dimanche 5 juillet 2009

"Longévité d'une imposture : Michel Foucault"



"Le programme doit être vide"
M. Foucault, Dits et écrits n°293.

Jean-Marc Mandosio est un historien, spécialiste de magie et d'occultisme au Moyen-Âge et à la Renaissance, mais il a publié sur des sujets très divers allant du Situationnisme de Guy Debord à l'histoire du Rock'n Roll ou (pour simplifier) la critique de la Technique.

Dans son dernier recueuil chez l'éditeur situationniste (critique) de L'Encyclopédie des Nuisances (qui, en cohérence à leur critique du monde industriel, n'a pas de site Web), D'or et de sable, Interventions éparses sur la critique sociale et l'interprétation de l'histoire, agrémentées d'observations sur l'art de lire et sur d'autres matières, tant curieuses qu'utiles, Paris, 2008, J.-M. Mandosio écrit un long article contre la méthode de Foucault en histoire : "Longévité d'une imposture : Michel Foucault" (p. 171-236, déjà publié en espagnol dans Resquicios : Revista de Crítica Social n°4, 2007).

Les critiques contre Michel Foucault sont de divers types dans l'article. La plupart sont plutôt morales : il insiste sur les revirements opportunistes de Foucault et ses dénégations, ses contradictions et certains propos outranciers, qu'on peut lire même dans la biographie peu critique de Didier Eribon, par exemple dans sa période para-maoïste où il appelait au lynchage contre les Tribunaux. C'est la partie la plus amusante de l'article, mais après tout, l'individu pourrait être une girouette de l'air du temps tout en ayant un apport intéressant. D'autres critiques sont simplement stylistiques, par exemple sur son langage artificiellement obscur et mallarméen (hélas, sans donner d'exemples alors qu'un petit florilège de certains énoncés aurait pu renforcer cette attaque, qui devrait certes sauter aux yeux de ceux qui ont essayé de lire jusqu'au bout Les mots et les choses, qui tiennent parfois plus de l'exercice rhétorique).

Mais J.-M. Mandosio veut critiquer Foucault à la fois comme philosophe (et en cela, la critique morale ou stylistique n'est pas hors-sujet pour critiquer les risques d'imposture) et comme historien des "systèmes de pensée".

L'expression "histoire des idées" était formée par l'érudit américain Arthur O. Lovejoy sur un presupposé "continuiste". Lovejoy n'était pas naïf et était même particulièrement conscient de l'éminente historicité des idées mais il pensait que certaines idées formaient des noyaux cohérents qui pouvaient subsister à travers diverses époques et à travers des métamorphoses. On a parfois simplifié sa théorie comme s'il avait cru à une philosophia perennis transhistorique mais c'est le contraire : il nuançait toujours des douzaines de définitions de concepts proches.

Un des renoms de Michel Foucault fut de rejeter tout ce continuisme des Idées en affirmant qu'il faisait l'archéologie de "strates" hétérogènes, des systèmes de pensées séparés qu'il appelait "épistémé" (des épistémai ?). Comme le dit Mandosio, cette prétendue rupture était en fait extrêmement consensuelle dans ce qu'on appelle l'épistémologie historique française des sciences depuis Gaston Bachelard et Georges Canguilhem. Pour Bachelard par exemple, l'alchimie n'a rien de commun avec la science chimique, malgré quelques intersections accidentelles parce qu'elle relève de l'imaginaire et non de la rationalité scientifique, consitutée de manière systèmatique dans la rupture épistémologique avec Lavoisier. Notre rebelle généralisait donc lui-même la tendance de ses maitres sur ce point.

