dimanche 23 octobre 2011

[JDR] La série de Lendore de Len Lakofka (1)



Parmi les auteurs qui ont été présents à l'origine du jeu de rôle, Lenard Lakofka, membre du club de wargame de la région, fut l'un des premiers joueurs des campagnes de Donjons & Dragons de Gary Gygax aux alentours de 1969-1970. Len Lakofka jouait un certain "Leomund", magicien humain qui donna son nom à certains sorts d'AD&D comme "La Hutte Minuscule de Leomund" (ce qui devint aussi le titre de la colonne de conseils de Lakofka dans Dragon Magazine). Lakofka a récemment donné les caractéristiques de Leomund dans Oerth Journal n°10, p. 84 (c'est désormais un Mage 19e Niveau et Clerc de Lendor 5e Niveau).

Mais Lakofka n'était pas que joueur et il organisa sa propre campagne (et ses joueurs comprenaient les frères Nystul). Il créa son propre univers de "Lendore" et lorsque Gygax décida de publier son propre univers de Greyhawk, il annexa à la fois le Blackmoor de Dave Arneson (qu'il réduisit à une baronnie au nord) et le Lendore de Lakofka (dont il fit une simple petite île à l'orient). Contrairement à Arneson, qui quitta TSR et proposa son Blackmoor à d'autres éditeurs comme Judge Guild, Lakofka resta un collaborateur durable de TSR jusqu'au départ de Gygax. Il dit d'ailleurs qu'il dut modifier ses propres cartes de campagne rétroactivement pour se réadapter à la version officielle, où la cartographe de Greyhawk, Darlene Pekul, avait transformé son croquis (mais il continue à écrire que la fameuse carte doit être considérée comme une création fautive dans le jeu).

En gros, voici le Lendore "officiel" actuel :


L'Archipel des Îles des Embruns (Spindrift Isles) se situe au sud-est du Grand Royaume d'Ærdie, entre les "Seigneurie des Îles" au sud et les "Baronnies de la Mer" au nord. Au nord de l'archipel, les îles mystérieuses sont peuplées par des seigneurs elfiques isolés, dirigés par le Conseil des Cinq.

[Une version officielle plus récente, après le départ de Lakofka, parle d'une sorte de théocratie elfique dédiée à la déesse Sehanine Arc-de-Lune, parèdre de Corellon Larethian. Ils auraient commencé à interdire tout contact avec les autres races. Cela en fait l'un des seuls havres olve subsistant sur "Taerre", en dehors du Royaume de Célène au centre du continent.]

La grande île de Lendore est (était en tout cas) au contraire avec une population humaine (au moins 20,000, avec une proportion exceptionnelle de hulfs, des "demi-elfes"). Ces humains sont en majorité des colons descendant de l'antique peuple des Suels (les Suels ou "Suloise" sont en gros les Melnibonéens de Greyhawk, une culture d'anciens humains corrompus de l'Extrême Occident avec des aspects d'Aryens racistes au teint pâle). Lakofka devint d'ailleurs dès lors l'expert en question "suloise" et les divinités qu'il créa furent incorporées comme une des options parmi les dieux adorés par les Humains (les panthéons œridiens et suels).

Le nom de Lendore est celui de Lendor, l'ancien Dieu dirigeant du panthéon Sulois, le dieu neutre de l'Eternité et de l'Ennui (avant que les Suels ne basculent vers des dieux bien plus maléfiques comme Wee Jas ou Syrul), mais d'après le texte de Gygax, ce serait ici le nom d'un homonyme, un Archimage Suel qui aurait conduit son peuple ici à la destruction de l'Imperium Suel dans les "Catastrophes Jumelles". Lakofka a écrit dans Oerth Journal que son personnage de Leomund, Archimage et Clerc de Lendor, aurait voyagé dans le Temps avec son sablier "chronomantique", la Matrice de Lendor, pour organiser ce sauvetage. Leomund aurait été en partie confondu avec ce fondateur mythique dans un paradoxe temporel (il prétend même avoir été membre du Conseil des Cinq).

L'île de Lendore est dirigée par un "Conseil des Sept" à Loreltarma (orthographié à tort Lo Reltarma sur la carte), avec une structure féodale sous cette oligarchie, mais semble inféodée aux seigneurs elfes du Conseil des Cinq (ce qui inverserait la relation traditionnelle dans ce monde toujours dominé par les Humains).

