lundi 5 novembre 2007

rhaptos

("cousu (de fil blanc)", pour changer de "misc." ou de "galimafrée")

  • L'auteur Daniel Abraham réfléchit à une définition du Genre de la "high fantasy" contemporaine (qu'il appelle finalement "fantasy du second monde", et fait remarquer qu'une leçon morale d'un voyage initiatique est devenu une part importante du Genre.

    On a l'impression qu'il est évident que la fantasy est un récit manichéen mais cela est loin d'aller de soi. En fait, avant Tolkien, la neutralité axiologique est même assez courante. Ce n'est pas une critique ou un éloge, juste une constatation. L'heroic fantasy des pulps a parfois des héros amoraux (c'est peut-être ce qui explique que je n'aime pas Howard et Leiber, même le subversif Moorcock me paraît avoir des héros plus sympathiques). Dunsany ou Eddison sont les vrais créateurs du Merveilleux épique avec monde inventé, avant Tolkien (Dunsany le fait avant même la Grande Guerre, au début du XXe siècle, Eddison ne publie ses textes que dans les années 1920-1930, Tolkien commence la Chute de Gondolin en 1917 mais ne publie le Hobbit qu'en 1937), mais ni Dunsany ni Eddison (ni le rabelaisien-voltairien James Branch Cabell) n'ont la moralité romantique catholique de Tolkien, étant plus influencés par le symbolisme décadentistes.

    Parfois, des critiques disent que les mythes racontent un conflit cosmologique constant mais c'est une vision assez simpliste. Au contraire, les premières épopées sont dénuées de ce manichéisme, que ce soit l'Iliade (où ni les Achéens/Danaéens ni les Troyens ne sont pas "les méchants") ou même Mag Tured ou Mahabharata (qui ont certes un "mauvais camp" des Fomoriens ou des Kauravas mais avec des personnages ambigus dans ce camp et même un lien familial entre les deux).

  • Mon professeur de littérature d'hypokhâgne nous répétait souvent son crédo anti-psychologiste que les grandes oeuvres ne sont pas psychologiques mais métaphysiques. Un ami me dit aussi parfois que le cinéma de Bergman est "métaphysique" et non dramatique ou social. C'est une idée très courante de l'esthétique depuis l'existentialisme d'après-guerre et Sartre a beaucoup fait dans les Situations pour penser que l'oeuvre d'un grand artiste devait se penser comme une "métaphysique" implicite - l'idée ne se trouve pas aussi clairement chez Hegel mais elle pourrait déjà se trouver chez Bergson ou Proust.

    Mais le terme de "métaphysique" est vague et si toute oeuvre est une représentation par des concepts, elle peut toujours être potentiellement à certains degrés "métaphysique".

    Je peux entendre deux sens principaux. Le premier, plus classique, serait que l'oeuvre est une manière de traîter des questions métaphysiques classiques comme la réalité du monde, l'existence d'un agent organisant ce monde ou bien la réalité d'une action libre. Le second sens est plus "existentiel" (au sens moderne), moins thétique et plus "interrogatif", disant que la façon dont l'oeuvre se déploie pose une question sur l'existence humaine.

    Il n'y a pas de jugement de valeur dans la distinction. Le premier comme le second peuvent donner une certaine profondeur ou des clichés. Il y a à la rigueur une certaine distinction simplement historique mais rien ne prouve que le premier sens ne redevienne en fait le centre du goût après le goût qu'on appelle "moderne".

    Les romans allégoriques ou didactiques du goût baroques pouvaient être métaphysiques dans le premier sens. La Science Fiction ou Fiction spéculative - y compris celle de piètre qualité comme un film récent, la Matrice, qui recyclait sans grande imagination tous les problèmes classiques de réalité du monde extérieur et de la liberté - est souvent métaphysique au sens premier.

    Les romans contemporains depuis au moins Diderot ou Dostoievski sont plus métaphysiques au second sens - ils ne posent plus vraiment la question de l'être de l'étant (la réalité) ou de l'étant cause de tout (Dieu) mais bien plutôt de l'existence d'un étant humain qui se pose ce genre de questions et donc pour qui il ne peut échapper le fait que Dieu est mort ou que le sujet n'est qu'un point de vue sur le monde. C'est pourquoi l'aspect dialogique du roman contemporain en fait quelque chose de "métaphysique" mais en un sens dégradé au sens existentiel, alors que la SF - y compris la plus prétentieuse comme celle de Philip K. Dick est métaphysique au sens plus primaire ou plus direct.

