lundi 6 juin 2011
Les contradictions idéologiques des élites "post-traditionnelles"
La gauche peut être traversée par la contradiction entre un concept de solidarité sociale qui ne soit pas qu'une extension d'un intérêt individuel bien compris et le libéralisme politique et moral depuis 200 ans, mais la contradiction du Parti républicain américain est encore plus claire entre l'évangélisme chrétien et le libertarianisme randien opposé à tout altruisme même minimal ou même seulement "charitable". La droite pouvait s'en sortir en n'allant pas jusqu'au Randisme pur et dur. Par ailleurs, ils reprenaient implicitement une interprétation de la "théologie de la prospérité", et appliquaient quasiment mécaniquement une analyse "weberienne' des croyances favorables au Capitalisme, en considérant le succès économique comme la Grâce divine et les difficultés sociales comme une juste punition du péché.
Cette contradiction remonte en gros à la fusion entre la Droite des affaires du Nord et la conquête du Sud, depuis au moins Barry Goldwater, Richard Nixon ou Ronald Reagan. Mais depuis quelques années (et surtout depuis 2008 quand les think tanks républicains ont décidé de le dire plus explicitement), la droite "révolutionnaire" randienne, avec son inversion des valeurs morales traditionnelles, est en train de devenir la nouvelle orthodoxie et le GOP arrive à se réclamer à la fois de ce qu'ils continuent à appeler leur "Jésus" Républicain et d'une sous-sous-Nietzsche plus ou moins "hayekienne" bien plus conforme à l'aspect révolutionnaire du Capitalisme. La contradiction est manifeste et on voit ici des parties de la gauche religieuse américaine la dénoncer :
Mais une autre solution pour la droite est de continuer la "dissonance cognitive" en tenant une sorte de double discours absurde (comme Rand Paul qui se dit Randien et Evangéliste).
Ils peuvent ainsi en rester à un équivalent de la doctrine de la Double Vérité qu'on attribuait aux Averroïstes (qui auraient accepté que le Peuple devait croire que le Monde était créé même si les Philosophes pouvaient savoir entre eux que le Monde était en un sens éternel).
Pour les Républicains, il faut des "signaux" idéologiques de religion avec un minimum de "conservatisme de la compassion" (en disant qu'ils sont les vrais charitables) mais en réalité l'idéologie la plus conforme est l'Egoïsme absolu (en disant que la charité est le vrai mal insidieux). Le lien social ne sert que de voile de moins en moins essentiel (contrairement au vieux conservatisme traditionaliste) et les discours ne sont plus faits que de signaux qui peuvent même se contredire directement. La cohérence semble donc une valeur relative et dépassée comme instrument politique.
L'idée que "Et pourquoi pas..." soit le seul connecteur dans ce discours est une des bonnes idées de ce sketch sur Bigotry and Libertarian Nonsense de Frye et Laurie.
Ce qui semble rejoindre ce discours familier qui rend la gauche coupable de conservatisme social, de crispation sur ses privilèges acquis et qui fait du front pop la matrice d'inégalités entravant la marche naturelle des individus vers leur émancipation par leur mérite, alors brimé par les lois.
RépondreSupprimerQuand même pas si familier que cela sur le Continent, il me semble, non ?
RépondreSupprimerCertes, Fillon a déclaré que les 40 heures du Front populaire étaient "responsable de l'effondrement de la nation française en 1940", au moment où il attaquait les 35 heures dès 2002.
Mais cela devient un problème si une partie de la gauche elle-même commençait à absorber cette vision de la solidarité comme "conservatisme".
Vraiment intéressant, en cela qu'obscurément "on" se dit (… "je" me suis dit…) que cela ("le lien social ne sert que de voile… & les discours ne sont plus faits que de signaux qui peuvent même se contredire directement") serait sans doute transposable au monde politique français actuel… Mais, obscurément seulement… Y réfléchir?
RépondreSupprimerC'est pourtant le discours de la droite dite néolibérale. La référence que j'ai faite au front pop est peut-être hasardeuse mais, dans l'esprit, je crois être dans le vrai: il est de plus en plus fait mention comme casus belli des dispositions prises par le conseil national de la résistance qui jetèrent les bases de notre version du wellfare-state. Les attaques "raisonnables" qui lui sont portées le sont au nom de situations politiques et économiques différentes qu'il "s'agit maintenant de dépasser".
RépondreSupprimerDu strict point de vue de la vie politique américaine, je vois tout ça d'un bon oeil : en dehors de circonstances exceptionnelles, les élections ne se gagnent pas sur des patchworks idéologiques construits aux extrêmes mais plutôt sur des masses symboliques molles placées au centre, qui peuvent certes intégrer quelques idées radicales sur l'emploi de la force ou la stigmatisation de certains groupes sociaux, mais peu, ou en tout cas pas autant que Rand et Limbaugh ensemble—c'est un compound idéologique trop instable pour gouverner, surtout dans un régime séparant nettement les pouvoirs. Enfin, c'est ce que mon optimisme un peu forcené me pousse peut-être à croire.
RépondreSupprimer