  • Le Module L1 Le Secret de la Colline aux Ossements

    Lakofka proposa à Gygax une série de modules dès 1979, qui devint la série "L". le L1 The Secret of Bone Hill (Niveau 2-4) ne parut qu'en 1981 et la suite, L2 The Assassin's Knot qu'en 1983. Le L3 Deep Dwarven Dwelve fut en partie perdu et ne parut qu'en 1999 pour l'édition du 25e anniversaire de D&D.

    Le L1 ne décrit absolument pas l'île de Lendore mais donne seulement une petite région autour du port de pêcheurs de Restenford (Repos-le-Gué).


    Une meilleure version de la carte du village a été donnée dans un scénario dans Dungeon Magazine #71 (novembre 1998), qui se déroule 5 ans après les événements du L1/L2.


    La population est humaine mais il semble y avoir un peu plus de Magiciens dans l'aristocratie que sur le continent : Andrella la jeune fille du Baron Grellus de Restenford est une apprentie magicienne, et Arness la Bourgmestre du village voisin de Lac Fermage (Lake Farmin) est aussi une magicienne accomplie. Le monde devient donc plus "fantastique" que "pseudo-médiéval" en tenant compte des conventions propres à D&D.

    Je trouve en fait ce module L1 meilleur que le célèbre B2 pour une introduction. Il fournit à la fois un village d'accueil, Restenford, plus intéressant que le Château aux Confins du Pays, et plusieurs zones de danger à explorer aux alentours, comme la "Colline aux Ossements". La partie Donjon n'est certes pas nettement plus originale que ceux de la série "B" (que j'ai indexés ).

    Mais contrairement au B2, il y a quelques PNJ un peu décrits, même si les PNJ plus détaillés viendront plutôt dans le L2. Le Baron Grellus de Restenford me paraît un peu plus intéressant que le Châtelain anonyme du B2. La région compte aussi Faldelac, Grand-Prêtre de Norebo, Dieu de la Chance et des Jeux de hasard, et Qualton, Grand Chanoine de l'Abbaye du dieu Phaulkon (dieu des airs et des oiseaux). Fairwind, la femme du Baron est une prêtresse mais son culte n'est pas précisé (son nom me ferait penser à Phaulkon ou Osprem). Le village de Lac Fermage a des cultes d'Osprem (au "Balbuzard de Mer", déesse de la mer), de Xerbo (dieu de la navigation), de Kord (dieu de la force) mais aussi sans doute des dieux suel plus sombres comme Syrul ou Pyrémius. [Dans son récent Lendore Isles Companion, Lakofka a ajouté encore un fils d'Osprem et Xerbo, "Akwaman", le dieu des tempêtes maritimes] Il y a aussi une famille de Druides demi-elfes (dédiés à Phyton et au "Obad-hai") ; le Druide Almax et l'Archimage Pelltar sont deux des principaux conseillers du Baron Grellus.

    Dans la revue gratuite old-school Footprints n°5, Lakofka a raconté comment ce module s'était déroulé dans sa campagne. Les personnages avaient vaincu les forces de la Colline aux Ossements et ensuite fondé une nouvelle Abbaye au dieu Phaulkon et une mine dédiée au dieu Fortubo (dieu des Mineurs et des Nains), ce qui avait conduit à une grande alliance avec les Nains de Portail-de-Fer (Irongate). La religion semblait jouer un rôle plus important dans sa campagne que d'habitude dans D&D.

    Le module L1 est encore assez simple mais si on l'enrichit en lisant aussi la suite immédiate du L2 on a un contexte de départ isolé mais original et qui n'a pas si mal vieilli (et c'est assez rare pour les produits TSR des années 1980). Un léger défaut est que l'île entière ne sera jamais décrite. Même la suite, le module non-officiel L4 ne décrit que le Duché de Kroten, suzerain plus dans les terres par rapport à Restenford. La capitale de Loreltarma, par exemple, est encore complètement à créer par soi-même, autant que je sache. Mais cela peut aussi être un avantage. Je ne pense pas par exemple qu'on ait très envie de suivre la nouvelle version officielle où les Humains auraient été expulsés par les Elfes.
  • 17 commentaires:

    1. Akwamon ? et le Dieu de l'Indifférence Akwabon...
      Norebo doit être Oberon (même inversion dans les Celtiques de Pratt). Fortubo... c'est limite du Naheulbeuk !

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    2. J'avais mal écrit (ou plutôt inconsciemment censuré) : c'est "Akwaman" (comme le superhéros).

      Et effectivement, Lakofka a confirmé que Norebo était l'inversion d'Oberon. De même, "Llerg", le dieu des insectes, était appelé Grell jusqu'à ce que le Fiend Folio ajoute le monstre appelé le grell.

