mercredi 7 janvier 2009

La Laïcité "négative" au Kerala



Au moment où notre Président tartuffe importe le concept de "positive secularism" des fondamentalistes hindous du BJP (où c'est un mot codé pour redonner de l'importance à la religion de la majorité), l'Etat du Kerala propose au contraire de développer une politique de laïcité plus "neutre" et audacieuse contre le "communautarisme" irénique du sécularisme nehruvien (qui cherchait avant tout le compromis avec la minorité musulmane).



Le Kerala (le long de la côte sud-ouest, environ 33 millions d'habitants sur 1,13 milliard d'Indiens) est un Etat très particulier dans l'Union indienne.

Le taux d'alphabétisation y est relativement élevé (presque 90% alors que la moyenne indienne tourne plutôt autour de 60%). Le niveau de développement humain et de systèmes de santé y est supérieur au reste du pays. C'est le seul Etat indien où les femmes soient plus nombreuses que les hommes, ce qui est un signe de coutumes moins misogynes pour la dot et le mariage. Le Kerala a aussi le plus bas taux de croissance démographique. [C'est aussi l'Etat d'origine de l'écrivaine Arundhati Roy (qui a pu être critique à l'égard du castisme encore présent). ]

L'Hindouisme y est un peu moins dominant (56% de la population contre 80% pour toute l'Inde). L'Islam (25% contre 13% pour toute l'Inde) et le Christianisme (19% contre 2% pour toute l'Union) sont des minorités plus importantes qu'ailleurs, en partie à cause de vieux conflits sociaux fondés sur des statuts rigides des basses castes.

La gauche marxiste y a été très influente et le Kerala fut sans doute l'un des rares Etats du monde (avec San Marin et Guyana) à avoir eu une démocratie dirigée par un Parti communiste élu légitimement en 1957-1959 et 1967-1969.

Aujourd'hui, le Front démocratique de gauche (dont la composante majeure est le PCI(m) Parti communiste indien qui précise "marxiste" entre parenthèse) a repris le pouvoir aux élections de mai 2006. Le Premier ministre est Velikkakathu Sankaran Achuthanandan du PCI(M) et il est assez controversé à l'intérieur du Parti.

V.S. Achuthanandan a mis en place depuis 2006 une Commission de réformes des lois, dirigée par des Juges de la Cour Suprême, et les propositions actuelles de cette Commission, qui doivent être annoncées dans 15 jours, vont assez loin :

- les Temples hindous devraient accepter des Prêtres qui ne soient pas de caste brāhmaṇa (1,6% de la population) ;

- la polygamie musulmane serait interdite par l'Etat (sauf en cas de consentement de la première épouse devant notaire) ;

- les biens fonciers des Eglises chrétiennes seraient gérés par une fondation.

Il y a d'autres aspects dans cette réforme du Code dont l'autorisation de l'euthanasie et des lois plus sévères pour soutenir la politique malthusienne des deux enfants maximum. Mais dans une religion fondée sur la différence sacrée entre les castes pour tous les rituels, imposer des Prêtres de castes "inférieures" peut apparaître comme un acte plus radical que si la France d'Émile Combes avait voulu imposer des prêtres femmes mariées à l'Eglise catholique...

Il faut dire que les écoles hindouistes du Kerala ne sont pas standards. La majorité des populations hindoues appartiennent à des groupes d'anciennes castes "martiales", les Ezhava (plus de 20% de la population) et les plus "aristocratiques" Nair, qui n'appartiennent pas au classement traditionnel des castes "classiques" (les varṇa). Beaucoup des Chrétiens et Musulmans sont en fait d'anciens Ezhavas et autres avarṇa (hors-castes) qui se sentaient opprimés dans le système hiérarchique de l'Hindouisme brahmanique puisqu'ils n'étaient pas assez "purs" pour toucher les routes menant à des Temples. Le Premier ministre V.S. Achuthanandan est lui-même d'origine Ezhava (mais il est un marxiste orthodoxe).

Avant même l'indépendance de l'Inde et la création de l'Etat de Kerala, le Prince Chithira Thirunal Balarama Varma, le dernier Mahārāja du Travancore, créateur de l'Université du Kerala, avait proclamé le 12 novembre 1936 l'autorisation pour les membres des basses castes d'entrer dans les Temples hindous du Travancore, vieille réclamation des Ezhava, et cette proclamation est encore considérée comme le début des réformes sociales des Intouchables au Kerala.

On ne doit donc pas s'étonner que les réactions positives viennent surtout des Hindous des castes Ezhava.


Muslim cleric and leader Kanthapuram A.P. Aboobacker Musaliyar said that they would object to any reforms that go against their religious beliefs.

Similar sentiments were echoed by Stephen Alathara, spokesperson of the Kerala Catholic Bishops Conference who said for the Christians 'it is the canon law which matters and not laws framed here'.

But Velapaly Natesan, leader of the Ezhava Hindu Community welcomed the proposed reform of non-Brahmins being appointed as temple priests.


En passant, la sécularisation kéralaise pourrait remettre en cause l'hypothèse du modèle d'économie religieuse (dont je parlais la semaine dernière) selon laquelle les Etats à forte religion monopolistiques (comme la France ou la Suède) vont plus se séculariser que des Etats avec marché religieux "pluraliste" (comme les USA). Le Kerala conforte plutôt, comme nos intuitions sur la Hollande de l'époque classique, l'impression que des marchés "concurrentiels" peuvent conduire à une neutralisation religieuse.

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