mardi 30 avril 2013

Rivières de Souveraineté

C'est la légende fondatrice du peuple Anuak (Anyak), dont on avait déjà vu le mythe sur Chien père des techniques. Les Anuak sont une autre branche des cultures Luo comme les Shilluk, ce qui explique que leur fondateur est défini en opposition avec ce dieu Nyikang. Les Anuak sont restés plus au sud que les Shilluk, au-delà des terres des Nuer, à la frontière avec l'Ethiopie (voir la carte des peuples du Sud-Soudan).

Akango (l'équivalent de Nyikang) avait un frère qui se sépara de lui lors de son exil hors de la Terre de Dimo et qui se nommait Gila.

Un jour, deux femmes du groupe de Gila capturèrent un immense poisson dans la rivière. Le poisson se débattait et devint d'abord un serpent pour leur échapper, puis un crocodile et enfin il prit forme humaine. On amena l'Homme de la Rivière à Gila et il vécut dans sa maison, jusqu'au jour où il fit tomber la fille de Gila enceinte et il repartit.

Elle enfanta deux fils, Ucoda et ensuite Cruvai. Mais Ucoda ne voulait par régner et rejoignit son père dans la rivière. Cruvai épousa sa soeur et devint le premier Roi du peuple Anuak. Alors Ucoda ressortit de l'eau et apporta à son frère les colliers Ucok et Gurmato, insignes de la Royauté sacrée. En échange, Cruvai offrit à son frère le dieu des eaux sa fille en mariage, Kori Nyairu.

Source : recopié de H. Scheub, Dictionary of African Mythology. Charles & Brenda Seligman, Pagan Tribes of the Nilotic Sudan, 1932, p. 109.

Non seulement Nyikang et Gila sont déjà eux-mêmes issus de déesses de la Rivière mais les Anuak ont donc ajouté une deuxième hiérogamie avec l'eau pour leur premier Roi Cruvai, mais aussi plus de liens incestueux (Cruvai épouse sa soeur et sa fille épouse ensuite son oncle), comme s'ils voulaient encore plus insister sur l'aséité et le caractère originaire de la famille royale. Les métamorphoses de l'Homme de la Rivière font bien sûr penser à celles de Protée ou de Nérée.

samedi 27 avril 2013

Les choix stratégiques de Robb


Un commentaire par l'archi-fan Steven Attewell (par ailleurs doctorant en Histoire) pour faire comprendre les plans militaires de Robb Stark dans sa campagne vers l'Ouest (AVEC DES CARTES ! NON, MAIS QUE DEMANDE LE PEUPLE ?!). Etant nul en wargame, je n'ai toujours rien compris mais j'apprécie d'imaginer que c'est au moins possible (ce qui n'est pas le cas en regardant seulement la série télévisée).



Mais, bon, de toute façon, [SPOILER !hum hum, hein ?[/HE, JE VOUS AVAIS PREVENU DU FORESHADOWING]...

Mignon

Sword & Wizardry est un clone de la première édition (originale) de D&D et bien que les premières versions plus "archaïques" des jeux de rôle n'aient pas l'obsolescence (culturelle ou technologique) d'autres loisirs, dans ce cas précis, il peut paraître vraiment de la mortification ascétique que de s'imposer des règles où toutes les armes font les mêmes dégâts par exemple ou bien où il n'y a strictement aucune compétence.

Mais à l'occasion du jour d'appréciation collective de ce symbole de la Vieille Ecole, j'ai bien aimé ce petit récit de partie

I broke out my printout of Swords & Wizardry White-Box edition, and a level of the dismal depths and we rolled up characters using my variant races of Pygmy, Amazon and Cyclops.

The most unique part of the night was who the player were: my teen age son, my 14 year old son, my 12 year old daughter, my wife, and 5 month old son.

The baby played a Pygmy cleric that could only speak the pygmy language and by convenient coincidence my wife played the only member of the party able to communicate with him. Of course my baby boy couldn't read, write or roll dice at the time but he got involved by the emotion and excitement of the group and was involved. He got into the fights and amusingly enough argued with my wife at one point over the course of action in the game. It was a magical evening for the whole family made possible by Swords & Wizardry.