J.-M. Mandosio me semble négliger une partie de la formation de Foucault quand il dit que l'épistémé ne serait qu'un nom chic pour une sorte d'ensemble de paradigmes de Thomas Kuhn (un paradigme est un état d'une théorie scientifique admise par une communauté alors que l'épistémé désignerait de manière plus nébuleuse un ensemble de concepts plus généraux qui dicteraient les rapports entre les diverses sciences de toute une époque). Mandosio dit justement que cette "épistémé" est une "historicisation" du concept kantien de schématisme, mais c'est un point sur lequel a insisté Béatrice Han dans son examen critique, L’ontologie manquée de Michel Foucault. Entre l'historique et le transcendantal, 1998. Comme le disait avant Han Gérard Lebrun dans Georges Canguilhem (dir.), Michel Foucault, philosophe (1989), il faut en fait aussi lire Foucault via la phénoménologie qui le marque dans les années 50, et en gros avec Heidegger contre Husserl (même si Mandosio a raison d'ironiser sur la simplification Ferry-Renault d'un Front anti-humaniste).

Husserl fonde son analyse si abstraite de l'histoire dans la Crise de l'humanité européenne (1935) et la Crise des sciences européennes (1936) en disant que c'est la rationalité galliléenne/cartésienne qui aurait développé les problèmes modernes en séparant le formel scientifique et l'Intuition, instaurant un clivage entre la Raison et nos sens communs (oui, certains voteraient Nazi parce que les équations de la physique deviennent non-intuitives...). La tâche essentielle et salvatrice de la phénoménologie consisterait à faire revivre le fond cartésien et réconcilier l'humanité européenne avec la raison par une (prétendue) nouvelle science plus fondamentale appelée "phénoménologie" (dont les épigones n'ont cessé depuis de "démontrer" la fécondité en l'affirmant, sans jamais rien découvrir que David Hume n'ait déjà réfuté avant). Husserl interrogerait alors notre "a priori historique". Ce terme semble contradictoire en disant que nous serions déterminés dans notre connaissance indépendante de l'expérience par des constitutions historiques et c'est peut-être ce terme qui forme l'épistémé foucaldienne, plus que le paradigme d'une seule théorie chez Kuhn ou bien la notion de "présuppositions (relatives)" du grand historiciste Collingwood.

Juste avant Husserl, Heidegger avait donné dans Kant et le problème de la métaphysique (1929) son interprétation de la Révolution copernicienne de Kant comme une instauration "humaniste" (boo ! hiss !) où désormais tout sens était donné par le Sujet dans sa finitude.

Foucault commence son archéologie des disciplines en révoquant toute l'analyse de Husserl comme simplificatrice parce qu'elle aurait un modèle d'une seule Science. Il y a désormais une "strate" renaissante de rapports simples d'images et une "strate" classique ordonnée d'une représentation sans images puis les tableaux scientifiques positivistes du XIXe. Il ajoute à cela l'idée, assez heideggerienne (malgré tout ce que peut dire l'ami de Foucault, Arnold Davidson) d'un rôle du concept de l'Homme comme ce nouveau centre des savoirs. Le Dasein (nom heideggerien de cet existant particulier qui peut poser la question de son être) deviendrait le cercle-vicieux où l'étude empirique de l'Homme (anthropologie) est nécessaire à l'étude transcendantale de ce qui peut être objet de toute science quelle qu'elle soit (métaphysique "critique"). La Révolution kantienne serait en philosophie ce changement "d'épistémé" entre le Classicisme théocentrique et le XIXe humaniste.

J.-M. Mandosio m'apprend que l'anthropologie comme concept et comme mot jouerait déjà un rôle bien avant la strate prétendue de son apparition dans le Grand Récit foucaldien, mais peu importe si on trouve vraiment des Humanistes voulant faire jouer ce rôle à l'idée d'Homme bien avant Kant, car je n'imagine même pas comment l'hypothèse de lecture de Foucault pourrait être réfutable ou vérifiable (ce qui lui enlève une grande partie de son intérêt, une fois dépassé l'étonnement sur "la Naissance et la Mort de l'Homme").

