Mais l'argument se servait pour mieux appuyer la démonstration de l'uchronie Red Son de Mark Millar (Superman tombé du côté soviétique et devenant instrument totalitaire). Et le simple fait que Kal-El se déguise dans le faible Clark Kent pour mieux dissimuler son inhumanité prouvait qu'il était en réalité un misanthrope déguisé en philanthrope.
A l'inverse, Mighty Godking a aujourd'hui une jolie apologie de Clark Kent en disant qu'il est au contraire le seul héros à avoir résisté à la "Batmanification" de tous les superhéros, processus qui a augmenté dans les comics Marvel des années 60 et le psychologisme des années 80. Tous les superhéros depuis Batman ont besoin d'un traumatisme enfantin pour expliquer qu'il devienne des héros (Bruce Wayne veut venger papa et maman, Peter Parker veut sauver son âme après la mort de son oncle, Barry Allen a vu sa mère mourir, Hal Jordan a vu son père mourir, Matt Murdock a vu son père mourir, Wolverine a tué son père, etc.). Mais Superman n'a aucun traumatisme psychologique en dehors d'une éducation morale et il n'est pas non plus le Dieu incarné qui recevrait la loi morale de cette autorité supérieure. En cela, il est bien plus humain que la figure christique à laquelle les Américains si dévots (du moins les goyims) veulent toujours le ramener.
Certes, dans les années 60, Superman pleurait la destruction de Krypton. Le thème de ce deuil mélancolique devint d'ailleurs plutôt absent après les années Weisinger (Mark Waid a vainement tenté de le faire revenir dans les années 2000). Mais ce sentiment de perte ne créait pas sa responsabilité et la mort de ses parents (adoptifs ou biologiques) n'était pas ce qui faisait son désir d'humanité. Elle n'était qu'un exemple de sa conscience de ses propres limites. Clark pourrait imposer une dictature totalitaire à la Supreme Squadron s'il le voulait, mais il fait le choix de "s'autolimiter".
Les Elseworlds comme Kingdom Come montrent souvent Batman dérapant dans l'hubris, dans le panopticon totalitaire et paranoïaque (c'est pourquoi il a créé le batellite Brother Eye qui va tenter d'asservir la Terre). Superman au contraire est la figure rare de la lutte contre sa propre hubris, le héros en lutte contre ce danger inhérent à l'héroïsme. C'est un personnage curieusement démocratique puisqu'il s'efforce de s'intégrer dans cette Amérique rooseveltienne. Cela explique d'ailleurs le peu de succès de Superman depuis les années 60 car l'auto-limitation du pouvoir se vend mal et ce n'est plus le discours que l'Amérique ou le monde pouvait entendre. Le rêve prométhéen de l'homme s'élevant vers le surhomme est plus attirant que le processus contraire où le héros tente de ne pas perdre son humanité. Dr Manhattan incarne aussi (comme l'a bien vu Grant Morrison) ce que deviendrait Superman s'il se laissait aller, non pas dans la volonté de puissance, mais vers une divinité indifférente et impersonnelle.
Freakosophy disait que Batman était le seul personnage "sans destin" et qu'il s'était fait lui-même par sa volonté libre, mais cela me paraît discutable selon les versions du personnages. Cela fait longtemps qu'il est surtout ce névrosé de la contrainte de répétition, qui rejoue à l'infini son traumatisme originel. [L'argument sur Catwoman - Batman peut aimer une criminelle parce qu'il comprend l'humanité - peut se retourner : Batman n'a en fait aucune compagne réelle et que des passades (en dehors des Robin) parce qu'il ne pourra jamais dépasser ce cycle de névroses (en dehors de quelques histoires des années 60 où il avait toute une famille. ]
Ce serait bien plutôt le Derniers Fils de Krypton qui fait le choix à chaque instant de construire une vie nouvelle, de ne pas coloniser la Terre de monuments à Krypton et de se contenter de colmater à la marge quelques méfaits qu'il peut résoudre, sans prétendre imposer son pouvoir. Batman est le fantasme de la force (le ploutocrate qui se défoule en tabassant des criminels fous), et Superman est la conscience des insuffisances de la puissance.
Je n'ai pas lu les épisodes récents de Superman par JM Straczynski mais ils ne m'inspirent pas vraiment d'envie de les essayer (comme beaucoup de choses qu'il a écrit dans les comics). Superman semble justement batmanifié pour devenir le n-ième personnage torturé moralement par une crise artificielle sur sa reponsabilité. Le personnage n'aura pas pu échapper à cette force-là.
Et pourtant le tournant psychologies magazine des Nouveaux X-Men avait enchanté le teenager que j'étais mais oui ça a fini par donner ad lib la version du Tireur par Colin Farrell post-nicholson post-actor studio. En fait c'est l'actorstudioisation du monde qui a obligé sa transformation en monde crédible. Chaque donneur d'ordre de la pop culture us invoque ce retour protestant à la vérité des choses, pendant de la première gorgée de bière de chez nous. On est garanti que tous les moyens seront mis pour ce faire. Mais le résultat net c'est la revanche permanente et sourde du western spaghetti sur les Grands Anciens Apolliniens.
RépondreSupprimerEn fait au sein de Freakosophy on est partagé sur le personnage de Batman sans qu'il y ait contradiction sur la répétition et la névrose du personnage de Batman cet article va dans votre sens :
RépondreSupprimerhttp://freakosophy.over-blog.com/article-batman-et-in-arkham-ego-54600907.html
Quant au but qu'il pousuit :
http://freakosophy.over-blog.com/article-35524243.html
Au plaisir
U. de Freako
Coucou
RépondreSupprimerFinalement R. de Freakosophy a écrit une réponse que l'on vient de poster ici :
http://freakosophy.over-blog.com/article-batmanification-68623774.html
histoire de continuer un peu le débat.
Au plaisir.
Freako