mardi 15 janvier 2008

Déconstruire les origines de l'Islam



Les origines du christianisme comme secte juive sont moins mystérieuses que celles de l'Islam, qui se perd encore plus dans des passages sans écriture. Le Coran tel que nous l'avons aujourd'hui doit dériver d'une version qui date au mieux de la standardisation du texte par le Successeur Uthman ibn Affan vers 650 (vers 30 de l'Hégire), soit vingt ans après la mort du personnage prophétique (s'il est historique), alors que les lettres de Paul transforment sans doute la religion chrétienne jusque quelques années après sa mort (même en supposant que les Synoptiques sont bien plus tardifs).

Il y a bien le manuscrit de Sanaa au Yémen, qui daterait aussi du premier siècle de l'Hégire et serait le plus ancien Coran (on ignore encore l'étendue de la divergence avec la version standardisée d'Uthman. Le manuscrit est étudié depuis 30 ans par Gerd Puin, qui dit que le manuscrit prouve que des passages qui sont considérés comme "clairs" dans la version normale ont été éditées et corrigées par rapport à cette version. Selon Puin, le Coran serait en fait une compilation de textes hétérogènes, qui auraient été obscurs dès l'époque de Mahomet (il y a un article du néo-con "Spengler" aujourd'hui dans Asian Times, mais on n'y apprend rien d'autre à part les obsessions habituelles de l'auteur).

En gros, le problème est de savoir ce que faisait vraiment Mahomet (ou quiconque a vraiment fondé la religion), avant la couche de sédimentation des révisions textuelles. Il y a en gros deux théories d'après quels textes on prend comme principaux : celles d'un courant surtout judaïsant ou d'un groupe chrétien anti-trinitaire.

Patricia Crone et Michael Cook ont développé la théorie audacieuse d'une origine surtout juive, avec la théorie du "hagarisme", où les premiers Musulmans auraient été des convertis à une forme de judaïsme et où Mahomet aurait repris le rôle du Messie pour refonder le Temple à Jérusalem. Le livre présentait l'originalité d'exposer des sources contemporaines extra-musulmanes, mais donc hostiles, et la thèse sceptique a eu surtout l'intérêt d'attirer l'attention sur la critique historique de ces origines, sans que l'argument soit pris au sérieux par la communauté des chercheurs.

Le deuximème courant, moins révolutionnaire mais plus convaincant, voit dans le proto-islam surtout une secte chrétienne issue du nestorianisme anti-trinitaire (Jésus est lui-même double comme humain et comme Logos, au lieu d'être une personne avec deux natures). La thèse était défendue par l'orientaliste américain John Wansborough, le théologien protestant Günter Lüling et peut-être le pseudonyme "Luxenberg" (celui qui propose la théorie que l'Islam viendrait d'une erreur de retranscription de signes diacritiques qui changeraient des mots syriaques en d'autres mots arabes, ce qui ferait du Coran une des plus incroyables erreurs de traduction de toute l'histoire de la civilisation.

De même que Jésus aurait été mal compris et modifié en créateur d'une nouvelle religion, Mahomet aurait évolué du statut de révolutionnaire chrétien à celui de nouveau sceau des Prophètes d'une religion qui se modifia et se différencia encore après sa mort avec l'extension militaire des "Successeurs". [Dans le cas des Mormons, c'est un peu l'inverse, ils prétendent toujours publiquement dénier et amoindrir la différenciation avec la religion originale qu'ils ont révisée]

Un des aveux les plus fascinants de cette religion est le fait que le texte est censé être anhistorique, rédigé par Allah avant la création du monde, et en même temps que les contradictions internes sont attribuées à une révélation progressive et à une opposition entre les textes plus conciliants du début à la Mecque et des législations plus violentes à Médine. On peut aussi se demander pourquoi il n'y a pas plus de versets sataniques en plus des rétractations internes. Ces versets sataniques (dont l'histoire est refusée par les musulmans orthodoxes mais cela reste un folklore amusant) viendraient d'un passage de la Sourate 53 (l'Etoile). Le passage actuel des lignes 19-23 dit :
"Que vous en semble [des divinités] Lat et Uzza, ainsi que Manat, cette troisième autre ?
Sera-ce à vous le garçon et à Lui la fille ? Que voilà donc un partage injuste ! Ce ne sont que des noms que vous avez inventés, vous et vos ancêtres. Allah n’a fait descendre aucune preuve à leur sujet. Ils ne suivent que la conjecture et les passions de [leurs] âmes, alors que la guidée leur est venue de leur Seigneur."

Mais le verset oral originel du Prophète aurait été (sous l'inspiration de Satan, dit-on) :

"Que vous en semble [des divinités] Lat et Uzza, ainsi que Manat, cette troisième autre ?
Ce sont les Gharaniq exaltées dont on espère l'intercession (tilk al-gharaniq al-'ula wa inna shafa'ata-hunna la-turtaja)."

On ignore ce que sont des Gharaniq (pluriel de Gharnuq, des oiseaux ou de jeunes personnes ?) mais le texte aurait donc dit que les Mecquois pouvaient continuer de prier leurs trois Déesses Lat, Uzza et Manat, en plus d'Allah. Les orthodoxes voient dans ce récit une simple calomnie de polythéistes mecquois. Mais il est amusant que cette différence de textes (et de traces de l'oralité) se place sur sur ces Déesses, sur le déni du féminin dans le monothéisme patriarcal. La correction du texte était l'élimination de ces énigmatiques gharaniq dont personne ne comprend la signification.

Le simple fait que Mahomet ait conservé le nom d'Allah (la contraction possible d'al- et ʾilāh, dieu, pour former Le Dieu, Allāh avait aussi son équivalent au féminin avec la contraction d'al-ʾilāha pour la déesse al-Lāt) et surtout toute le Pélerinage à La Mecque avec son culte des météores (bétyle de la Kaaba) prouve à quel point il était assez opportuniste pour concilier son monothéisme intransigeant avec les realités économiques du culte local et les revenus du tourisme pour son clan.

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