mercredi 23 mars 2011

Tyran tripolitain contre Pentapole


Benghazi est près de l'ancienne cité de "Bérénice" dans la Pentapole de Cyrénaïque (d'où venait d'ailleurs l'éponyme de ce blog). La Tripolitaine regroupait trois cités antique (Oea, Sabratha, Leptis Magna) à l'ouest de la Libye et la Pentapole réunissait cinq cités grecques de l'est (Cyrene-Apollonia, Arsinoe-Taucheira, Euesperides-Berenice, Balagrae, Barca).

MB me demande dans les commentaires si, puisqu'on pouvait intervenir pour sauver les insurgés de la Cyrénaïque et qu'en ne faisant rien on laissait commettre un massacre, n'est-ce pas la preuve suffisante qu'on devait le faire moralement.

Cela me paraît convaincant, tant du moins qu'on en reste à cette fameuse résolution 1970 & 1973 qui donne des conditions plus strictes que d'autres résolutions pour la protection des civils (y compris donc ceux en Tripolitaine). F.Fillon dit que nous ne sommes pas dans une Guerre et seulement dans une zone d'interdiction aérienne. Comme disait Machiavel (je vole cela aussi à un commentaire de Goodtime), on peut commencer une Guerre quand on le veut mais il est parfois difficile de l'arrêter quand on le peut.

As I said in my previous post, I think that the UN resolution authorizing it puts the protection of civilians at the centre of its mandate and sends a clear signal to governments of the world that they cannot massacre their own people with impunity.

I do not know what the end game is. I accept that the campaign will result in people being killed by allied airstrikes and I presume that the intervening governments have selfish as well as altruistic motives for their actions. However, I think that the situation in Libya immediately prior to the intervention passed the threshold test that I set out above. I think that the UN is fulfilling its responsibility to protect the lives of civilians in this case.

Je laisse de côté le fait qu'on tolère plus ou moins d'autres répressions moins spectaculaires au Yemen, au Bahreïn, en Syrie ou en Côte d'Ivoire, car un choix dans une action justifiée ne serait pas une objection suffisante et on pourrait dire qu'il ne s'agit pas dans ces derniers cas de répression par voie aérienne.

Peut-être ai-je vraiment été aveuglé par la sarkophobie finalement dans mon malaise. Le fait que même Chevénement et Mélenchon soutiennent la résolution 1973 (contrairement au PCF) me fait penser que j'avais des doutes excessifs sur la réalisation.

Tzevan Todorov va jusqu'à défendre une position maximaliste qu'il n'y aurait jamais de Guerre juste, et seulement des Guerres défensives ou de nécessité. Cela me paraît tellement exagéré que j'imagine qu'il ne peut pas croire cela jusqu'au bout à moins de se mettre dans une éthique de conviction religieuse.

Michael Walzer, le célèbre théoricien de la Guerre juste (qu'on a parfois injustement rapproché des Néo-Conservateurs dans l'interventionnisme et qui aurait soutenu une intervention militaire au Darfour au nom de l'urgence politique) est hostile cette fois à cette opération.

Son premier argument est stratégique et dit qu'on n'a pas de fin claire comme Kadhafi restera probablement au minimum en Tripolitaine et dans la Syrte (c'est aussi l'objection principale dans cet article de Bricet des Vallons). On peut répondre qu'on n'aggrave pas le mal en augmentant simplement la probabilité que les insurgés ne se fassent pas tuer en aussi grand nombre. Il répond (contre l'argument humanitaire de Samantha Power sur le précédent rwandais) qu'il n'y avait pas urgence humanitaire dans la mesure où il aurait été possible d'aider les insurgés à passer en Egypte. Cela paraît douteux. Mais s'il y avait des objectifs plus clairs (comme soutenir activement les insurgés), on pourrait reprocher alors à l'intervention de dépasser la résolution de l'Onu. C'est un dilemme entre de mauvaises solutions.

Son second argument est plus politique et régional, qu'il n'y a pas assez de soutien des pays arabes, seulement deux pétromonarchies du Golfe (Qatar et Emirats arabes unis) et notamment pas assez de la Tunisie et de l'Egypte. Le cas de l'Egypte pourrait être problématique (la Libye a 6 millions d'habitants, l'Egypte environ 80 millions) et leur intervention serait perçue comme une invasion du puissant voisin convoitant le pétrole libyen. Amr Moussa, secrétaire de la Ligue arabe, a soutenu la résolution et ses critiques sont restées confinées à la défense de la lettre de la résolution. Le troisième argument est qu'il n'y a pas assez d'alliés dans l'Onu. Mais certains des pays qui s'abstiennent comme la Chine ne le font peut-être que parce qu'ils voudraient eux aussi pouvoir réprimer leur population en paix (et tout le monde sait que si les Chinois massacraient les Tibétains ou les Ouïghours plus activement, il n'y a rien que la communauté internationale pourrait ou voudrait faire contre la plus grande puissance mondiale en devenir.

Il reste une difficulté stratégique. La Libye du Général Kadhafi avait été réadmise peu à peu dans le concert des nations après 2001-2003 parce qu'elle avait renoncé à son programme d'Armes de destruction massive et parce qu'elle luttait contre Al-Qaeda. Si elle avait conservé ce programme, on ne l'attaquerait probablement pas aujourd'hui. N'est-ce pas alors envoyer le message aux dictateurs qu'ils ne doivent surtout pas faire l'erreur de collaborer et abandonner ce genre de programme qui leur offrirait un moyen de dissuasion ? On pourrait aussi répondre à cet argument que le régime libyen courrait vraiment le risque d'être aussi attaqué après 2003 s'il n'avait pas enterré ce programme qui était plus réel que celui de l'Irak.

