Vers 1974 (comme je l'ai déjà raconté en parlant de la Cour d'Ardor), dès la parution de D&D, Peter C. Fenlon Jr, qui a alors 20 ans, participe à l'Université de Virginie à Charlottesville (où il étudie l'histoire) à une des premières campagnes de D&D, qui vient alors de sortir. Comme beaucoup d'autres joueurs à la même époque (Bob Bledsoe, qui crée Judge Guild à cette période), il utilise comme univers de sa campagne une version personnelle des Terres du Milieu de JRR Tolkien. Il va aussi graduellement modifier les règles de D&D et créer son propre jeu de rôle, d'abord présenté seulement comme des compléments à tout jeu et qui deviendra ensuite progressivement RoleMaster. Il l'a d'abord présenté à TSR (qui ne lui aurait proposé qu'une bouchée de pain) mais il décide de fonder, avec les joueurs de sa campagne RoleMaster comme partenaires, sa propre compagnie de jeu de rôle à Charlottesville, Virginie, Iron Crown Enterprise (I.C.E.), ainsi nommée à cause de la "Couronne de Fer" que porte le maléfique Melkor / Morgoth dans le Silmarilion de Tolkien, et où il insère les Joyaux du titre.
Son premier supplément publié en 1980 sera un contexte de campagne "générique", mais où on sent nettement des inspirations de Tolkien, The Iron Wind. Il décrit un ensemble d'îles, Mur Fostisyr, le "Pays de la Lumière Bleue", au nord du monde (plus tard, on verra que c'est au nord-ouest du continent de Jaiman dans le Monde des Ombres, mais il semble que dans la campagne de Fenlon, c'était loin au nord des régions habituelles de la Terre du Milieu). Mur Fostisyr est un petit archipel d'environ 300 km de long. Il fait beaucoup penser à l'Islande (qui serait moins longue mais plus large), avec ses volcans et sa position quasi-arctique, mélange de glace et de feu. Les îles principales sont les Pics de Verre, les Pilliers de Glace Noire, les Îles de la Lumière verte et le Mont du Siège des Etoiles.
Elles sont habitées par quatre peuples humains.
Le Vent de Fer a déjà détruit l'ancienne île des Udahir et ses Prêtres ont aussi infiltré les Fustir-Gosts. Il est aussi représenté dans l'archipel par plusieurs Démons, les "Ordonnateurs" (des sortes de Balrogs - voir aussi le secret caché soigneusement p. 41) et plusieurs grands prêtres elfes maléfiques (qui jouent un peu le rôle des Spectres de l'Anneau). Un Dragon blanc intelligent et alchimiste nommé Oran Jatar le Forgeron, à l'est des Syrkakar, dirige aussi un des Ordres de ces Prêtres elfes. Il y a d'autres agents et traîtres qui servent la cause du Vent de Fer, dont un des membres de l'Ordre des Navigateurs, ces magiciens qui arrivent à franchir les mers tumultueuses autour de l'Archipel grâce à la téléportation (et qui sont en fait directement tirés de la Guilde des Navigateurs de Dune).
Tout le contexte est présenté par le journal d'un narrateur, un voyageur étranger appelé un des "Maîtres des Savoirs" (Loremasters), un barde-mage elfe, Elor le Ci-Devant Ténébreux (Elor Once Dark), un demi-elfe qui doit son nom au fait qu'il aurait trahi dans le passé les Maîtres des Savoirs avant de se racheter (Elor était fondé sur un personnage vraiment joué par Peter Fenlon, qui avait un "alignement" un peu flexible et hésitant). Eclaireur et agent secret de l'Ordre des Maîtres des Savoirs, Elor a infiltré toutes les cultures de l'archipel pour les étudier, même s'il est censé plus observer et retranscrire qu'intervenir directement, sauf en cas de péril.
Toute cette atmosphère et des peuples humains issus de sociétés déchues et corrompues de l'intérieur par les Ténèbres, sont très clairement tolkieniennes, même si Fenlon s'amuse déjà à inverser certains des clichés (avec de nobles humains et quelques elfes maléfiques). Par la suite, l'Elfe Noir, le "cool maléfique torturé" en hommage à Elric deviendra vite un cliché du jeu de rôle mais ce n'est sans doute pas encore le cas en 1980.
