mardi 12 janvier 2010

Mardi, Aristote cause toujours



Rappel : 1 Introduction et Plan de la Physique, 2 Introduction au Livre I sur les Principes, 3 Plan de Physique I, 2-9, 4 I, 9 Le principe de la matière


  • Rappel sur les Eléments, les Principes et les Causes

    Nous sommes maintenant prêts à passer du livre I sur les Principes (forme, privation de forme, matière) à la théorie des Causes. Ce livre II va en effet arriver à la définition de la Nature et poser en même temps une théorie de l'explication (causale mais aussi finale). On remarque que le Livre I n'avait pas jugé utile de définir la Nature, peut-être parce que la notion des Principes seraient en fait plus générale que l'opposition de la Physique (du Changeant) et des Mathématiques ou de la Théologie (de l'Immuable).

    Le texte "théologique" de Métaphysique XII (Λ), 4-5 (qui commence la démonstration du "Premier Moteur") reviendra d'ailleurs sur la question de savoir si les Principes et les Causes sont ou non les mêmes pour toutes les substances, sensibles ou "séparées" (la solution est qu'elles sont dites être "les mêmes", mais "par analogie").

    Le vocabulaire y sera légèrement différent de la Physique dans le rapport entre les concepts d'éléments et de principes. Aristote y parle (Λ, 4, 1070 b 25) de trois "éléments" (hulè, eidos, stérèsis) mais de quatre principes qui sont la forme, la matière, la privation et la cause motrice (je suis ici le commentaire de Tricot volume II p. 656 ; la Physique parle de quatre causes qui seront la cause formelle, la cause matérielle, la cause motrice et la cause finale).

    Mais quiconque lit Aristote sait que les listes qu'il aime énumérer ne sont pas toujours exhaustives (sans aller jusqu'à l'hypothèse étrange de Pierre Aubenque dans Le Problème de l'être chez Aristote pour qui il n'y a de droit aucune liste définitve des catégories de l'être) et que toute cette terminologie peut se modifier.

    Avec la Nature et son être en devenir, on introduit donc deux causes plus particulières pour analyser l'articulation des formes spécifiques (ou de leur privation) à un substrat matériel : le "moteur" et la "fin", ce qui met en mouvement et ce qui est visé (sachant que pour les êtres naturels vivants, la finalité va en fait dépendre de la forme spécifique, ce qui permettrait une réduction des causes biologiques à la matière et à la forme).





  • La définition des quatre Causes (αἰτία)

    Je vais à nouveau aller dans le désordre en commençant par le concept de Cause, défini au chapitre II. Dans son lexique philosophique en Métaphysique Livre V (Δ), 2, qui reprend presque intégralement Physique II, 3, 194b 25-195a 25, Aristote donne l'ordre suivant pour les quatre types de cause :

    • (1) la matière. Le bronze est la cause de la statue de bronze.
    • (2) la forme ou le "modèle" qui définit quelque chose. Le rapport numérique de 2 à 1 est la cause de l'octave.
    • (3) le principe premier du changement ou du repos. L'agent est cause de l'action, le père est cause de l'enfant.
    • (4) La fin. La santé est la cause pour laquelle on se promenait.
    Le "modèle" dont il est question dans le sens (2) est un terme qui évoque le "paradigme" chez Platon (le fait que les Idées-Formes sont les Causes des apparences sensibles) mais Aristote utilise le terme sans reprendre l'idée que ce modèle serait "séparé" des choses singulières. Le même être ou événement peut avoir plusieurs causes. La statue a la cause matérielle (le bronze) et la cause productive motrice (le sculpteur). Le fait que les sens (3) "principe du changement" et (4) "ce en vue de quoi" soient opposés implique des ambiguïtés. L'effort est cause (motrice) du fait de bien se porter et la santé est cause (finale) de l'effort. De manière générale, le "bien" dans ses divers sens (bien se porter, être bien, le plaisir, le bonheur, etc.) est la Fin des êtres en mouvement.




  • Liste de Modalités (tropoi) des Causes

    Le système des Quatre Causes est l'élément principal de l'étiologie aristotélicienne mais on peut ajouter une seconde typologie ou analytique des causes, qu'on ne retrouve pas vraiment par la suite et qui est un peu plus obscure dans ses allusions au langage.

    Le problème logique est de savoir "compter" les causes. La statue a une cause matérielle qui est le bronze mais aussi un métal (le genre du bronze) et une cause productive qui est l'individu singulier "Polyclète" ou bien une forme spécifique plus indéterminée, "un Statuaire" ou bien un genre encore plus abstrait, "un homme", voire "un animal".

    Aristote a donc posé ici un problème logique qui ressemble à ce qu'on appellerait aujourd'hui le caractère "intensionnel" (avec un "s") de la cause. L'intensionnalité est la propriété qu'a un terme qui ne peut pas être remplacé dans tous les contextes par une autre terme qui est pourtant attribué de manière vraie au premier. Par exemple, on pourrait dire qu'il est "essentiel" à une statue fondue d'être "de métal" mais pas de "ce morceau de bronze" ou à l'inverse que ce serait par accident que le genre (un artiste) a produit cette oeuvre (ce dernier exemple me paraît très peu clair comme Aristote dit ensuite que "Polyclète" serait équivalent à "le statuaire Polyclète").

    L'argument peut paraître curieux si on se dit qu'il serait plus essentiel à cette statue d'être de Polyclète que d'être d'un statuaire en général. Mais ce n'est que par un accident que Polyclète a produit cette statue (dans le sens où il a la puissance de ne pas la produire) alors qu'il est essentiel au statuaire de faire une statue.

    D'après un modèle de Polyclète

    De même, après cette distinction modale sur la définition (essence/accident), Aristote applique aussi la distinction fondamentale entre l'être en acte et l'être en puissance. Le constructeur en train de construire est "cause productive" en acte mais le même constructeur avant la production n'était "cause productive" qu'en puissance.

    Toutes ces causes sont au nombre de six, dites chacune de deux manières,
    A. elles sont dites (1) soit comme le particulier, (2) soit comme le genre, (3) soit comme l'accident, (4) soit comme le genre de l'accident, (5) soit comme ceux-ci combinés, (6) soit absolument ;
    B. d'autre part toutes sont dites selon l'activité et la puissance.
          Physique II, 3, 195b 12-16

    Pour reprendre le commentaire de Pierre Pellegrin & Michel Crubellier à leur édition de la Physique, cela donnerait donc un tableau à double entrées avec les six distinctions essentiel/accidentel et les deux distinctions acte/puissance (Polyclète sculptant, Polyclète capable de sculpter).

    On peut donc donner plusieurs exemples pour illustrer ce système de causes. Une sculpture peut avoir pour cause (1) "un sculpteur" (pour qui il est essentiel de produire une statue) (2) le même "en tant qu'artiste" (genre) (3) "Polyclète" (pour qui il est accidentel de produire une statue) (4) le même "en tant qu'un homme" (le genre de cette cause accidentelle) ; (5) par exemple "le sculpteur Polyclète", combinaison de (1) et (3). Je ne comprends pas en quoi (6) ne revient pas à un des termes entre (1), (2), (3), (4).




  • Plan de Physique II (192b-200b)

    • 1-2 Définition de la Nature
    • 3 Les quatre causes
    • 4-6 Le hasard et la "fortune"
    • 7-8 Retour au système des quatre causes et Finalité
    • 9 La nécessité dans les causes physiques et la Finalité
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