11 commentaires:

  1. A propos d'Al Qaida, un copain politiste spécialisé sur le Sahel pense qu'il y a un vrai risque de jonction entre certaines tribus libyenne et AQMI.

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  2. "Trois conditions sont nécessaires pour qu'une guerre soit juste : l'autorité du Prince, une juste cause, une intention droite" On peut chipoter mais admettons que les conditions soient réunies : la résolution de l'ONU, la liberté du peuple libyen, une inspiration chevaleresque.
    Mais Thomas n'a jamais écrit qu'on ne pouvait pas perdre une guerre juste... (comme par exemple en assistant depuis les airs à la lente agonie de troupes sans munition sans carburant et sans ravitaillement au sol).
    L'argument de départ sur "tu dois donc tu peux" me semble vraiment trop catégorique pour s'appliquer à l'intervention actuelle : la question de la pertinence d'entrer en guerre quand on n'a pas ou mal défini les conditions de victoire et de retraite demeure à mon sens du ressort de la "prudence" comme vertu et non de la justice.
    Que nous voulions simplement protéger les civils ou renverser le cours des événements militaires, la résolution qui nous légitime ne nous en donne pas tous les moyens... Donc il n'est pas si évident qu'on puisse ce que l'on doit. J'en reviens donc à Machiavel : on commence quand on veut... le reste est incertain.
    Goodtime.

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  3. > Hady Ba
    Ce n'est pas que la propagande de Kadhafi alors ? Je comprends mieux la blague du Daily Show : Alien vs Predator.

    > Goodtime
    Tout dépend de l'intention. Si le seul but était la fin de la supériorité aérienne, c'est déjà accompli. Si c'est sauver le "Comité de transition ex-Kadhafien-AQMI" de Cyrénaïque c'est plus incertain. Et en effet, si c'est renverser Kadhafi, cela paraît difficile.

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  4. D'après mon ami, d'une part Kadhafi empêchait la propagation d'AQMI en contrôlant ses propres tribus et d'autre part finançait (au Niger au moins) toutes sortes de confréries sufis. Son départ devrait laisser (d'après mon ami) le champs libre aux sunnites orthodoxes financés par les Saoudiens.

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  5. Mais quel est le but d'AQMI par rapport à ses prédécesseurs que sont GIA et FIS ? Est-ce une prise de pouvoir régional, est-ce favoriser la venue du Califat, est-ce simplement exercer une zone de contrôle économique pirate (ce à quoi les FARC ont abouti) ?

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  6. Ca me rappelle ces parties de jdr dans lesquelles un macguffin paresseux suffit à entrainer les joueurs dans une spirale de violence dont le but initial reste très incertain mais la morale est finalement act and see.

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  7. @Anonyme 1: Une manière de penser AQMI, me semble-t-il est comme une résurgence de la tradition de razzias qui a toujours existé à la frontière de l'Afrique noire et du Maghreb. Alors qu'aux temps anciens, c'étaient des femmes, et des enfants qui étaient enlevés, maintenant, on enlève des européens pour exiger une rançon. Tant que AQMI ne menacera pas vraiment les pouvoirs centraux mais se contentera d'être une nouvelle industrie fournissant de nouvelles source de revenu à des populations périphériques, ces pouvoirs, que ce soit au Niger ou au Mali, n'ont aucun intérêt à vraiment l'éradiquer. Le discours islamiste et l'affiliation à Al Qaida me paraissent pour l'instant superficiels.

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  8. Ce qui mérite d'être rappelé. En cas de disparition de Kadhafi, on aurait donc pas substitution du "pouvoir" par AQMI. D'après vos précisions, leur structure n'est en rien voisine des Frères Musulmans par exemple.

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  9. Voilà qui affaiblit mon argument en rapprochant la base juridique des moyens d'atteindre la condition de victoire implicite qu'est le départ de Khadafi :
    http://washington.blogs.liberation.fr/great_america/2011/03/libye-une-résolution-à-multiples-options.html
    Mais cette interprétation casuistique risque de porter le trouble à un autre niveau : à partir de quand une intervention devient-elle une occupation ?
    Goodtime

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  10. D'après le Canard enchaîné d'hier mercredi 23, il y aurait en fait déjà intervention au sol en Libye, au minimum de certains services militaires, notamment (1) pour mieux viser les cibles (2) pour armer les rebelles de Cyrénaïque. Je ne sais pas quel est le critère pour distinguer ces interventions (officieuses et démenties) et une occupation.

    L'occupation serait refusée sans doute même par ces Insurgés dirigés par Mahmoud Djébril (ancien ministre de la planification de Kadhafi, qui se prétend maintenant intellectuel critique démocrate...).

    L'ex-ambassadeur Jean-Christophe Rufin (devenu de moins en moins sarkozyste depuis qu'Abdoulaye Wade a obtenu son départ de Dakar en juin 2010) dit que les insurgés agitent des drapeaux tricolores et que nous sommes déjà plus en guerre que nous ne le reconnaissons.

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  11. Tant qu'il ne s'agit que de forces spéciales, en quelque sorte d'appoint, il n'y a d'occupation que s'il y a capture. Elles n'ont pas vocation à tenir des places, seulement à les neutraliser.

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