J.-M. Mandosio reproche finalement à l'épistémé d'être beaucoup de bruit pour rien. En un sens, le concept entérine dans sa discontinuité des Images d'Epinal très "classiques" : une Renaissance échevelée et pré-scientifique, un Grand Siècle du Grand Enfermement, un XIXe siècle scientiste ennuyeux. Foucault parle souvent en termes de conditions de possibilités : Hobbes ou Descartes produiraient et seraient rendus possibles par la nouvelle épistémé classique, comme un horizon inconscient ou une structure historique où s'inscriraient les théories possibles. Et on suppose alors que l'occultisme de Newton ou le syncrétisme scolastico-classique si XXe siècle de Leibniz des décennies plus tard ne seraient qu'anomalies locales dans le système de pensée. L'épistémé est soit trop vaste en unifiant toute une époque ou trop restreinte en négigeant la contingence de certaines lignes et écarts à diverses époques. Par exemple, lorsque je lis Bertrand Russell, sa logique est immanquablement radicalement récente, elle est même impossible avant 1879, sa confiance dans la puissance des mathématiques vient de Riemann et Einstein mais on voit mal en quoi il ne serait plus dans l'épistémé classique-empiriste de Hume sur l'essentiel de ses problèmes. Même Foucault finit d'ailleurs par abandonner ce mot vain d'épistémé, de même qu'il prétendra n'avoir jamais flirté avec l'assimilation au structuralisme.

Mandosio cite (p. 184) des remarques frappantes d'un des membres du jury de thèse de Michel Foucault, le pourtant peu subversif Henri Gouhier :
[Gouhier] lui reprochait de "penser par allégories", de recourir à des concepts mythologiques "Le Moyen-Âge", "La Renaissance", "L'Âge Classique", L'Homme occidental, le Destin, le Néant, la mémoire des hommes." Et il ajoutait : "Ce sont ces personnifications qui vont permettre une sorte d'invasion métaphysique dans l'histoire et qui vont en quelque sorte transformer le récit en épopée, l'histoire en drame allégorique animant une philosophie".


Mandosio ne cite pas d'exemples d'erreurs historiques ou de mauvaises citations. Il lui reproche de manifester beaucoup d'érudition sur des ouvrages obscurs tout en niant toute littérature secondaire, mais Foucault pourrait toujours rétorquer qu'il a voulu revenir aux sources mêmes en faisant cette dénégation de l'historiographie. Mais cela signifie peut-être plutôt que le philosophe grand lecteur était trop conditionné par une méthode française du Commentaire de Texte, cherchant toujours une structure immanente aux archives pour ne pas reconnaître les devanciers plus humbles historiens.

Une critique plus conceptuelle porte non plus sur l'épistémé de l'archéologie des années 60 mais sur ceux du dernier Foucault, "biopolitique" et "gouver-nementalité", concepts si équivoques et contradictoires qu'ils désigneraient à la fois le gouvernement de toute chose et la réaction de toute chose aux "pouvoirs", transformant la Souveraineté territoriale en gestion rationnelle et calculable. Mandosio considère que la critique des pouvoirs par Foucault est bien plus simpliste que celle de Situationnistes comme Raoul Vaneigem mais je ne saurais juger sur ce point. Mandosio voit dans cette plasticité des identités foucaldienne une forme d'idéologie ou d'aliénation.

Il analyse alors ces concepts de rapports de pouvoir comme une nouvelle forme de dialectique qui prétend dépasser la dialectique. Pour le Dernier Foucault, on n'a plus un Sujet qui se libère face aux pouvoirs à travers l'histoire selon le schéma de Hegel mais des rapports de forces qui produisent des réactions qui font naître de nouvelles manière d'être un "sujet" ("subjectivation"). Il n'y aurait pas alors le Sujet-Maître et le Sujet-Opprimé mais des stratégies et dispositifs produisant diverses manières de vivre ses divers rapports de pouvoir.

Mais l'épisode fameux où Foucault soutint la Révolution iranienne de 1979 avec enthousiasme ne fut pas qu'une erreur de jugement anecdotique car elle semble désavouer tout l'intérêt de cette théorie de la "subjectivation". Foucault dit de manière curieusement idéaliste et essentialiste que le vrai peuple iranien revient ainsi à une forme de pouvoir plus spirituel. Foucault n'aurait alors pas fourni des "caisses-à-outils" pour subvertir les pouvoirs mais il n'aurait fait qu'habiller de verve nietzschéenne un obscur retour du religieux.

