dimanche 9 août 2009

Domination et Servitude (2/19)



Après le paragraphe introductif commence une première partie sur la Conscience de soi dans son "dédoublement" avec ce qu'elle est "pour une autre" (§2-6).



§2 Il y a pour la Conscience de soi une autre Conscience de soi ; elle est parvenue hors d'elle-même.
Ceci a pour signification double que :
(1) elle s'est perdue elle-même puisqu'elle se trouve comme étant une autre essence ;
(2) elle a par là même aboli l'autre, puisqu'elle ne voit pas non plus l'autre comme essence, mais se voit elle-même dans l'autre.


Ce bref paragraphe commence à développer la contradiction annoncée.

Pour reprendre deux Grands Genres de l'Être selon Platon, la Conscience de soi est à la fois le Même et l'Autre (note de Jean Hyppolite, tome I, p. 156), et elle échoue à la fois à être elle-même ou autre qu'elle-même.

Je ne peux me connaître comme un sujet qu'en sortant de mon attitude immédiate et en me prenant moi-même comme un objet mais alors je ne me saisis pas comme le sujet de cette action ou bien je dépasse et absorbe cet autre point de vue en le ramenant à moi. Nul ne peut "se trouver" sans "se perdre", mais je nie l'autre en tant qu'autre quand je n'y vois que le reflet de moi-même.

Hegel utilise une métaphore de l'extérieur, du dehors, qui se veut une mise à distance entre ce qu'est l'être conscient et l'essence qu'il ne peut trouver qu'en dehors de lui. Il a fait de ce terme d'être pour un autre une sorte de catégorie logique : l'être en soi doit passer à l'être pour un autre pour s'accomplir. Je ne puis devenir ce que je suis vraiment qu'en prenant compte aussi de ce que je suis pour un autre.

Dans les chapitres précédents, la Conscience sensible et théorique était certes déjà conscience de ce qui est "extérieur". L'entendement théorique avait même commencé à opposer l'extérieur des apparences à "l'intérieur" de l'essence des choses (chapitre III). Et Hegel avait critiqué (contre l'idée kantienne de la Chose en soi) cet "intérieur" suprasensible comme inconnaissable et inaccessible.

Mais ici c'est l'intérieur du sujet qui doit être dépassé en "sortant" de soi. L'image de l'extériorité sert à insister sur un mouvement. La Conscience de soi n'est pas un état ou un écran où serait projetée une image, elle est un processus qui échappe à une caractérisation par des choses bien distinctes.

On n'a peut-être pas encore une vraie rencontre concrète ici, malgré ce Désir de sortir de soi-même. Je ne vois encore l'autre que comme un autre moi. Mais il y a déjà une relation et une dynamique qui est un rapport de force. Je m'affirme dans mon auto-suffisance en niant celle d'une autre conscience et j'ai pourtant besoin de cette autre conscience que je prétends abolir.

Je crois que le terme "essence" ici peut s'entendre en un sens simple comme "entité" (Wesen désignant en allemand aussi un "être" au sens de quelque existant, et non pas seulement sa "définition"). L'être brut est le fait d'être alors que l'essence en est la détermination ou la réflexion dans la Science de la logique de Hegel : ce que je suis et pas seulement le fait que je suis.

La Conscience se retrouve dans une "essence" autre mais refuse aussi à l'autre son "essence" séparée. L'essence se distingue du mot "être" par cela que c'est un étant "déterminé", quelqu'un avec une identité (même si elle est contradictoire) et non pas "n'importe qui".

Alexandre Kojève résumait ce début du texte ainsi (Introduction à la lecture de Hegel, Cours de 1933-1934, p. 51) :
  « 1er stade : Être par et pour un Autre (être négatif)
  L'Être-pour-Soi nie les Autres ; mais être pour Soi, c'est être aussi pour les Autres. Donc il se nie lui-même en niant l'Autre. »

Note de traduction (j'essayerai de les éviter, il y en a trop dans les exégèses de Hegel)
Hyppolite avait lu la première phrase légèrement différemment :
"Pour la conscience de soi, il y a une autre conscience de soi. Celle-ci [l'autre conscience] se présente comme venant de l'extérieur". Cela ne change pas grand-chose.

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