mardi 29 avril 2008

L'hypostase et les natures



  • Rappel de vocabulaire : identité et contrepartie


  • En métaphysique sur l'identité, on a deux grands choix :

    • (1) soit on considère que l'identité n'a qu'un seul sens, strict, identité logique, et en ce cas on ne peut pas vraiment appliquer l'identité aux objets concrets, qui peuvent changer (parce que si "a = b" alors nécessairement, par la Loi de Leibniz, a et b ont les mêmes propriétés), on doit "simuler" l'identité par une autre relation moins stricte qui n'aille pas avec la Loi de Leibniz, par exemple la "coïncidence" ;

    • ou bien

    • (2) on suppose vraiment que cette identité au sens strict peut s'appliquer au changement et aux accidents, mais cela conduit à une métaphysique qui doit soit indexer les propriétés à des temps ou des mondes et distinguer une essence-substance de l'objet et ses propriétés (par exemple le monadisme de Leibniz).



    La théorie des contreparties de Lewis entre dans la première catégorie, d'ersatz d'identité. L'identité vraie conserve toutes les propriétés habituelles mais ce qu'on appelle parfois identité au sens ordinaire est en fait la relation de contrepartie (ou de survie, dans le cas de l'identité personnelle). Cette relation peut être très vague, ne pas même être une relation d'équivalence si on le stipule ainsi et admettre des relations non-bijectives.

    Dans le cas des possibilités, Pierre-qui-renie (Petrus peccator) a des contreparties "Pierre-qui-ne-pèche-pas" dans d'autres mondes possibles mais elles ne sont pas identiques, seulement homologues.

    Dans le cas du changement temporel, vous (tel que vous êtes aujourd'hui) avez une contrepartie hier, qui n'est pas strictement identique avec vous-aujourd'hui, même si vous-hier et vous-ajourd'hui sont des parties d'un objet qu'on peut appeler vous.

    La théorie des contreparties indexe les parties étendues spatio-temporelles d'une entité mais les propriétés appartiennent de manière intemporelle à chaque partie alors que la substance classique contraint à indexer les propriétés accidentelles et transitoires par rapport à une substance intemporelle.

  • Personne et puissances de la phusis


  • Je rappelle ce vocabulaire seulement pour résumer un petit post intéressant de christologie chez Metaphysical Values.

    J'ai souvent pensé aux dieux comme de bons exemples d'entités non-existentes qui pouvaient être intéressante à analyser logiquement en raison de leur statut normatif (les fictions artistiques sont moins rigides dans le statut normatif). Aucun dieu n'existe (sans doute) dans le monde actuel et pourtant il y a bien un sens à définir comment tel dieu X ressemble plus ou moins à tel dieu Y. Le comparatisme a besoin de critères dans ses contreparties.

    La théorie officielle du Crédo trinitariste est "1 = 2 = 3", "Un seul Dieu, mais Trois Personnes" et dans le cas de la Seconde Personne, "Une seule Personne mais Deux Natures", nature divine et humaine. C'est un problème puisque cette Seconde Personne, Dieu et Homme, a des propriétés contradictoires pour ses deux natures : un Dieu est omnipotent alors qu'un humain est par nature non-omnipotent.

    Le théologien américain contemporain (et essayiste populaire) Thomas Morris résout le problème en disant que la Seconde Personne est complètement de nature humaine mais que cela n'exclut pas et ne contredit pas les propriétés surhumaines.

    Le problème est que si la nature humaine n'exclut pas a priori les attributs de perfection, d'omnipotence, d'omniscience, alors cela signifie que ce n'est qu'un fait contingent s'il n'y a pas d'humains qui présenteraient ces attributs. Les hommes ne sont pas actuellement omnipotents mais rien n'empêcheraient qu'ils le soient. Le post-humanisme et le polythéisme (du genre de l'exaltation mormonne) me paraîtraient une conclusion possible de ce raisonnement.

    Ross Cameron propose donc une autre solution se fondant sur les théories de contreparties. De même que vous (aujourd'hui) n'êtes pas identique mais seulement une contre-partie de ce que vous auriez pu être (ou étiez hier), de même JC aurait deux natures divines et humaines : JC-divin satisfait les prédicats divins et JC-humain non, mais JC-humain et JC-divin sont deux modes de la même personne JC.

    JC-divin a la propriété d'être omnipotent : dans tous les mondes possibles, il fait tout ce qu'il veut. JC-humain n'a pas cette propriété. JC-humain ne sait pas tout mais JC-divin a accès à toutes les propositions.

    Le côté qui déplairait à certains théologiens est ce qu'on pourrait appeler la contigence existentielle de l'identité. JC est nécessairement identique à JC, JC-divin existe nécessairement (or la théorie du réalisme modal de Lewis a des problèmes à traiter une vraie identité transmonde d'une entité concrète nécessaire, si ce n'est pas seulement un ensemble ou une classe), mais JC-divin n'est pas nécessairement identique à JC-humain, parce que JC-humain auraient les propriétés de contingence (il aurait pu ne pas exister et donc JC-divin aurait pu ne pas s'incarner en lui). JC-divin serait essentiellement identique à la Seconde Personne alors que JC-humain ne serait qu'accidentellement "identique", "coïncidant" avec le Fils sans être nécessairement identique à cette entité censée être nécessaire.

    Cela flirte finalement un peu avec la doctrine deux personnes-deux natures (Nestorianisme) ou bien les deux natures comme deux aspects séparables (un peu comme la variante apollinariste du monophysisme où la distinction des deux natures est comme la différence psychique de l'âme animale et l'âme intellectuelle).

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