dimanche 4 septembre 2011

Loi d'airain des marchés



Il y a de nombreuses choses agaçantes dans l'idée d'inscrire une règle constitutionnelle qui interdirait les déficits à venir dans le budget national. La première est que ce n'est pas nécessairement le bon moment en pleine crise, si jamais on avait besoin d'une relance malgré toutes les dettes. La seconde est que cela prétend aller encore plus loin que tout ce que les Nonistes reprochaient au défunt Traité constitutionnel européen de "constitutionalisation" abusive d'une doctrine politique circonstancielle. La troisième est que le gouvernement du Président qui a le record de la Ve République et a fait exploser les déficits comme Ministre du Budget en 1993-1995 (45 à 55% du PIB) puis depuis qu'il est Président (65% à 85% du PIB - ce qui reste certes loin des quelques 200% du Japon, qui ne gêne pas les Agences de notation) serait le plus mal placé pour prétendre exiger désormais comme carcan une "règle" dont il fut le principal transgresseur. La quatrième est qu'il le fait dans un but purement politicien à court terme pour gêner l'Opposition en espérant que la "Règle" ne passe pas mais en menaçant des pires conséquences dans la notation si jamais cela ne passait pas (un cas rare de chantage, comme le Tea Party, où il souhaite finalement pouvoir mieux étrangler l'otage pour dire que c'est la faute de l'irresponsabilité de l'autre camp).

Mais il y a aussi une cinquième raison, qui est simplement une entorse au langage, ce marketing sur le nom même de la règle qui semble suivre le principe d'Umpty Dumpty ("Je donne le sens que je veux aux mots"). Depuis quand est-ce une "Règle d'or" ?? La "Règle d'or" dans l'usage communément admis est d'habitude "Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse", ce qui peut se discuter mais semble avoir une valeur morale plus universelle que "Un gouvernement doit s'engager désormais à ne plus déposer un budget national avec des emprunts supplémentaires", maxime qui mérite à peu près autant le nom de "Règle d'or" que "Les gens devraient mettre moins de sel dans leurs frites, ce n'est pas bon pour leur tension".

Add. Je me croyais blasé mais je reconnais que je ne m'attendais à un tel manque tactique de la part de deux principaux candidats PS (Manuel Valls à la rigueur, comme il doit se situer à la droite de Bockel). Comment vont-ils faire pour s'opposer à la prétendue Règle aurifère désormais s'ils affirment qu'ils la soutiendront eux-même dès que le Président ne leur posera plus la question ??

6 commentaires:

  1. "qui ne gêne pas les agences...." pour mémoire, le Japon est trois crans en dessous de la France, avec perspective d'abaissement donc quelque part, le niveau de dette doit commencer à leur poser problème. Pour le reste je suis bien d'accord.

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  2. (enfin, ce qui est certain, c'est que les marchés s'en contrefoutent, de la dette japonaise)

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  3. Parce qu'elle est contenue dans l'épargne domestique phénoménale des japonais.
    Ce qui est problématique c'est que seul le gvt continue à gouverner le lexique même si on doute de la valeur des mots employés. A gauche, je n'ai pas entendu la moindre parole prescriptive.

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  4. Mais le simple fait que les socialistes acceptent de prononcer l'expression sans l'assortir d'aucune réserve semble signifier qu'ils renoncent à contester l'idée. L'étape suivante franchie par Hollande et Royal ne fait que le confirmer.

    Fabriquer des expressions idiotes et les imposer comme des évidences objectives a été l'un des moyens utilisés par les ultraconservateurs pour imoser leur agenda (Death Tax, Pro Life etc.). La question est : pourquoi leurs adversaires acceptent de jouer leur jeu ?

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  5. > zvezdo
    Oui, ils ont été abaissés à AA3 par Moody's et Aa- par S&P (la gradation étant AAA, AA+, AA, AA-) mais leurs taux d'intérêt resteront très bas (c'est même en partie un problème comme le Japon ne peut plus descendre ses taux) et ils peuvent toujours produire plus de Yens que notre BCE ne pourra produire des Euros.

    Mais environ 20 ans de déprime japonaise et de "piège à liquidité" ont pu jouer dans cet abaissement au 4e rang.

    La pauvre Grèce (qui a une dette à environ 142% de son PIB et non 200%) est réduite à une note de Caa1.

    > Anonyme1 & Anonyme2
    Tout à fait d'accord, tout se passe comme si une grande partie du PS entérinait la prétendue "règle d'or" avant même de faire semblant de s'y opposer.

    Dans son intéressante analyse du Parti républicain moderne, un ancien conseiller conservateur note bien cet étrange retard sur la question du langage (alors que cela fait pourtant longtemps qu'on nous serine les platitudes de George Lakoff) :
    "How do the Republicans manage to do this? Because Democrats ceded the field. Above all, they do not understand language. Their initiatives are posed in impenetrable policy-speak: the Patient Protection and Affordable Care Act. The what? - can anyone even remember it? No wonder the pejorative "Obamacare" won out. Contrast that with the Republicans' Patriot Act. You're a patriot, aren't you? Does anyone at the GED level have a clue what a Stimulus Bill is supposed to be? Why didn't the White House call it the Jobs Bill and keep pounding on that theme?"

    Il y a certes de limites au pouvoir rhétorique du framing et à l'alchimie du Verbe. On ne peut nous faire croire que c'est une "règle d'or" parce que les citoyens ont déjà été préparés à croire qu'on ne doit pas faire à son budget national ce qu'on ne voudrait pas que les Grecs fassent.

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  6. L'article cité dans mon commentaire précédent donne un autre exemple de terme "chargé" : entitlement (dans entitlement reform, par exemple, ce qu'on entend depuis Clinton). Il y a une adaptation directe au contexte français : Manuel Valls doit déjà commencer à dire "assistanat" à la place de "droits garantis".

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