lundi 20 avril 2009

Un débat sur les hausses d'impôt pour les plus riches



The Economist a organisé un Débat sur la thèse que les riches devraient payer plus d'impôt.

  • Pro: Thomas Piketty défend la proposition et propose au lieu du bouclier fiscal à 50% un impôt de 80% sur ceux qui touchent plus d'un million d'euros par an (en gros 0,2% de la population, cela ne concernerait donc pas 99,8% des gens).

    Il a trois arguments. (1) L'argument politique est que les inégalités se sont creusés et ont de plus avantagé les plus riches : les 1% les plus riches passant de 10% du PIB vers 1979 à 23% aujourd'hui, ce qui revenait aux taux de 1928. Or l'indignation sur ces inégalités croissantes pourraient avoir des effets plus gênants contre l'économie (par exemple par le protectionnisme) qu'un impôt plus progressif. (2) L'argument économique est que dans le cas des très hauts salaires des dirigeants d'entreprise, il n'y aurait pas d'effets de distorsion du marché ou d'effets sur la productivité d'ensemble. (3) L'argument historique est qu'un tel taux de 80% ne ferait que revenir à des taux de la période de Roosevelt, et même à tout le taux moyen de FDR jusqu'à Reagan, sans que cela gêne la croissance économique du capitalisme.

  • Contra Chris Edwards (économiste auprès du Cato Institute, fondation libertarienne) répond que le quintile supérieur paye déjà proportionnellement plus (il est pour un taux unique pour tous...) et qu'au contraire l'Etat disposerait de plus d'argent s'il baissait encore plus les impôts sur les tranches supérieures qui augmenteraient alors leur production et auraient moins de raisons pour faire de l'évasion fiscal. Toute hausse d'impôt coûterait en fait plus cher qu'elle ne rapporterait en baissant la productivité. La majorité des contribuables sont des parasites sur ce quintile plus producteur saigné par l'Etat. Augmenter les impôts augmenterait les programmes gouvernementaux inefficaces et corrompus et gênerait la croissance. Il finit en citant l'exemple canadien qui a pu réduire les impôts et la dette en même temps.

  • Pro Piketty répond que les faits ne confirment pas la théorie qu'une hausse d'impôt sur la tranche supérieure ferait baisser ainsi la croissance. Les gains des PDG les plus favorisés (par exemple les PDG d'AIG) bénéficient d'externalités et non pas de leurs apports réels à la production. Le but de la hausse d'impôt sur les 1% n'est pas d'augmenter les revenus fiscaux mais de limiter cette défaillance du marché et une inégalité croissante.

  • Contra Le Libertarien répond qu'il n'y a pas eu de transfert des revenus puisque les plus riches ont créé plus de richesses, par exemple Steve Jobs d'Apple. (1) Argument politique : Si leurs revenus ont augmenté après les baisses d'impôts, c'est qu'ils étaient trop imposés avant. Il serait injuste de faire ainsi des exceptions pour les plus riches. (2) Argument économique : Les salaires et compensations des PDG sont en partie dépendants du Marché aussi. (3) Argument historique Les taux élévés d'imposition pouvaient exister avant la Crise de 73, à l'époque des cours d'échange stables et avant l'explosion des mouvements de capitaux qui a mis en concurrence les systèmes fiscaux et a donc conduit nécessairement à cette baisse d'impôt.

  • Pro Enfin, Piketty répond qu'il veut défendre l'économie de marché par ce taux d'imposition (à la place d'une intervention directe du gouvernement). il reconnaît que l'évasion fiscale et la mise en concurrence des systèmes crée des externalités. Cela peut se règler au niveau fédéral des USA ou de l'UE, en faisant aussi pression sur les "paradis" fiscaux.

  • Contra Edwards conclut que Piketty est un dangereux extrémiste mais qu'il a l'Histoire contre lui et que les impôts continueront de baisser. Johnny Halliday prouve que des impôts trop élevés conduisent à une fuite des cerveaux. La hausse toucherait des entrepreneurs comme Bill Gates et briderait leur créativité en nuisant au cercle vertueux des investissements. La conclusion est morale : Piketty serait trop abstrait et ne connaîtrait pas assez les vrais entrepreneurs.


  • Le vote final du débat fut finalement presque à 50/50% avec une victoire mince pour Piketty.

    Un des éléments du débat que je n'ai pas compris est celui sur "l'élasticité" des gains du Capital. Edwards disait qu'elle était près de 1, Piketty qu'elle était nettement en deça de 0,5, mais je ne comprenais pas bien l'enjeu.

    Edwards a les passages les plus involontairement drôles (Johnny Halliday comme preuve de la fuite des cerveaux, il fallait oser). Je suis bien sûr biaisé en faveur de Piketty en raison de mes préjugés sociaux-démocrates - surtout qu'il est contre-intuitif de voir le Libertarien parler d'extrémisme alors que ses propres propositions d'un taux unique, Flat Tax, n'existe quasiment qu'à la droite la plus ploutocratique du Parti républicain. Il est dommage que Piketty ne réponde pas toujours à tous les arguments d'Edwards (mais d'un autre côté l'usage qu'Edwards fait de Saez me paraît hors-sujet).

    On ne peut pas s'empêcher en lisant Edwards de penser à la célèbre citation H.L. Mencken (lui-même d'ailleurs un anti-rooseveltien primaire) sur le fait que l'économie, la "Dismal Science", est une "science serve", comme la théologie, car "L'économie politique touche les employeurs des professeurs là où ils vivent".

    Quand Edwards dit que le phénomène le plus marquant de ces trente dernières années est la violence fiscale contre les plus riches même quand leurs revenus explosent, on n'a plus de doute qu'on est dans l'idéologie pure.

    4 commentaires:

    1. Sur la notion d'élasticité de la substitution capital/travail, je te renvoie à l'un des ouvrages de Piketty, "L'économie de siniégalités", pp31 à 35. En bon pédagogue, il explique ça très bien.

      Sinon, je bloque un peu sur le dernier "Contra" d'Edwards : réussir à illustrer la fuite des cerveaux en prenant notre Jojo national, c'est un bel exploit !

      RépondreSupprimer
    2. Comment que vous êtes cité sans être cité par The Blogger Formerly Known as versac, que c’est trop la classe… :oP

      Sur le même sujet : Taxer les riches ? Oui… mais pourquoi ?

      RépondreSupprimer
    3. > MM
      Ah, mais je n'ai pas le Piketty.
      Maintenant que Saez a eu le Prix John Bates Clark, je me demande comme Yglésias pourquoi Saez seulement ? Plus connu dans les citations ? Moins connu idéologiquement que Piketty ?

      > MB
      Où ? Dans la Démocratique numérique (joli titre tocquevillien) ? Ou il a repris une nouvelle adresse en plus des twitters ?

      RépondreSupprimer