lundi 14 septembre 2009

Charité arbitraire à la place de justice



Je découvre par hasard un blog d'un enseignant de philosophie en Terminale, Nicomaque (avec une partie "publicitaire") qui devrait dissiper les malentendus de gauchisme ou même neutralité de cet enseignement, puisqu'il ne dissimule pas un certain unilatéralisme hayekien.

Il tient à écarter ce qu'il considère comme une désinformation anti-américaine sur le système de santé et le projet de réforme Obama, en se fondant sur Guy Sorman, ainsi que le Weekly Standard :


* Ceux qui s'assurent directement (10%) :
S'ils ne bénéficient pas d'assurance d'entreprise, les Américains peuvent s'assurer individuellement auprès d'organismes privés relativement chers.

* Ceux qui ne sont pas du tout couverts (16%) :
Parce qu'ils ne sont pas assez pauvres pour être couverts par Medicaid et parce qu'ils ne souhaitent pas s'offrir une assurance individuelle. Il faut en effet rappeler que :
1° l'assurance maladie n'est pas obligatoire
ces non-assurés ne souhaitent pas s'assurer car ils ont d'autres projets d'investissement et qu'ils ne craignent pas particulièrement pour leur santé (65% ont moins de 35 ans).

Ajoutons qu'il existe aux USA des free clinics, sortes de centres de soins fonctionnant sur la base de la charité et du volontariat. Ces établissements fournissent donc soins et médicaments gratuits. Ces free clinics fonctionnent grâce aux dons privés. Les associations caritatives et humanitaires de ce type sont nombreuses et comptent des millions de bénévoles.

Ainsi, contrairement à toutes les idées reçues, l'Etat providence existe aussi aux USA (et pas seulement pour l'assurance maladie). Les pauvres et les personnes âgées sont bien prises en charge par l’Etat fédéral. Cette prise en charge recouvre aussi bien les soins dentaires, que les consultations ou les hospitalisations.
Mais la particularité américaine, c'est :
1° l' existence d'une liberté individuelle de choisir son assurance ou de ne pas s'assurer du tout.
2° le refus d'une organisation étatique de la charité qui est laissée à la libre initiative individuelle.

Ce sont ces deux particularités de la tradition individualiste américaine que les socialistes-collectivistes ne peuvent tolérer et qu'il feront tout pour abolir.

(c'est moi qui souligne)

Donc (1) Il reconnaît honnêtement que l'assurance individuelle si on n'est pas couvert par son entreprise ou Medicare/Medicaid est plus chère, mais (2) nous assure que les 16% de non-assurés (45 700 000 personnes) n'ont tous fait que le libre choix d'investissement en restant non-assurés. Et de toute manière de quoi se plaignent-ils ? Il y a toujours de la Charité.

Le problème du système santé américain n'est pas que de dangereux idéologues "collectivistes" veulent ruiner la liberté individuelle, mais que même les personnes couvertes par des assurances privées se voient privées de soins pour des raisons purement budgétaires. Même les personnes couvertes se plaignent d'un système plus cher que le nôtre, qui profite de plus en plus à des lobbies de l'assurance, et aux effets nettement moins justes que ceux des autres pays industrialisés (même si sur certains domaines, comme le cancer, il y a en effet de bonnes statistiques). La question n'est donc pas la charité mais bien un principe minimal d'équité et d'utilité. Pourquoi les USA devraient-ils être condamnés à un système moins efficace et moins juste que les autres nations de la Terre ? Au nom de la pureté de principes hayekiens ?

La sécurité collective sur la santé, contrairement à certaines allocations, n'entraîne pas vraiment, même selon la critique libérale, de risque d'effets pervers dans les incentives : les personnes ne choisissent pas de tomber malades, ce n'est pas une assurance de "confort". L'idée de sécurité sociale (au sens français des assurances-maladies) est d'assurer à tous cette possibilité d'avoir accès aux mêmes soins sans que vos risques de survivre et de voir vos enfants survivre ou vivre moins mal ne dépende d'autres conditions comme votre emploi.

Je ne crois pas que le vrai Aristote, quel que soit sa critique des dérives égalitaristes, aurait conseillé à son fils Nicomaque qu'une Cité juste puisse se contenter de la charité arbitraire comme seule correctif aux injustices de la fortune.

8 commentaires:

  1. même si sur certains domaines, comme le cancer, il y a en effet de bonnes statistiques

    Ce n'est pas complètement un artefact statistique, mais ça l'est en partie : seuls 42% de la population sont comptés, on est passé à une méthodologie d'estimation plus sensible, etc. Lorsque l'on descend sur un site tumoral particulier, on voit aussi que la comparaison est limitée.

    Ça ne supprime pas le fossé racial qui existe dans les taux de survie. De plus, il y a un fossé entre les taux de survie médiocres d'une grosse partie des établissements de soins et ceux des centres de pointe façon Mayo Clinic/Sloan-Kettering, qui se détachent et obtiennent des résultats excellents.

    Puisque tu fais les nutters en ce moment, tu nous fais le 9/12 project ?

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  2. Ah, Ezra Klein avait l'air de dire que c'était en effet un vrai bon chiffre relatif dans les taux de survie (par exemple ) mais que les défenseurs du système font toujours du cherry picking à ce sujet.

