lundi 14 mars 2011

William Blake dans Lords of Creation


Quand la grande compagnie de wargame Avalon Hill tenta de se mettre au jeu de rôle, ils eurent peu de succès. Ils reprirent la license d'un des plus célèbres jeux de Chaosium, RuneQuest, en 1985, et leur version (la 3e édition) était à la fois très chère et au départ relativement "générique" (ce qui déçut un peu les fans de Glorantha, avant que RQIII n'édite certains beaux suppléments dans ce monde). Et ils publièrent quelques jeux originaux : le très simulationniste et lourd Powers & Perils (1984), qui ferait ensuite un peu double emploi avec RQIII, le jeu humoristique Tales from the Floating Vagabond (1991). Ils avaient commencé avec le très curieux Lords of Creation (1984). L'auteur était l'ancien membre de TSR, Tom Moldvay (qui avait écrit la deuxième version de Basic Dungeons & Dragons et quelques très jolis modules comme le B4 La Cité Perdue). Une rumeur de l'époque (que j'ai lue dans Different Worlds #26) disait qu'Avalon Hill l'avait payé par avance 10,000$ sans voir le jeu, en espérant un vrai concurrent à D&D.

Lords of Creation ne fut jamais ce succès.

C'est un jeu "multi-genre" qui ressemblerait un peu au jeu français Mega, mais avec des personnages voyageurs superhéros multi-dimensionnels appelés à devenir plus puissants. Les personnages pouvaient débuter avec quelques pouvoirs psi mais ils devaient finir la campagne sous la forme de Dieux, des "Seigneurs de la Création" (comme la fin de D&D avec ses Immortels). Cela commence donc un peu comme un apprenti des Seigneurs du Temps de Doctor Who et finirait en Amber ou Nobilis, avec un jeu "Gonzo" avant Rifts ou Synnibar.

Grognardia a déjà fait l'éloge de l'humour absurde de ce jeu et ces illustrations montrent bien à quel point ce jeu peut devenir délirant, avec son mélange de races fantastiques et d'univers de SF.

Lords of Creation ne décrit donc pas un monde mais plusieurs univers avec des lois différentes. Il y a par exemple les Terres Anciennes (une sorte d'Europe archaïque de fantasy protohistorique et mythologique), les Neuf Mondes d'Yggdrasil, les 4 Plans Elémentaires, la Terra Impériale (un univers de SF où l'Empereur de la Terre Romulus XI est soutenu par un Ordinateur qui occupe toute notre Lune et où l'Humanité est alliée à d'innombrables races extraterrestres), Pryddo (une uchronie de steampunk-fantasy où des descendants de Spartacus et de rebelles celtes ont dominé l'Empire romain, et où la Scandinavie et la Russie ont formé tôt une République sociale-démocrate).

Mais surtout, il y a le monde d'Ulro (voir p. 53-54). Ulro est une sorte de Sphère de Dyson dans laquelle la Mythologie poétique de William Blake est littéralement vraie (avec quelques influences de Farmer). L'idée est tellement brillante que je ne comprends pas qu'aucun autre auteur de jeu de rôle n'y ait pensé avant Tom Moldvay à ma connaissance.


La capitale Golgonooza, la Cité de l'Imagination, a été créée par l'artiste-démiurge Los le Prophète Eternel, mais il y a aussi une ligue de cités matriarchiques au sud-est, dirigées par sa parèdre, son Emanation sensible, la déesse Enitharmon. Le terrible Dieu législateur Urizen (la Raison mais aussi le Dieu tyrannique de l'Ancien Testament) a été enchaîné dans les Montagnes d'Urizen au sud-ouest. Orc le Rouge, le Rebelle s'est déjà délivré des chaînes de son père Los et se cache dans des cavernes avec ses partisans révolutionnaires. Sa soeur Rintrah est une sorte de Sekhmet terrible (voir aussi le Book of Foes p. 23 sur les caractéristiques de la Famille de Los).

En un sens, ce dieu Orc est particulièrement adapté pour un univers du type de D&D. Il est en effet le dieu du Chaos dans tous les sens ambigus de la cosmologie moorcockienne, à la fois le désordre nécessaire contre l'immobilisme (la révolte) et les excès de la destruction (la Terreur). A part le dieu hindou Śiva ou l'interprétation romantique du Lucifer miltonien, il y a peu de divinités de mythologies réelles qui puissent avoir ce genre d'ambivalence (D&D a Trithereon, dieu de la Libération chaotique-bon).

1 commentaire:

  1. Quand je réfléchis aux meilleurs Panthéons fictifs à récupérer pour une campagne de D&D, je pense d'habitude surtout aux Dieux de Pegana de Lord Dunsany que City-State of the Invincible Overlord utilisait déjà.

    Les sons ne sont pas géniaux mais ils sont meilleurs que les dieux énumérés dans le vieux supplément Judge Guild The Unknown Gods (qui est plus un Monster Manual pour Grosbills qu'autre chose, voir la liste dans les commentaires).

    Aldeboran propose de reprendre les Dieux de SubGenius. Ce sont en gros ceux du Mythe de Cthulhu mais avec des ajouts amusants comme la mythologie de Doctor Strange dans l'univers Marvel.

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