jeudi 26 mars 2009

Nul n'écoute Cassandre





Connaissez-vous Byron Dorgan ?

Sénateur démocrate du minuscule Dakota du Nord depuis maintenant 17 ans ? Le hasard des prédictions en fait un devin étrangement prescient, même sur le délai.

Voilà ce qu'il déclarait il y a dix ans en 1999 au moment où le Congrès républicain fit passer la dérégulation des Banques réclamée par les milieux d'affaires, et avec le consentement de l'administration Clinton finissante :


"I think we will look back in 10 years' time and say we should not have done this but we did because we forgot the lessons of the past, and that that which is true in the 1930's is true in 2010,'' said Senator Byron L. Dorgan, Democrat of North Dakota. ''I wasn't around during the 1930's or the debate over Glass-Steagall. But I was here in the early 1980's when it was decided to allow the expansion of savings and loans. We have now decided in the name of modernization to forget the lessons of the past, of safety and of soundness.''


Monsieur Dorgan est peut-être tombé juste par une simple coïncidence mais c'est impressionnant et cela conduit toujours à ce doute : était-il plus chanceux ou seulement plus sérieux et lucide dans son idée que les idées de 1930 pouvaient avoir un sens pour les théories plus raffinées de 2000 ?

Le Gramm-Leach-Bliley Act de 1999, loi du Sénateur Phil Gramm (le conseiller économique de John McCain) abrogea certaines parties du Glass-Steagall Act de 1933, qui avait été justement mis en place par l'Administration Roosevelt à cause de la Crise de 1929.

Les effets furent entre autres de permettre aux grandes banques commerciales et d'investissement ou les groupes d'assurances de fusionner, créant d'immenses groupes qui se retrouvèrent curieusement avec des ailes de géant qui les empêchent de marcher. La mise en concurrence accrue de ces grands groupes comme Lehman ou CitiGroup conduisit à une sorte de course aux armements financiers dans les investissements hasardeux.

D'un autre côté, les défenseurs de la Loi de Gramm (je ne veux pas l'appeler "GLB", acronyme qui a d'autres usages) répondent que l'absence de ces régulations en Europe n'avait pas eu ces effets toxiques.

La question de la grande crise de 2008 est en partie controversée mais il semble que la dérégulation put jouer un rôle pour développer la masse des Credit Default Swap (CDS, dérivés sur événement de crédit), les fameux contrats d'assurances sur des crédits financiers qui ont encore plus répandu les effets de contagion des actifs toxiques (voir Matt Taibbi).

Dans son splendide article sur la saga de Joseph Cassano d'AIGFP, Matt Taibbi a une formule hyperbolique dont il a le secret sur la Loi de Gramm :


Cassano's outrageous gamble wouldn't have been possible had he not had the good fortune to take over AIGFP just as Sen. Phil Gramm — a grinning, laissez-faire ideologue from Texas — had finished engineering the most dramatic deregulation of the financial industry since Emperor Hien Tsung invented paper money in 806 A.D.


Le problème ne fut qu'aggravé ensuite par une autre loi soutenue par le même Phil Gramm, le Commodity Futures Modernization Act (2000) qui permettait aux produits financiers bancaires de ne plus être régulés comme les autres contrats à terme.

On retrouve le débat entre la gauche et la droite des Démocrates sur ce sujet, comme pour le plan Geithner. Krugman et Stiglitz pensent que la Loi de Phil Gramm facilita la crise alors que Brad DeLong (ou Bill Clinton) pense que c'est discutable et qu'elle put atténuer certains aspects après coup en permettant aux Banques comme Bank of America de racheter Merril-Lynch. Cet argument me paraît fragile car il ne contredit pas l'idée que la Loi put causer la crise, tout en facilitant certaines manoeuvres pour lutter contre certaines faillites ensuite.

Kevin Drum défend la Loi de Gramm en disant qu'après tout l'assureur AIG aurait été ruiné par les CDS même sans cette dérégulation, et qu'on est donc un peu dans un cas de "post hoc, ergo propter hoc" (confondre succession et causalité). La bulle immobilière aurait pu avoir lieu sans la Loi de Gramm mais les problèmes d'AIG n'ont-ils pas été eux causés par un système général d'explosion des loteries financières sur la bulle immobilière ?

Add. Yglesias a un jugement plus subtile, disant que Dorgan était bien prophétique mais pas pour les raisons évidentes de prime abord : il avait raison de dénoncer un ensemble de croyances irrationnelles qui ont favorisé la Crise, même s'il serait trop simple de dire que parce que sa prédiction sur les effets de la dérégulation s'est réalisée, elle était donc rétroactivement exacte.

Voilà une interview de Dorgan : "Ce n'était pas une Boule de Cristal, ce n'était que du Sens commun". Il rappelle aussi que 8 Sénateurs seulement sur 100 votèrent Non contre la Loi de Gramm.

3 commentaires:

  1. Si Dorgan avait été écouté, si l'on n'avait pas dérégulé et si la catastrophe n'était pas arrivée, personne aujourd'hui ne lui en serait reconnaissant.
    Comme l'écrit Nassim Taleb "nous [les humains] sommes très injuste".

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  2. On pourrait même lui reprocher encore son principe de précaution trop timoré.

    C'est aussi le problème de tous les contre-factuels quand on évalue une politique.

    A chaque fois qu'un Parti met en place une politique et que les résultats sont décevants, ils pourront toujours dire que les résultats auraient été encore pires sans leur politique et il n'est pas toujours possible de vérifier.

    C'est ainsi que le gouvernement actuel peut dissimuler la hausse du chômage causée par l'exonération des heures supplémentaires dans la hausse plus considérable et plus générale causée par la Crise.

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