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    3. Encore merci pour cette review oldschool...

      J'ai une petite tendresse pour cette série de scénario que je n'ai jamais joué en tant que PJ ou maîtrisé en tant que PJ. J'ai pu mettre la main dessus que tardivement dans un refelxe attavique de collectionneur.

      Avec le recul, je reconnais que c'est un ensemble d'histoires assez bien foutues, moi qui aime les scénario bas niveau. L'intrigue de l'assassinat commandité du L2 était assez novateur pour cette époque.

      ...Et j'aime bien ce petit côté "village" bien développé avec PNJ et tout et tout. Un de mes préférés dans ce style de background et le village de Orlane du Cult of the Reptile God que j'ai adapté pour RQ à travers un culte (chaotique, bien sûr) du dieu Naja.

      Enfin voilà, souvenirs, souvenirs.

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    4. J'aime bien aussi quand tu traduis de ta propre initiative en français. :-) Parfois ça donne un côté un peu kitsch, mais j'aime bien... moi-même j'ai cette tendance sur le tard de créer et d'écrire en terme français traditionnel...
      C'est à ce moment que l'on s'aperçoit que traducteur est un vrai métier. C'est souvent du détail dans les interprétations et les "translations" mais ça fait toute la différence dans l'ambiance d'une campagne. Mhmm.

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    5. Merci !

      Je n'ai quasiment jamais joué ces campagnes non plus (mes tentatives de D&D ont été en fait peu nombreuses, je suis vite passé vers RQ).

      Je me souviens avoir lu que certains avaient fait une adaptation de la série GDQ où les Drows d'Erelhei-Cinlu devenaient une cité d'Uz, ce qui devait changer pas mal l'atmosphère (même si le mot anglais drow vient en fait de trow >> troll). Mais les déesses trolls Gorakiki ou Arachne ne feraient pas de très bons équivalents pour Lolth. (J'avais aussi pensé à faire une adaptation de cette campagne pour Bhāratavarṣa avec une cité de Rākṣasaḥ qui manipule les Géants piśāca.

      Sur la traduction des termes, j'ai renoncé pour Restenford finalement. Cela sonne bien en anglais alors que "Gué-Repos" ou "Quiet-gué" sonnerait comme une maison de retraite. Et je comprends ceux qui préfèrent dire Waterdeep qu'Eauprofonde ou Greyhawk que Faucongris. Je n'ai jamais trouvé de bonne traduction pour Boldhome, la capitale de Sartar (littéralement "Foyer Audacieux").

      Mais en même temps, pour les sonorités, j'aimerais bien un décor "pseudo-français" médiéval qui sonne mieux.

      Il y a par exemple Le Vieux Royaume des romans de Jean-Philippe Jaworski, mais les toponymes sont un peu trop prosaïques et ne me font pas vraiment rêver.

      Dans le pseudo-français, le pire doit être avec la Bretonnie dans Warhammer avec sa ville de "Quenelles", ou le pays de Chaubrette dans Dragon Warriors dont les noms font directement penser à ce que feraient des Anglais ne parlant pas français.

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    6. Je suis d'accord avec Desméïl ci-dessus et trouve aussi que vos traductions des noms propres en français sont le plus souvent très bonnes, et toujours très supérieures à celles des produits traduits vendus en France. A toutes fins utiles et au risque d'être ridicule puisqu'il est fort possible que ce soit sur ce blogue que j'avais découvert le lien, il y a ce forum sur lequel Gary Gygax écrivait... qu'il n'avait pas vraiment d'opinion !

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    7. Dans l'exemple qu'il donne, Goldmoon, un nom composé, je crois vraiment qu'il faut traduire. Elle appartient à un peuple quasi-indien et on a déjà l'habitude de traduire des noms descriptifs dans le genre de "Lune d'Or".

      Mais les toponymes sont souvent plus difficiles. Dans la très jolie carte de la Passe des Dragons d'Oriflam par Guillaume Fournier, il y avait certains noms qui étaient restés en anglais comme Boldhome ou Tarpit et d'autres étaient traduits comme Citadelle Blanche (Whitehall).

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    8. L'étape suivante, logiquement, est la francisation des noms intraduisibles, à la Canterbury-Cantorbéry, quand c'est réussi, et à la Darth Vader-Dark Vador, quand c'est raté. Boldaume ? Tarpitte ?

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    9. Je n'y avais pas pensé mais ce serait trop opaque si cela doit vraiment signifier quelque chose.