C'est vraiment un module "old school" (centré sur un Lieu et non sur une Histoire). Il n'y a presque aucune intrigue explicite, même si le journal d'Elor Qui Fut Obscur implique que les Ordonnateurs du Vent de Fer et les Syrkakar vont finir par attaquer les Ky'taari de l'île des Piliers de Verre. Sans aide extérieure, la cause du Seigneur des Ky'taari (même s'ils recevaient celle des derniers Udahir cachés) est d'ailleurs compromise et les farouches Syrkakar devraient sans doute l'emporter contre les Peuples Libres de l'archipel.
Des personnages des joueurs peuvent certes trouver plusieurs pistes comme celle sur ce Navigateur demi-elfe Deniroik qui a trahi son Ordre (vu la puissance de ce mage du 22e niveau, il vaut mieux ne pas envisager l'attaquer tout de suite) ou bien les diverses factions de Prêtres (même si la rivalité entre Prêtres ne va pas jusqu'à ce qu'on puisse vraiment les opposer entre eux).
Une des idées de scénario plus original est de jouer des Syrkakar qui veulent libérer leur peuple de la domination par le Vent de Fer, ce qu'on n'oserait pas vraiment tenter dans de nombreux autres univers. Un des moyens politiques repose sur l'ancien "collier" des Haut-Rois des Syrkakar, que leur nouveau dirigeant ne porte pas (le collier rend aussi invisible, et on ne peut s'empêcher de penser à une quête pour un Anneau du Pouvoir, on retrouvera souvent ce genre de réminiscences par la suite dans les mondes de ICE). Le module a plusieurs plans de "donjons" et même Syclax, la cité des Syrkakar. Il est prévu qu'on joue en campagne en créant des personnages locaux de l'un des quatre peuples, et pas seulement des étrangers comme Elor le Ci-Devant Ténébreux.
Mur Fostisyr a la chance de se retrouver dans deux univers. Peter Fenlon, quand il a obtenu les droits d'utiliser officiellement les Terres du Milieu à partir de 1982 a inclus par un clin d'oeil sa première création Mur Fostisyr dans le nord d'Arda. Mais dans la deuxième édition du module (1984), Peter Fenlon et son associé Terry Amthor donnent une carte d'ensemble de tout le contexte des "Maîtres des Savoirs" (Loremasters), qui va être surtout développé par Terry Amthor. Ce monde d'îles va être connu ensuite sous le nom de Kulthea le Monde des Ombres mais ici il ne compte encore que deux continents, le petit Jaiman et le vaste Emer (qui est encore inconnu à l'époque et à peu près de la taille des USA), et deux îles, la glaciale Mur Fostisyr au nord-ouest de Jaiman et la tropicale Vog Mur au nord-est d'Emer et au sud-est de Jaiman.
Globalement, The Iron Wind (en tout cas dans la version de 1984) a relativement bien vieilli. L'univers a beaucoup de détails (listes de minéraux magiques, d'herbes, d'animaux, de lexiques dans plusieurs langues locales) mais il manque parfois des choses plus évidentes (je n'ai pas vu de démographie en dehors des listes d'armées). Il faudra plusieurs relectures pour bien l'exploiter (j'ai par exemple mis du temps à découvrir p.41 qu'on livrait une information qui est citée seulement comme un mystère dans le reste du texte).
C'est un monde isolé, de "frontière" près du Pôle Nord, alors que Vog Mur (deux fois plus court) a au moins l'avantage de ne pas être trop loin d'autres civilisations à découvrir. L'ennui de l'isolement des îles de la Lumière Bleue est que, qu'elles soient libérées ou qu'elles tombent sous la coupe du Vent de Fer, les conséquences semblent faibles pour les alentours. Peut-être faudrait-il donc plus relier les complots du Vent de Fer avec ce que les Prêtres maléfiques (tristement appelés pour un francophone les "Arnaks", je vous suggère de changer cela) font dans le continent de Jaiman (dans les contrées nordiques de Xa-Ar, Saralis et Lu'nak, vous aurez donc besoin du nouveau supplément de Terry Amthor, The Land of Xa-Ar and Northern Saralis, qu'il vient de publier en 2008).