Une autre dimension de l'article n'est donc plus sur Foucault ou ses idéologies inconséquentes mais sur les effets de la foucaldite ou la secte des foucaldomanes, avec notamment l'étude de Tiqqun, le périodique néo-situationniste qui a dû se délecter d'être récemment tant l'objet de préoccupation de la Gouvernementalité. L'originalité de la critique de Mandosio est d'attribuer les vacuités de ce néo-situationnisme surtout à Foucault plus qu'aux autres références comme Deleuze ou Badiou (dont il me semble que Mandosio a sous-estimé les effets récents). Les Tiqqunistes attaqueraient la Cybernétique comme modèle du biopolitique contemporain mais avec une fascination coupable causée par l'équivocité vide des outils qu'ils prétendent rhétoriquement déployer contre "l'Empire".

En passant - mais cela nous écarterait de Foucault - Mandosio cite des passages de Tiqqun qui retire toute apparence d'inoffensive plaisanterie ’pataphysique lorsque le "Parti imaginaire" a le mauvais goût infantile de citer la Manson Family comme une de leurs références.

Tout cet article peut être réjouissant du point de vue du pamphlet et je trouve la plupart des attaques assez plausibles (sauf peut-être l'allusion au concept d'aliénation, dont je ne suis pas sûr que son absence suffise à expliquer les lacunes de Foucault).

Cependant, il y a un risque à faire une sorte de biographie intellectuelle rapide au lieu de donner plutôt des arguments et contre-exemples plus précis qui montreraient des difficultés aux concepts et périodisations de l'historien des "systèmes de pensée". Mandosio a ironisé sur la simplicité des hypothèses de Foucault mais sans toujours assez les critiquer sérieusement. Son attaque nous laisse donc un peu sur notre faim.

En se servant d'un argument avant tout moral (Foucault comme sophiste incohérent et nihiliste, un peu comme dans le livre déjà ancien de José Guilherme Merquior), l'auteur ne touchera que ceux, comme moi, qui sont déjà convaincus, mais sans atteindre ceux qui ne veulent accorder du prix épistémologique ou historique à Foucault qu'au nom d'une hypothétique valeur "émancipatrice" fantomatique (Foucault ayant chez certains un statut presque messianique politique et même plus seulement de gourou théoricien).

Les concepts foucaldiens peuvent se retourner dans tous les sens - il suffit de voir l'aile foucaldo-libértarienne qui conseille le MEDEF ou une récupération par des conseillers du pouvoir juridique actuel - mais le relativisme contemporain jugera que loin de signifier la vacuité de ces concepts du biopolitique, cela montre leur utilité.

12 commentaires:

  1. Vous pourriez traduire en français tous ce galimatias incompréhensile?

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  2. Vous innovez vraiment dans vos trollages.

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  3. Ne me confondez pas avec un troll!

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  4. N'avons-nous pas déjà eu exactement la même conversation il y a quelques mois ?

    1) Vous revenez périodiquement mettre quelques insultes répétitives poujadistes (j'ai en revanche détruit le commentaire plus antisémite et homophobe contre Proust).

    2) Vous êtes donc ce qu'on appelle un Troll, c'est-à-dire une personne qui trouve une satisfaction à écrire des insultes sur des pages web.

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  5. "Les concepts foucaldiens peuvent se retourner dans tous les sens - il suffit de voir l'aile foucaldo-libértarienne qui conseille le MEDEF ou une récupération par des conseillers du pouvoir juridique actuel - mais le relativisme contemporain jugera que loin de signifier la vacuité de ces concepts du biopolitique, cela montre leur utilité."

    Tiens un blog plus ou moins foucaldien évoquait le même problème récemment :
    http://www.morbleu.com/une-sociologie-foucaldienne-est-elle-possible/#more-828

    Je vous laisse apprécier sa réponse :
    "Foucault l’a toujours dit et répété : les textes, et surtout les siens, ne sont que des boîtes à outils. Libre à ceux qui en disposent d’en faire l’usage qu’ils ont besoin - l’héritage foucaldien pouvant ainsi être revendiqué tant dans les rangs des altermondialistes (voir Julien Coupat) que dans ceux du Medef (voir François Ewald).

