mercredi 12 août 2009
Domination et Servitude (5/19)
§5 Mais ce mouvement de la Conscience de soi dans la relation à une autre Conscience de soi a été représenté de cette manière, comme l'activité de l'une ; or cette activité de l'une des Consciences de soi a elle-même cette signification double d'être aussi bien son activité que celle de l'autre ; l'autre Conscience de soi est en effet tout aussi autonome, close sur elle-même, et il n'est rien en elle qui ne soit par elle-même.
La première Conscience de soi n'a pas devant soi l'objet seulement tel qu'il est pour le Désir, mais c'est un objet autonome, qui est pour soi, sur lequel elle n'est rien capable de faire pour soi, si cet objet ne fait pas chez lui-même ce qu'elle fait chez lui.
Le mouvement est donc tout simplement le mouvement double de l'une et l'autre Conscience de soi. Chacune voit l'autre faire la même chose que ce qu'elle fait ; chacune fait elle-même ce qu'elle exige de l'autre, et fait aussi, en conséquence, ce qu'elle fait, uniquement dans la mesure où l'autre fait la même chose ; l'activité unilatérale serait inutile ; parce que ce qui doit arriver ne peut réussir que par l'intervention des deux.
Le résultat du premier "Syllogisme" de la Conscience de soi comme un autre (§§2-§3-§4) est qu'enfin la Conscience de soi a admis qu'il y a bien deux Consciences de soi et non pas seulement une diffractée dans ce jeu de miroirs.
Jusque là, on ne parlait que d'une seule activité de la Conscience : elle s'abolissait elle-même, elle s'affirmait elle-même, elle niait l'autre, elle revenait en soi. A présent elle a accepté que l'autre était aussi une Conscience de soi symétrique. On passe de la relation d'activité unilatérale à la réciprocité.
Mais en même temps, la relation est encore pauvre. Je regarde l'autre de loin et je l'imite ou attends qu'il m'imite. Je n'en appelle pas encore par le langage à un vrai échange ou à un contrat, il n'y a pas de communication.
Chacune arrive à une sorte de "connaissance commune", où je pense, où je sais que l'autre pense, où l'autre sait que je pense et où il sait que je sais qu'il pense, et ainsi de suite. L'opération que je fais sur moi-même, par ma réflexion, et les raisonnements que je fais, je peux par analogie les projeter sur ceux qu'il doit faire.
Je ne suis plus aussi égocentrique mais nous le sommes encore, à deux, chacun de notre côté. Chacune arrive nécessairement à l'insuffisance de ce point de vue, en se dédoublant de l'intérieur selon le modèle précédent.
En termes non-hégéliens, je me demande si on pourrait parler d'une sorte d'équilibre de coopération, ou de coordination, sans information, qui doit être atteint (un peu comme dans le Dilemme du Prisonnier). Je n'ai pas encore discuté ou négocié avec l'autre Conscience mais je présume ici la réciprocité de nos Consciences (même si je n'ai pas encore dans ce moment du texte hégélien de notion très élaborée d'une rationalité pratique, qui n'apparaît qu'au chapitre V B).
Cette réciprocité commence la reconnaissance, terme central de tout le passage. Tout le mouvement long de la lutte va consister à voir comment cette reconnaissance mutuelle, simultanée peut se faire en plusieurs étapes différées, malgré les déséquilibres, les écarts et les inégalités entre les deux Consciences distinctes.
La Conscience de soi comme Désir consumait son objet car le Désir était encore manque, incomplétude de la Conscience de soi. Le Désir, au début du chapitre IV, anéantissait encore l'objet dans son auto-subsistance, et ce Désir (qui est aussi et surtout, comme le dit Platon, Désir de vérité, de certitude) se contredisait dans cette consommation car il entretenait ainsi sa frustration d'un objet satisfaisant.
Au contraire, la Reconnaissance ne peut s'effectuer qu'en surpassant ce Désir négatif, en laissant être l'autre dans son autonomie. Nous devons nous "coordonner" et chacun accepte l'autre parce que l'autre est arrivé à la même figure de pensée.
Illustration tirée de cet article sur les neurones miroirs.
C'est amusant : ce passage me fait penser à l' éveil de ma petite fille, qui a l'air de prendre conscience en ce moment de ce qu'elle peut faire, et se rend compte aussi qu'autour d'elle il y a d'autres consciences qui font des choses différentes, en particulier pour elle dès qu'elle rouspète ! C'est cela, le maitre et le serviteur ? ;)
RépondreSupprimerOui, c'est une version un peu plus quotidienne que je visais avec la photo sur les neurones miroirs (sauf que les neurones miroirs seraient un processus inné de simple imitation, qu'on retrouve chez les primates, pas un processus "dialectique"). L'intersubjectivité a aussi une base innée plus simple dans la mesure où l'enfant reconnaît le sourire humain spontanément sans apprentissage.
RépondreSupprimerLe processus très abstrait de la Phénoménologie de l'Esprit est difficile à délimiter. On l'interprète souvent comme une sorte de reconstitution d'une "histoire" de l'Humanité (un peu comme les scénarios de rencontres entre premiers hommes dans l'état de nature chez Hobbes ou Rousseau) mais, pour reprendre une expression biologique discréditée, Hegel semble dire que l'ontogenèse individuelle de la Conscience récapitule la phylogenèse générique : cette "dialectique" du maître et du serviteur se retrouve tout le temps à travers toute conscience.