lundi 17 février 2025

Voyages dans le temps dans Spirou (1)


Avant de parler des aventures de Spirou, il faut commencer par une autre série chez Dupuis qui était plus de la science fiction.

Yoko Tsuno par Roger Leloup est surtout connue par ses voyages dans l'espace (vers la planète Vinéa et ses colonies : tomes 1, 3, 6, 8, 10, 13, 18, 27, 30) mais il y a eu presque autant de voyages dans le temps (tomes 11, 17, 20, 22-23, 26, 29, 31). Quand on pense à voyage temporel en BD franco-belge "classique", on pense d'habitude surtout à Valerian & Laureline, Blake & Mortimer, les Naufragés du Temps, Time is Money, Bob Morane..., mais Yoko Tsuno eut aussi sa série de paradoxes temporels.


 

Dans l'album n°11 La spirale du temps (1980), Yoko est chez ses cousins japonais installés en Indonésie, à Borneo quand arrive soudain Monya, une voyageuse du XXXIXe siècle où la Terre a été détruite par une bombe à antimatière. Le véhicule temporel, le Translateur, a été construit par son défunt père et il ne peut pas être utilisé par n'importe quel passager, il faut une ceinture adaptée à sa biologie. Monya a voyagé vers le passé pour empêcher l'invention de cette arme destructrice et on apprend donc que le passé est tout à fait malléable dans le Yokoverse (on est 4 ans avant Terminator). L'inventeur de l'arme leur révèle que sa bombe hérite d'une technologie extraterrestre sur cette île indonésienne, technologie sur laquelle avait déjà travaillé l'oncle maternel de Yoko Tsuno 35 ans avant, pendant la 2e Guerre mondiale, l'officier japonais Toshio Ishida. Mona et Yoko repartent alors en 1943 et convainquent son oncle de les aider. Ils détruisent la source mystérieuse d'antimatière et changent donc le passé. Monya explique qu'elle ne peut plus revenir dans le futur car il y a déjà une "autre" Monya là-bas modifiée par le paradoxe temporel. Elle a sauvé son père rétroactivement mais ce n'est pas "son" père et elle ne pourra pas le revoir. Elle restera donc vivre en Indonésie, avec les cousins de Yoko et avec son Translateur comme une exilée temporelle. 

On retrouve Monya dans l'album n°17 Le matin du monde (1988). Monya était allée dans le passé et elle avait volé une statuette de Bali en l'an 1520 (avant une éruption volcanique qui devait détruire cet endroit) mais une jeune danseuse balinaise a été accusée du vol et doit être sacrifiée aux ptéranodons qui vivent encore dans cette région. Yoko et Monya repartent sauver la jeune fille et l'amènent à Bornéo où elle causera le bas-relief d'une danseuse que regardait Yoko dans le n°11 avant même de rencontrer Monya (ce qui prouverait alors qu'elle n'a pas changé le passé mais qu'elle l'a causé tel qu'il est, contrairement à l'album précédent). Cela commence une double tradition : (1) Yoko a tendance à voyager pour sauver (un peu arbitrairement) une femme du passé (certes, ici, elle était en danger à cause d'un voyage précédent), (2) son voyage vers le passé est souvent provoqué par une anomalie dans un document ou une oeuvre artistique au présent.

Dans l'album n°20 L'astrologue de Bruges (1994), on quitte l'Asie pour l'Europe et même pour la Belgique (ce qui est rare dans Yoko Tsuno qui a ses aventures en Allemagne, Ecosse ou Asie). Yoko a été invitée à Bruges par un certain Jan Van Laet qui lui montre un tableau la représentant au XVIe siècle. Van Laet et son complice Torcello ont obtenu un philtre d'immortalité depuis le XVIe siècle et ils avaient déjà rencontré Yoko à cette époque  ont alors tué l'alchimiste Zacharius. Yoko repart dans le passé avec Monya, Pol et Vic. C'est la première fois qu'ils vont ramener quelqu'un et non pas seulement un objet, car Pol tombe amoureux d'une paysanne du XVIe, Mieke, qui devient sa compagne au XXe siècle.

Dans les albums n°22 La jonque céleste (1998) et n°23 La pagode des brumes (2001), on revient en Asie, en Chine. Yoko et sa fille adoptive Ziu Lu / Chén Lù ("Rosée du Matin", adoptée depuis l'album n°16) trouvent la tombe d'une très jeune princesse chinoise, Sin-Yi  gardée par une femme, le Dr Lin-Po. La jeune Sin-Yi serait morte très jeune, en 1021 à peu au même âge que celui qu'a sa fille Rosée du matin. Elle était promise comme future épouse de l'Empereur Zhenzong (968-1022), 3e Empereur de la Dynastie Song. Yoko et Monya retournent dans le passé pour sauver Sin-Yi. On découvre qu'il n'y a pas de paradoxe : le tombeau qu'elles avaient vu dans le présent était un faux fabriqué par Yoko et elle ramène Sin-Yi au XXe-XXIe siècle. Mais dans l'album suivant, Sin-Yi demande d'aller aussi sauver sa servante Mei-Ling à laquelle elle était attachée. Yoko revient à nouveau en Chine au XIe siècle et retrouve les origines d'une légende que sa grand-mère chinoise lui avait racontée sur le dragon de cette pagode (Yoko est en effet sino-japonaise). Les origines du dragon sont en fait extraterrestres et c'est un vaisseau robot (comme beaucoup d'autres véhicules vivants dans le Yokoverse). 