    Aussi Foucault marche-t-il sur un fil, tel un funambule. Il sait qu’il suffit d’un rien pour que le savoir qu’il compose s’avère néfaste. C’est pourquoi Foucault ne pouvait pas ne fournir qu’un simple savoir, qu’une simple science, qu’une simple sociologie, sans aucun mode d’emploi avec venant en fournir l’utilisation. Car contrairement à ce qu’on lui aura reproché tout au long de sa vie, le savoir qu’il propose n’est pas que théorique. Il est aussi, et surtout, pratique. Les instructions d’utilisation du savoir foucaldien ? Elles sont dans ses engagements politiques. En réconciliant la théorie et la pratique, le discours et l’action, la plume et l’épée, Foucault espérait sans doute prémunir le savoir qu’il produisait de ses utilisations illégitimes toujours possibles par le pouvoir en montrant ce qu’il fallait en faire"

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  6. Elqouent en effet.

    "Les instructions d’utilisation du savoir foucaldien ? Elles sont dans ses engagements politiques."

    Oui, mais lesquels ? Communiste stalinien en 1950, puis anti-communiste après avoir été espionné par un agent à Budapest, puis apolitique dans les années 60, puis ultragauchiste vers 1970, critique du système pénitentiaire puis dit qu'il n'a aucune alternative à proposer (en dehors de quelques évidences comme l'abolitionnisme), puis pro-théocratie en 1979 (où la lapidation ne le dérange plus du tout), puis pro-droits de l'homme en 1982.

    On dira qu'il savait "saisir le Kairos" mais ce serait une manière polie de dire qu'il a toujours suivi le vent dans toute les directions.

    L'argument de la "caisse-à-outils" à utiliser ne me semble pas marcher tellement, sauf pour fournir des pseudoconcepts vides à certaines pseudothéories.

    Ce qui me fait toujours rire est lorsqu'un foucaldien dit "Il a montré que tout savoir est un pouvoir". C'est le slogan déjà de Francis Bacon au XVIe siècle. Ce n'est pas une innovation, c'est le plus gros cliché de toute la philosophie moderne.

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  7. Au détour d'une recherche, je tombe sur votre très bon article. Pur hasard : je suis également l'auteur du texte de Morbleu ! cité en commentaire un peu plus haut.

    Concernant cette citation et la critique que vous lui opposez, je l'avoue sans honte, je pense que vous avez raison. J'ai écrit ces quelques phrases sous l'empire d'une fièvre foucaldienne, où je le lisais à la folie passionnément beaucoup, et suite à une conférence donnée par Veyne et Eribon, évidemment très partisane.

    Et effectivement, en tant que mode d'emploi de la boîte à outils de Foucault, j'avais plutôt à l'esprit ses actions et ses interventions (qu'on retrouve dans Dits et Ecrits) des années 70-71-72, qui est une période, comme vous l'avez souligné, très gauche (dans tous les sens du termes) de l'auteur.

    Or, comme vous le rappelez, il est certainement très difficile de donner une ligne claire des engagements de Foucault, qui n'ont jamais été univoques et toujours changeants. La période 70 ne permet certainement pas de résumer l'engagement foucaldien, et donc de fournir un mode d'emploi. Cela nous laisse au final avec ces concepts, qui peuvent servir aussi bien le Medef que ATTAC. Dans mon idée, la vie foucaldienne devait justement montrer que certains usages pouvaient être illégitimes, tout comme les engagements de Marx devraient en principe interdire que les classes dominantes se servent du Capital pour consolider le système duquel ils ont avantage. Mais avec Foucault, ce n'est pas possible.

    Je ne connais malheureusement pas assez Bacon pour dire si si l'on peut ou pas ramener les observations de Foucault à ce qu'il en disait. Mais j'imagine qu'il en est de même que pour les obstacles épistémologiques de Bachelard, qui ne se réduisent peut-être pas à la théorie baconnienne des idoles.

    Cela nous amènerait certainement trop loin, mais je pense qu'il y a plus chez Foucault que ce lieu commun que le savoir peut être utilisé positivement par le pouvoir pour émanciper les hommes ; ou pour les aliéner ; ou que le pouvoir est nécessaire pour qu'il y ait science, etc, etc.