    Non, sur le projet 9/12 de Beck, je tiens à ma tension, je vais les éviter un peu (sauf si vraiment ils ont des arguments nouveaux originaux). Mais depuis que je vois que Glenn Beck et Bill O'Reilly ont trois fois plus de spectateurs que leurs équivalents des autres chaînes, cela fait un peu désespérer (même si 2-3 millions, cela reste relativement peu).

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  3. Ezra Klein et les auteurs qu'ils citent ont raison, mais c'est bien relatif à deux choses : (1) les tumeurs comparées ne sont pas exactement les mêmes sur les cancers les plus communs, et (2) les inégalités de santé derrière la statistique agrégée sont immenses.

    Le point (1) n'est pas une critique du résultat, surtout que les méthodes et les données ont vraiment évolué vers la fiabilité (pour être précis, l'étude CONCORD surpasse les données SEER dont on disposait avant) : après tout, si les Américains arrivent à se faire des tumeurs de la prostate moins léthales que les Européens, tant mieux.

    Mais le point (2), lui, est plus contentieux. Il faudrait que je retrouve ce graphe où l'on voyait les community centres tout à gauche de l'échelle de survie, et les grands centres de pointe tout à droite. La division raciale dans l'état de santé n'a pas l'acuité du problème carcéral, et les résultats agrégés restent par ailleurs meilleurs aux USA qu'en Europe, mais il faut prendre conscience qu'ils ne le sont pas pour tout le monde.

    Même si c'est peu évoqué dans les médias parce que ça ne filtre pas, je pense qu'Obama a toutefois conscience de réformer le système pas uniquement pour mieux assurer la population, mais aussi pour tirer certains groupes ethniques très défavorisés – les Noirs en premier lieu – vers le haut.

    C'est une intuition parfaitement ascientifique élaborée sur une herméneutique du soupçon (“peut-être que…”), mais je n'arrive pas à m'en départir totalement, même si les hypothèses d'arrière-plan me font un peu peur (qu'il puisse, pour faire brutalement simple, “penser en African-American” et pas uniquement en POTUS).

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  4. Ce qui est terrible dans cette histoire est qu'il suffit d'aller aux US, de se balader dans la rue et de regarder les dents des gens, les mains des gens, etc... particulièrement ceux des plus pauvres pour voir qu'il y a un vrai problème dans la santé aux US.

    Et puis comme tu dis, même pour les assurés par leurs boîtes, il y a de gros problèmes ("preexisting conditions, etc...").

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  5. Les mal-assurés, c'est le truc que les adversaires omettent volontairement dans les argumentaires, avec le coût total du système (quoique sur ce dernier point ils arrivent à dévier le blâme vers les piliers publics du système). Il y a plein de horror stories qui circulent pour illustrer le problème ; ça aboutit à des argumentaires hallucinants chez les Glenn Beck et al.

    Ce qu'il faut bien réaliser c'est que le système est financé majoritairement par l'État fédéral : ce n'est plus un marché privé, les tax deductions donnés aux assureurs sont assimilables à une subvention publique et si on les prend en compte, on passe à 60% de financement fédéral au total.

    Cette donnée est peu connue alors qu'elles pourraient servir à diaboliser les assureurs (big business), mais ce n'est pas, de toutes manières, la stratégie Obama, qui a besoin de garder les assureurs de son côté (ça se voit dans la lecture des backroom deals) pour leur faire accepter l'introduction d'une option publique compétitive, qui est la seule option pour faire baisser les coûts (comme tu l'écrivais, Ph, c'est un objectif au moins aussi important que la couverture des non- et mal-couverts).

    9/12 : tu devrais, c'est à mi-chemin entre les 10 commandements et le libertarisme Nozick/Hayek/Rand, plus un soupçon d'orgueil US façon Empire-Negri/Hardt qui ne demande qu'un nouveau 9/11 miniature pour devenir aussi violent que le fascisme du milieu du 20e siècle (Godwin, certes, mais je pense honnêtement que la branche neocon sous Obama prendrait les armes et irait chercher elle-même des scalps chez ses boucs émissaires habituels si un attentat se produisait aujourd'hui).

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  6. "Même si c'est peu évoqué dans les médias parce que ça ne filtre pas, je pense qu'Obama a toutefois conscience de réformer le système pas uniquement pour mieux assurer la population, mais aussi pour tirer certains groupes ethniques très défavorisés – les Noirs en premier lieu – vers le haut."

    Je le crois également. Il me semble me souvenir que déja quand il était politicien local à Chicago, il avait fait passer un loi soi-disant de protection des libertés civiles mais dont l'effet avait été de diminuer les incarcérations de noirs. Je ne me souviens plus où j'avais lu ça mais si je retrouve la référence je la posterais ici.

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  7. PS: Sérieusement, comment peut on prendre Sorman au sérieux?

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  8. Je suspecte Carter d'avoir eu le même pressentiment que moi, mais de l'avoir exprimé sous forme négative (je disais : une partie d'Obama agit pour régler la question raciale, Carter dit, en creux : les critiques d'Obama agissent en partie pour conserver un fossé racial).

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