  • J'envoyais à nouveau un lien à quelqu'un quand je me suis rendu compte qu'il fallait vraiment que j'arrête. Cela m'amuse toujours de recevoir des liens mais il y a une "économie" étrange de ces envois gratuits. On cherche à montrer le premier qu'on a trouvé un objet peu connu, à gagner ce qu'on croit inconsciemment être une sorte de capital imaginaire, et on cherche à gagner des parts du marché de nos correspondants. C'est le concept d'économie de l'attention. Dans un monde saturé d'informations gratuites, la valeur ne dépend plus du temps de production ou de la distribution des biens, mais seulement des parts de temps de la demande. La rareté n'est plus dans l'offre mais dans le "temps disponible" (selon la célèbre formule d'un grand medium français).

    L'Internet est ce domaine étrange prétendument sans "friction" (métaphore du loisir de "surf" pour la flânerie sans but du wilfage) où la hiérarchisation sociale se redistribue selon le temps dit libre. C'est un avantage "âgiste" en faveur des plus jeunes sans travail productif dans les pays développés, mais aussi un avantage pour certains types d'oisifs qui peuvent ainsi croire qu'ils occupent l'espace symbolique inversé par rapport à l'économie réelle.

  • La religiosité est fortement corrélée avec la pauvreté (voir aussi Kevin Drum). Décidément, la théologie dite de la prospérité, c'est vraiment n'importe quoi.

    Autre schéma très parlant : l'évolution des taux d'imposition américains par tranche de revenu depuis 40 ans. Pour l'équivalent français, on a aussi un tableau dans le livre de Piketty, Les hauts revenus en France au XXe siècle, p. 391-395 (voir ce pdf) qui indique une baisse forte des inégalités en 36-45 et une hausse assez régulière depuis le début des années 80.
  • 2 commentaires:

    1. Cher Phersu, je ne suis pas sûr que ton accusation sur l'excès de qualification de "métaphysique" soit totalement fondée. J'ai l'impression que bien souvent les journalistes-critiques littéraires passent à côté de cette qualification qui devrait s'imposer pour certains auteurs. Obsédés par la perspective "sociale" ou "psychologique", ils ignorent totalement cette catégorie pourtant pertinente pour des réalisateurs comme Bergman. Si le 'Septième sceau' n'est pas métaphysique, alors rien ne l'est... Or dans les trop rares comptes rendus qui ont été faits de l'oeuvre de Bergman dans la presse et les médias les plus en vue, je ne me rappelle pas avoir trouvé ce terme qui s'imposait pourtant. Les journalistes-critiques ont insisté sur le cinéaste du couple, de la femme etc. Il y aurait bien d'autres exemples avec d'autres écrivains ou cinéastes (Emmanuel Carrère, Atom Egoyan...). Sans doute as-tu raison de distinguer les deux sens du terme "métaphysique" appliqué à une oeuvre littéraire. Sans doute aussi la métaphysique appliquée, c'est-à-dire le film ou le roman à thèse, ne peut déboucher que sur des résultats littéraires médiocres (ex. le théâtre de Sartre). Une grande oeuvre, quand elle a une dimension métaphysique, l'acquiert comme quelque chose qui s'élève naturellement de son organisme, si l'on peut dire. Tout le contraire du corps mécanique de la pauvre oeuvre qui sert d'illustration à une thèse métaphysique.

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    2. Si le 'Septième sceau' n'est pas métaphysique, alors rien ne l'est...

      Mais ce que je voulais dire serait l'inverse : en un sens, oui, c'est métaphysique (ok, l'homme, la mort, la vie, c'est bien sûr une thématique de grands concepts transcendantaux), mais alors quelle oeuvre ne l'est pas ?

      Le fait même de représenter des personnages dans une pièce de théâtre, est un acte métaphysique où on simule le monde et on tend à l'allégorie (Spiel als Weltsymbol).

      Quelle que soit la théorie esthétique marxisante de Brecht, la Bonne Ame du Sichuan est métaphysique aussi (et encore plus dialogique), donc cela ne m'apparaît pas un critère bien défini.

      Sur la différence entre métaphysique "à thèse" et métaphysique "interrogative" ou existentielle, je suis d'accord.

      Mais cela m'apparaît alors assez loin du sens classique de la métaphysique (science a priori sur les premiers principes de la réalité) et plus proche du goût moderne pour le dialogisme (l'opera aperta).

      Donc je dirais que le qualificatif de "métaphysique" m'apparaît possible mais pas assez précis.

      Les oeuvres les plus authentiquement métaphysiques seraient plutôt du côté de certaines oeuvres à thèse (le problème du platonisme lourd de l'Astrée, ou certains concepts des Mystères et autos sacramentales) ou bien tout art est en un sens métaphysique.

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