      Boldaume sonnerait alors comme un nom propre et on devrait créer un héros éponyme.

      J'avais lu un jour - Pausanias 1.3.1 - que les Athéniens de l'époque classique avaient créé un héros Keramos, fils d'Ariane et de Dionysos, frère de nombreux autres héros éponymes, d'Eurymédon, Oinopion, Peparethos, Phanos, Phliasos, Staphylos et Thoas, pour expliquer le nom du "Quartier des Céramiques", Κεραμεικός, alors que l'étymologie était transparente.

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    10. J'ai lu "Kéolande" quelque part sur ce blogue. :o)

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    11. :) Oui, c'est vrai, mais c'est dans la traduction officielle chez Spellbook ( Stéphane Tanguay, Jérôme Vessiere), si je me souviens bien.

      La Liste de diffusion Taerre-VF se battait beaucoup sur tous ces sujets quand est sortie la traduction vers 2000. Certains proposaient même de garder tous les noms propres pour que ce soit plus pratique.

      J'avais proposé (peut-être après d'autres) l'amalgame un peu lourd "Hivrisson" pour la cité de Wintershiven, mais je ne trouvais rien de satisfaisant pour Theocracy of the Pale, jeu de mots polysémique où "pale" signifie à la fois la Palissade (il y a plusieurs territoires anglo-normands qui s'appelaient des Pales), la Limite morale ("it's beyond the pale") et le centre de l'écu en héraldique, voire la blancheur, comme le dieu Pholtus de la Lumière aveuglante doit être blanchâtre. je crois qu'il ont finalement pris "Théocratie du Pal", ce qui peut paraître très violent avec les associations de l'empalement (mais je ne me rends pas compte si elles n'existaient pas aussi un peu en anglais).

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    12. Un des traducteurs était vraiment contre "Faucongris" en faisant remarquer qu'un Hawk n'est pas un Falcon (mais qu'on n'allait quand même pas traduire "Epervier-Gris").

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    13. > Un des traducteurs était vraiment contre "Faucongris" en faisant remarquer qu'un Hawk n'est pas un Falcon (mais qu'on n'allait quand même pas traduire "Epervier-Gris").

      Autourgris aurait pu être un compromis acceptable... ;-)

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    14. Oui (et en lisant l'entrée hawk de Wikipedia, je vois qu'en fait faucon convenait aussi et que le québecois qui était contre était un puriste ou bien un birdwatcher bizarre).

      J'aime bien l'inversion Grisfaucon parce que cela sonne un peu comme le Gibet de Montfaucon.

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    15. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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    16. A la traduction des noms propres ... une sacré histoire ;)
      Pour ce qui est de Restenford j'ai toujours pensé que c'était simplement l'association du nom de rivière (en fait plutôt un "fleuve", se jetant dans la mer) - Restin River - et du Ford (pour gué). Puis une évolution de l'orthographe du nom dans le temps Restin Ford (Gué sur la Restin) > Restinford > Restenford.
      Et pas une association entre "Rest" (repos) et Ford.
      Pour traduire, dans ce cas, il faudrait traduire le nome de la rivière. Si l'on a pas d'explication dans le texte, et que le souhaite utiliser la partie "Rest"/Repos, il faudrait trouver un nom sur ce thème. La "Dormante", la "Séréne", ... et à partir de là recomposer avec Gué.

      A l'époque de la liste Taerre, et de la traduction de "The Adventures Begins" de Roger Moore (l'un des traducteurs Eric Holweck en charge du glossaire avait sollicité la liste Taerre), j'avais proposé pour Narwell : Puysenar. Le texte original, indiquait que Narwell venait de Naer's Well soit littéralement le Puits de Naer, l'évolution orthographique donnant Puysenar (en s'inspirant de l'évolution des noms de lieux en France)

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    17. Oui, tout à fait d'accord pour insister sur un lien avec le fleuve Restin. Gué-sur-la-Dormante, Gué-aux-Eauxcalmes ou Gué-Serène semble étrangement paisible en y pensant.

      Dans la toponymie française, le mot "gué" semble toujours en début du nom et cela serait trop obscur de traduire avec des racines comme ritum (gué en gaulois qui devient souvent "ret" ou "roy" en français, rodoed en breton) ou vadum (en latin, qui est devenu gwad en français).

      Très joli traduction pour Puysenar (certes, un "Puy" en Auvergne est un volcan et pas un puits !).

      En pratique, pour utiliser les cartes plus rapidement, j'imagine que presque tout le monde garde les noms anglais.

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