Dans l'album n°26, Le Maléfice de l'améthyste (2012), Yoko et sa nouvelle amie la jeune pilote Emilia MacKinley (russo-écossaise, rencontrée depuis le tome 24) vont en Ecosse où Emilia hérite des biens de son arrière grande-tante décédée, Gloria qu'elle aurait sauvée 80 ans avant. Elle rencontre le vieux Malcolm qui dit avoir voyagé dans le futur depuis 1934 pour trouver un médicament pour sauver cette même Gloria. Mais il a sauté 33 ans, est arrivé en 1977, deux ans après la mort de Gloria, et a mis ensuite à nouveau 45 ans pour reconstruire une machine à voyager dans le temps qu'il ne peut plus utiliser lui-même en raison de son grand âge. Yoko et Emilia acceptent de repartir en arrière, en 1934 et découvrent des secrets concernant la maladie de Gloria, une pierre d'améthyste et l'histoire de la Russie. Le "Malcolm" qu'elles avaient rencontré était en fait son assistant, Ralph, qui se faisait passer pour lui pour voler le trésor. Elles ramènent avec elle une nouvelle femme du passé, Bonnie (cousine d'Emilia), et plusieurs trésors qui permettent à Yoko et son cercle d'obtenir leur indépendance financière. C'est la première fois que Yoko Tsuno voyage dans le temps avec un véhicule qui n'est pas le Translateur de Monya. Cette machine de Malcolm (qui ressemble à d'énormes bobines de Tesla) est bien plus encombrante et plus dangereuse. 


 

Dans l'album n°29 Anges & Faucons (2019), Emilia reprend à nouveau la machine de Malcolm pour retourner en 1935 et sauver deux enfants, Peter et Julia, qui doivent mourir dans un accident ferroviaire cette année-là d'après une indication d'une tombe dans le cimetière local. L'idée des voyages uniquement pour sauver des enfants reste une obsession de cette série et cela a un peu gâché la cohérence : si le passé est malléable, pourquoi utiliser le voyage uniquement pour sauver une poignée d'individus choisis arbitrairement parce qu'ils ont suscité la sympathie de Yoko ? En passant, cet album illustre bien la méthode poétique d'écriture de scénario de Roger Leloup. Autant les graphismes des véhicules sont précis comme de l'ingénieurie ou de la Hard SF, autant les scénarios sont faits de libres associations métaphoriques ou thématiques (ici, entre ailes d'anges et figures de dieu Horus), plus oniriques ou elliptiques que des relations causales claires. 

Dans l'album n°31 L'Aigle des Highlands (2024), Roger Leloup noue ensemble de nombreux personnages de son univers : Monya et son translateur (plus vue depuis le n°23), la colonie celtique cachée, Vinéa et le domaine écossais. Les moines de l'abbaye locale aurait détruit un "aigle" au XIIIe et Yoko découvre, grâce à la Déesse Brigit (en fait une IA) que c'était un robot de Vinéa. Elle repart au XIIIe siècle grâce à Monya pour sauver cet "aigle". Pour une fois, elle ramène non pas une jeune fille (comme Sin-Yi, Mieke ou Bonnie) mais un petit garçon, Sébastien (la maison de Yoko commence à ressembler à un orphelinat).

Yoko n'a à ma connaissance jamais voyagé vers "le futur" (sauf pour revenir à son époque). Cela donne la chronologie suivante des voyages de Yoko (deux au XIe, un au XIIIe, deux au XVIe et trois au XXe) : 

XIe 1021 Yoko part en Chine pour sauver Sin-Yi et la ramène. 

Elle revient ensuite peu de temps après pour tenter en vain de ramener aussi Mei-Ling et rencontre un robot. 

XIIIe Yoko sauve un autre robot vinéen. 

XVIe siècle : Yoko sauve une Balinaise d'un sacrifice. Elle lutte contre un alchimiste à Bruges avec tous ses amis, elle ramène Mieke. 

XXe : 1934 Macolm invente une machine à voyager dans le temps 900 ans avant le père de Monya. Yoko et Emilia aident la famille de cette dernière. Elles ramènent Bonnie (qui a donc dû naître vers 1918 à peu près ?).

1935 Yoko et Emilia modifient des détails du passé.

1943 Yoko rencontre son vieil oncle en pleine Guerre en Indonésie et lutte contre une intelligence extraterrestre faite d'énergie.

4 commentaires:

  1. Sin Glass était une autre série de bande dessinée consacrée au voyage dans le temps. Elle n'a eu qu'une existence éphémère.

    https://wiesmann.codiferes.net/wordpress/archives/40250

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  2. Merci, je ne connaissais pas (c'est toujours fascinant, toutes ces séries avortées qui n'ont jamais été reprises en album). Ce n'est pas du tout le même style que ce que Darasse fera ensuite dans l'humour avec le Gang Mazda et Tamara.
    C'est en effet très inspiré par Valérian (et par Star Wars bien sûr) mais un détail original que j'aime bien est que le héros Sin Glass est un ethnologue immortel parti à la recherche des Humains dispersés dans l'univers, pas un militaire ou un mercenaire.

    Et quand il voyage loin vers le passé, cela reste quand même dans notre lointain futur.

    Il pourrait rencontrer Monya vers cette période, d'ailleurs...

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  3. Dommage que ce titre ait beaucoup décliné!

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