lundi 12 décembre 2011
La destruction du Palais d'Armide (1737)
Le peintre Charles-Antoine Coypel fit en 1737 ce tableau sur le thème d'Armide, un des personnages de la Jerusalem Délivrée (1580) du Tasse (mais surtout ici, sur le personnage de l'opéra à son nom de Lully de 1686, la scène étant extraite du dernier Acte).
Armide est une magicienne "sarrasine", fille de Hidraot, roi de Damas, envoyée pour capturer les plus grands paladins croisés et tuer le chevalier chrétien Renaud. Elle tombe amoureuse de lui et l'enferme dans un Jardin fabuleux où elle l'envoûte de ses délices. Dans la version de l'opéra de Lully, quand Renaud est délivré et recouvre la mémoire en se voyant dans un Miroir, Armide comprend malgré elle qu'il ne l'aimait que par magie. Elle tente alors de le haïr pour étouffer sa passion, mais ne fait que désespérer encore plus d'amour pour celui qui n'avait semblé partager ses sentiments que sous la contrainte de son sortilège. Sous le coup du chagrin et du ressentiment, Armide détruit alors le Palais onirique qu'elle avait créé pour ses amours avec le chevalier ennemi et elle s'enfuit sur un chariot volant (dans le dernier chant du Tasse, après sa défaite, alors qu'elle va se suicider, Renaud la sauve et lui avoue finalement son amour, à condition qu'elle se convertisse).
Le thème habituel des tableaux sur Armide est le temps de leurs amours. Ici, c'est celui de son effondrement. Dans le tableau, elle chevauche un dragon. Cela rappelle directement la sorcière Médée quand elle se venge de Jason après avoir tué ses enfants. Son Palais dévasté est plein de ses serviteurs paniqués, des esprits ou des démons. On pourrait aussi penser à des djinns (comme ceux qui entourent la Reine des serpents Yamlika dans le conte de Hásib Karím al-Dín et Bulúkiyá). La grande différence entre le mythe d'Armide et les magiciennes habituelles comme Médée ou Circé, ou les grandes abandonnées comme Ariane ou Didon est qu'elle pourrait peut-être espérer garder Renaud par sa magie (encore que le Miroir lui a rendu sa claire conscience) mais qu'elle désire finalement ne l'avoir conquis que pour elle-même. Ce n'est plus Roland sous la folie du Philtre ou Viviane/Nimue prête à soumettre Merlin dans un esclavage éternel, mais la créatrice du Philtre qui voudrait s'en passer et souffre soudain de son propre subterfuge. Elle l'aime trop pour ne l'avoir sans son âme. Elle pourrait tenter de demeurer dans un bonheur illusoire mais elle préfère encore tout dissoudre. L'amour mêlé de haine d'Armide est plus "éternel" que le Philtre d'amour artificiel qu'elle avait voulu utiliser.
Illustration via Jardin baroque
L'ambiguïté est bien marquée dans ce passage du Tasse où elle se contredit, désirant d'abord mourir en oubliant tout son amour dans les Ombres, puis à condition de pouvoir continuer à le poursuivre comme un spectre :
"Felice me, se nel morir non reco
questa mia peste ad infettar l’inferno!
Restine Amor; venga sol Sdegno or meco
e sia de l’ombra mia compagno eterno,
o ritorni con lui dal regno cieco
a colui che di me fe’ l’empio scherno,
e se gli mostri tal che ’n fere notti
abbia riposi orribili e ’nterrotti."
(XX, 126)
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