vendredi 4 avril 2008
Babel d'escaliers et d'arcades
Je suis allé voir Paris de Cédric Klapisch, notamment parce que l'histoire est filmée du haut d'un immeuble de la place Martin Nadaud, juste à côté de chez moi et que les angles sur Paris sont donc à peu près ceux que je vois moi aussi sur les arbres du Père Lachaise.
Le film a été descendu par presque tout le monde (sauf La Croix, c'est dire). Pour utiliser un cliché parisien, les Parisiens l'ont trouvé mièvre et donc trop carte postale pour touristes, et les Provinciaux l'ont trouvé prétentieux et donc trop typiquement parisien. Libération avait eu une bonne comparaison : il essaye de faire quelque chose d'aussi réussi qu'On connaît la chanson de Resnais et Bacri/Jaoui (et il y a même des sortes de pastiches de ce film, avec les scènes du professeur d'histoire joué par Fabrice Lucchini qui reprend des scènes de Jaoui) mais le résultat est plutôt juste au-dessus d'un Claude Lellouche (aïe) et moins inventif même qu'Amélie Poulain (la boulangère raciste semble sortie du marchand de fruits de ce film). L'histoire est un jeune homme qui apprend que son coeur va le lâcher et qui savoure soudain la respiration de la ville autour de lui, avec plusieurs histoires du genre "film chorale", que j'apprécie beaucoup quand c'est du Ettore Scola.
Pourtant, on peut quand même défendre quelques éléments :
1 Le film est certes lourdingue dans le panorama touristique, qui ferait penser à d'autres hymnes à la ville ou même à un clip financé par la RATP. Mais bon, c'est Paris, et c'est toujours un bon acteur. Mon reproche principal serait l'absence des Passages. Un film qui se veut prétentieux et baudelairien sur Paris ne peut pas se permettre de ne pas avoir au moins un des Passages.
2 Pour un film obsédé par le Lieu, tout se renverse et le film prend comme vrai thème la superposition des époques dans l'espace. Tout le film a une morale assez traditionnelle, à la Capra (en gros, réconciliez-vous avec la vie), mais le refrain est bien plus sombre.
Tous les personnages exhibent non pas une simple "râlerie" sans motif mais bien une angoisse devant la mort et le temps (ou le renouvellement dans la crainte de la Greffe de l'organe, ici la Chair de Rungis qui est l'ancien Ventre des Halles et qui répond à l'attente de la greffe cardiaque).
Tous les personnages ne cessent de regarder des photos de leur passé. L'Historien joué par Lucchini a sa crise face au fantôme du Père dans les Catacombes de la ville. Il montre à son frère l'Architecte (le seul personnage à être angoissé par le futur et non par le Néant) ce qu'était Paris avant que ses tours digitales transparentes ne sortent de terre. Les deux frères, l'Historien spécialiste de Hausmann et l'Architecte qui est en train de le renouveler Hausmann, se retrouvent aussi dans une opposition entre les deux Bibliothèques nationales : la "vraie" BN Richelieu de l'Historien au début et la TGBN impersonnelle et vide de l'Architecte où il vit mais ne peut plus travailler.
3 On revoit passer Mme Renée Lacalm (la Vieille Mme Renée de Chacun cherche son chat) pour représenter cette peur du vieillissement et les superpositions du passé.
4 Je trouve la scène de la psyhanalyse (Maurice Bénichou) finalement assez convaincante alors que c'est un genre épuisé au cinéma. Finalement il doit rester à Klapisch des éléments de son Master à NYU sur Woody Allen. Il a bien vu la dimension d'exorcisme et de Nekuya qui y est engagée.
5 Certaines scènes politiquement correctes auxquelles on s'attend sur Benoît l'Immigrant et Khadija l'Auvergnate (allusion lourde à Dati ??) ne s'apesantissent pas autant qu'on pourrait le craindre.
6 Je déteste d'habitude Juliette Binoche (Elise, la soeur de Pierre) et cette fois je l'ai trouvée assez touchante.
7 Je n'étais pas convaincu par certains choix de casting de mannequins dans Les poupées russes (qui est netement plus raté que le précédent), mais ici le personnage de "Marjolaine" représente bien toute l'attraction ensorcelante de la ville, avec une sophistication artificielle d'une Kate Moss (dommage que la scène à Rungis soit aussi ridicule). Il s'agit de la mannequin Audrey Marnay.
8 On y entend du Wax Tailor, mon arrangeur trip hop favori (qui récupère bien l'ambiance des films des années 40), ce qui ne peut que me rendre heureux.
D'ailleurs je suis allé acheter Hope & Sorrow de Wax Tailor aussitôt en sortant (avec le Concerto pour piano en ré majeur, Op. 13 de Britten, dont le troisième mouvement, l'Impromptu servait de musique à Pas de scandale avec le même acteur Lucchini en 1998).
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