    Il dit surtout qu'aussitôt que l'on produit du savoir, on catégorise le réel selon certains concepts qui ne lui sont pas toujours adéquats (comme la folie, etc.) ; que ce réel se phénoménalise ainsi dans le discours et se cristalise dans ces concepts non adéquats ; que, parce que nous ne pouvons nous orienter que par la médiation de ces concepts, cela introduit nécessairement des rapports de pouvoir, avant même que le savoir soit récupéré par les institutions.

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  8. Merci pour ce compte-rendu très intéressant.
    A la lecture de la nouvelle édition de l'essai "Longévité d'une imposture" (2010), peut-être le savez-vous déjà, on découvre dans une "note de l'auteur" une mention de votre billet et une réaction de Mandosio :
    "Certes, si le monde se divisait en deux camps aussi nettement tranchés - ceux qui sont déjà convaincus et ceux qui ne se laisseront jamais convaincre -, ce ne serait même plus la peine d'écrire quoi que ce soit contre Foucault. J'ose espérer que tel n'est pas le cas ; et, en toute rigueur, les arguments critiques développés dans "Longévité d'une imposture" ne sont pas seulement "moraux" ou "stylistiques", mais aussi historiques, (épistémo)logique et politiques." (p.112)
    Ne m'identifiant ni aux "déjà convaincus", ni (par la force rhétorique des choses) à ceux qui accordent "un statut presque messianique politique" à Foucault, je dois avouer que je partage votre perception de l'essai de Mandosio.

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  9. « Il y a un risque à faire une sorte de biographie intellectuelle rapide au lieu de donner plutôt des arguments et contre-exemples plus précis qui montreraient des difficultés aux concepts ». Un risque ? Une forme de lâcheté plutôt, au moins intellectuellement. Une dénonciation d’imposture intellectuelle. La belle affaire ! Une de plus. Un nouveau genre littéraire en définitive. Et parfois même vendeur. Voyez la dénonciation de Freud l’Idole crépusculaire par Onfray, un « best seller » en librairie. Personne ne lit Freud de nos jours (même plus les psychanalystes) mais, armée du prêt-à-penser d’Onfray, même ma boulangère s’y entendra à pourfendre la vilaine secte. La vermine grouille sur les cadavres de la pensée critique. À défaut de parvenir à produire un appareil conceptuel véritablement original, on scrute les travers, les contradictions d’un homme, mais attention pas dans ses concepts (c’est trop dur et moins rentable), mais dans ses attitudes, toujours en surface, dans l’anecdotique. Dans le fond, une attitude pas très éloignée du paparazzi fouillant les poubelles des célébrités à la recherche du moindre indice de scandale et de compromission. Freud faisait l’éloge de Mussolini dans les années 1930 ? Foucault a célébré Khomeiny en 1979 ? Heidegger s’est affilié au NSDAP de 1933 à 1934 ? Et regardez-les, ces arrogants pourfendeurs d’ « impostures intellectuelles », qui ne risqueront sans doute jamais de connaître l’inconfort d’une pensée en mouvement, juger du haut de leurs certitudes historiques, les engagements d’autres en des périodes troubles.

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  11. Ces considérations "critiques" ressemblent davantage à une chasse aux socières assez brouillonne qu'à une analyse critique digne de ce nom. Les procès en imposture intellectuelle, quand elles sont destinées à un auteur dont l'influence et la fécondité dépasse le cadre, parfaitement discutable, de ses propres écrits, m'a toujours paru douteuse. Est-il besoin de le traiter de faussaire? Est-ce l'approche la plus féconde? Peut-être que la critique la plus sérieuse consiste bien plutôt à prendre son adversaire au sérieux. C'est pourquoi les bavardages de votre Mondosio resteront des gesticulation et de la vocifération moralisantes au sein de la littérature critique. On préférera de loin les attaques de Habermas dans "Le discours philosophie de la modernité". Un gars sérieux lui et qui pose de vrais défis intellectuels, pas des condamnations styliticomorales doublée de vagues rapprochements historiques avec Bacon ou autre... dans le même genre : Augustin aurait livré le cogito avant Descartes. Mouiiiiiii c'est bien.

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