n'agit donc pas), on est sans doute déjà nécessairement dans une pente vers l'athéisme comme cela ne fait plus tellement de différence.
Pour rester croyant, il faut donc cette position psychologique où on croit à un Dieu qui agit mais d'une manière mystérieuse et incompréhensible. "L'amour" purement quiétiste en un Principe du Bien et la confiance en une sorte d'analogue d'amour "pur" qui n'agira jamais dans l'expérience visible (que je peux comprendre) doit se mélanger avec un "amour" plus ambivalent, plus masochiste (je ne dois pas mériter Son amour puisque je souffre), avec un ressentiment larvé (si Iel peut intervenir, pourquoi ne le fait-Iel pas ? qu'ai-je donc fait de mal ?) et un peu terrorisé devant cette violence arbitraire, une sorte d'attachement insecure (attachement anxieux-ambivalent) comme dirait la théorie de Bowlby où la divinité est un Parent très ambigu, plus cruel et inquiétant que le Dieu plus distant des philosophes. Le croyant est alors d'autant plus "collant" et exubérant dans son enthousiasme qu'il ne cesse d'être inquiet de ne pas mériter cette grâce injustifiable.
Mais on pourra rétorquer que dans cette classification psychologique, le quiétisme de certains mystiques et des philosophes serait alors un attachement "avoidant", d'où la voie vers l'athéisme. Le croyant ordinaire se soucie d'espérer que son affection sera partagée, le déiste a un rapport très neutralisé dès lors qu'il dit qu'il sait bien déjà que la "relation" est dénuée de tout effet.
Je vois donc peu de milieu entre un despote arbitraire (un sujet avec une volonté) et un simple néant où Dieu n'est plus qu'un nom fétiche pour les lois de la nature.
Sur la manière dont l'arbitraire apparent de diverses manifestations divines peut néanmoins ne pas constituer un obstacle psychologique à la foi, ou même paradoxalement la renforcer, je me souviens (vaguement) d'une remarque de C S Lewis sur le baptême, disant en substance : "Qu'un rite de ce genre soit nécessaire au salut, cela paraît complètement arbitraire, mais si Dieu est réel et pas simplement le reflet de nos désirs, nous devrions nous attendre à trouver des traits de ce genre, qui ne collent absolument pas à ce que nous souhaiterions, précisément parce que nous ne les inventons pas" Ce n'est probablement pas un bien bon argument, et ça ressemble beaucoup à une tactique pour gagner à tous les coups en se protégeant à l'avance contre toute réfutation. Mais je pense que ça peut contribuer à éclairer psychologiquement l'attitude du croyant face à l'arbitraire des sacrements ou des miracles.
RépondreSupprimerUn autre point : si j'ai bien lu, tu évoques ce qui doit être l'angoisse du croyant à l'idée de ne pas mériter une grâce incompréhensible. Mais il me semble qu'une des propositions fondamentales du dogme chrétien, qu'on retrouve chez toutes les confessions ou presque, est précisément l'idée que la grâce ne se mérite pas, que c'est entièrement un don gratuit de Dieu. Que cela paraisse assez incompréhensible ou injustifiable, c'est certain, mais en revanche, le croyant ne devrait pas se torturer pour savoir si son comportement peut ou non lui obtenir la grâce - et par là, le salut : cette possibilité-là est exclue dès le départ.
Oui, la justification par le caractère insondable et donc une certaine dose de fidéisme est peut-être la meilleure stratégie qui reste.
RépondreSupprimerJe n'entends rien à la "soteriologie" (je ne comprends pas de différence entre Jansénisme et Calvinisme par exemple alors que Pascal a l'air de dire que c'est bien différent) mais il me semble quand même que le salut par les oeuvres et le libre arbitre (que ce soit chez les Catholiques ou les Arminiens) peut faire parler d'un mérite du croyant. Mais de toute façon, c'est en effet sur la grâce (et donc le salut après la vie) mais pas sur une intervention miraculeuse au cours de cette vie.
Je suis tombé par hasard sur cette page d'un prêtre qui critique assez violemment aussi ce magazine d'apologétique (financé par un entrepreneur qui est aussi le co-auteur (avec un Bolloré) de Dieu, la science et les preuves). Donc même un prêtre peut avoir des problèmes avec ce type d'arguments par les miracles.
RépondreSupprimerSi je comprends bien son utilisation de Saint Augustin, il dit que l'utilisation des miracles exceptionnels ne doit pas servir à penser à une Grâce exceptionnelle donnée au cas par cas mais au fait que c'est toute la Création qui doit être vue comme un miracle, ce qui paraît en effet moins manipulateur (même si le catholique ne peut pas rejeter la tradition "merveilleuse" des miracles ou la réduire autant que pourraient le faire certains réformés).