Génial! Merci pour ce travail d'archéologie! :D
RépondreSupprimertu voulais dire "Melkor/Morgoth", j'imagine, plutôt que : prénom Melkor, nom Morgoth ;)
Bon, vu l'âge canonique de ces ouvrage, révéleras-tu le secret de la page 41? :)
Oui, en plus ce n'est pas si captivant, même si cela montre comment des informations importantes du scénario sont trop cachées. L'aventure dit plusieurs fois que le nouveau Roi des Syrkakar est sans doute manipulé par le Vent de Fer. En fait, on voit dans une liste des PNJ et des Monstres qu'il est un des Balrogs camouflé sous forme humaine et que c'est la raison pour laquelle il évite de trop se montrer. C'était prévisible mais mis dans une section technique et pas dans le chapitre sur les Syrkakar.
RépondreSupprimerSi Morgoth signifie le Sombre Ennemi, cela peut être un "surnom" ou un épithète ! :)
C'est vraiment un module "old school" (centré sur un Lieu et non sur une Histoire)
RépondreSupprimerPour toi c'est ça qui détermine si un jdr ou un supplément est ou n'est pas "old school" ? Pour moi ce n'est pas aussi simple... Pavis pour RQ est old school, Pavis pour HQ ne l'est pas.
Les "Umlis", tu fais bien d'en parler...
RépondreSupprimerQuand j'ai acheté pour la première fois, la première édition de MERP (version UK mauve, éditée par GW — séduit par cette belle couverture de Sauron) et que j'ai ouvert le Livre des règles, assez austère avec peu d'illustrations (et vieillotes qui plus est, genre gravure à la Gustave Doré), et que je suis tombé sur la description de cette race...
j'ai un peu été étonné... avais-je mal lu le SdAnneaux ? Avais-je raté un passage ?
Bigre, non, nulle mention des "Umlis", même dans le Simarillion et toute la collec de Christopher...
Bon. Le temps a passé. Et puis je tombe en 2000 sur un gros forum -quasi officiel- de la Warner, un site de discussion du Seigneur des Anneaux et de son adaptation au Cinéma par P.Jackson, avec info et news du tournage.
Bref dans le forum, une grosse, grosse, diatribe par plusieurs rôlistes US envers Pete Fenlon et son délire perso -Sacrilège !- sur cette nouvelle race surgie de nulle part...
Cette section du site "cassait du sucre" sur ICE et justifiait ainsi leur perte de la license de Tolkien Ent., pour la partie RPG et que la Warner avait choisit une autre Company pour lancer une nouveau JdR basé sur la Terre du milieu et "émulant", bien sûr, les choix créatifs et visuels du film.
Conclusion : l'idée des Umlis, les demi-nains, n'est pas si bête dans Merp (un peu de variété atypique, quoi, dans un monde hyper rigide) même si OK, totally hérétique...
En même temps les films de Peter se sont bien permis quelques grosses déviances (que je n'aime pas personnelement) par rapport au bouquin.
Mais bon, bref, voilà.
> 賈尼
RépondreSupprimerL'idée que les scénarios sont plus des lieux que des histoires n'est pas un critère suffisant pour le "old school". C'est un critère sur lequel insiste surtout James Maliszewski (cela marche bien pour certains modules Traveller qui décrivent parfois seulement un plan de vaisseau et qui donnent ensuite quelques conseils pour s'en servir).
Mais je ne serais pas entièrement d'accord sur le Pavis originel pour RQ. Il proposait déjà quelques histoires scénarisées avec un début et une fin. Il faudrait plutôt un donjon comme Balastor's Barracks ou Snakepipe Hollow, qui n'a quelques intrigues de base.
Ce qui se rapproche le plus d'une campagne Old School pour Runequest est le côté "bac-à-sable" très ouvert de Griffin Mountain. Il y a quand même une chronologie possible des événements mais les PJs pouvaient vraiment se balader dans les Elder Wilds avant de découvrir la quête pour trouver l'Epée des Vents. Même Dorastor se rapproche de ce modèle encore.
> Desmeil
Je me souviens qu'Édouard J. Kloczko (qui devait être ce que Casus Belli a appelé de la célèbre formule de "Jihad Fondamentaliste Tolkienien") citait ces "Umli extraterrestres" parmi ses critiques contre MERP.
Le défaut de MERP était peut-être plus son système de magie trop puissant (mais cela pourrait bien marcher pour une campagne au Premier Âge !).
Je n'ai pas essayé le jeu LotR RPG de Decipher ou le jeu français Tiers-Âge. On dit que le nouveau The One Ring réussit à bien reconstituer l'atmosphère (mais avec sa manière de ne décrire que des petits morceaux des Terres du Milieu, on est pour l'instant limité à Mirkwood).