Si cela se trouve, les Pygmées seraient une race plus populaire que ces pauvres Halflings.

vendredi 26 avril 2013

Sous-Voies et Catacombes : Métro Post-Apocalyptique


L'an dernier, à la mort de Moebius, j'avais déjà affiché cette image fantastique de métro avec rame organique, qui semble propice au jeu (au point que je me surprends à tenter d'appeler le métro maintenant) :


Depuis environ dix ans, un des grands succès de la SF russe est la série de Dimitri Glukhovsky, METRO 2033 (également adapté dans une série de jeux vidéo en Russie), qui fait un peu pour le Métro de Moscou ou de Saint-Petersbourg ce que G.-J. Arnaud avait fait pour les voies ferrées avec sa Compagnie des Glaces.

Glukhovsky décrit un futur où la surface a été ravagée et irradiée et où les survivants ont fondé leur communauté dans les stations de métro, qui ont chacune déclaré leur indépendance pour se regrouper en diverses alliances le long des anciennes lignes. L'ambiance post-apocalyptique est assez satirique, avec la "Ligne rouge" néo-communiste (Station de la Bibliothèque Lénine ou des Komsomols) contre l'extrême-droite (autour de la station Pouchkine) ou la Hanse (une confédération commerciale sur la Ligne circulaire de l'actuel métro), avec en plus des Stalkers des ruines et des Mutants un peu cthulhuoïdes (qui adorent les Tunnels comme le Grand Ver). L'idée d'un "nationalisme" propre à chaque station est très amusant quand il y a une sorte de lien avec le nom (ceux de la station "Rue de 1905" veulent refaire une révolution mais en moins bolchevik que ceux de la Ligne rouge).

Si on essayait d'adapter l'idée au métro parisien (avec sans doute moins de beaux marbres profonds, plus de lignes aériennes coupées et encore plus de Rats Mutants pas Adolescents qu'à Moscou), on pourrait aussi utiliser plutôt la célèbre carte anagrammatique créée par le génial poète oulipiste G.E. Farèse (car après l'Apocalypse, les noms des stations peuvent changer).  Le simple fait que "Place des Fêtes" soit devenu "Le Pacte des Elfes" ou que "Pelleport" soit déformé en "Pépé Troll" donne envie d'y jouer (La Défense est "Danse Elfe" et Maisons Alfort-Alfortville devient "Me voilà, trolls affriolants").

lundi 22 avril 2013

Carse, la Cité Ambulante


Une des choses qui m'amuse la plus en lisant des univers fictifs est de trouver aussi des analogies ou même des intersections entre plusieurs mondes (comme on l'a déjà vu par exemple pour Blackmoor ou pour Empyrea).

Or, un des meilleurs cas de ville à cheval ou au carrefour entre plusieurs mondes - plus encore que des lieux explicitement multidimensionnels comme Tanelorn / Sigil / Nexus / Cynosure - est la cité de Carse / Karse qui apparaît sous deux formes différentes mais en plusieurs cadres différents, entre 6 ou 7 mondes selon la manière dont vous décidez d'individuer un univers.

En anglais ou plutôt en écossais, un Carse (kerse) est une sorte de vallée alluviale. Mais cela n'a peut-être pas de sens ici.




  • I Première lignée : Carse

    1 Un groupe d'étudiants de UCSD (l'informaticien Stephen Abrams, la biologiste April Abrams, le psychologue Jon Everson) avait fondé une petite compagnie de jeu nommée Midkemia Press. Une de leurs spécialités étaient de sortir des suppléments urbains, et après un premier livret général en 1979, Cities (repris en partie dans le Thieves'World de Chaosium, 1981), Stephen & April Abrams sortirent leur première ville, Carse (1980). C'était une ville relativement "réaliste", médiévale et humaine (rien à voir avec des villes fantastiques comme City-State of the Invincible Overlord où on croise des Géants ou des Centaures dans chaque commerce).

    La carte était directement inspirée de la ville galloise de Caernarvon et la Cité était conçue '"pour tout jeu que ce soit D&D, C&S ou RuneQuest".



    2 En 1982, un des joueurs les plus dynamiques de cette campagne, Raymond Feist (qui a aussi écrit une autre ville dans la même série, Tulan of the Isles, 1981) sortit son premier roman de fantasy, Magician, se déroulant dans cet univers de la campagne de Midkemia à San Diego (avec un mélange de la Tékumel du professeur Barker que Feist imita directement dans son "Kelewan"). Les cycles de Feist devinrent un tel succès que pour la plupart des gens, c'est maintenant le Carse de Feist qui est le plus célèbre (même si c'est une ville très mineure, dans le Duché de Crydee), au point que les Maîtres de jeu créateurs de Midkemia s'adaptèrent ensuite rétroactivement aux modifications introduites par le romancier.

    3 En 1986, la même équipe californienne de Midkemia réédita une 3e édition de Carse chez Chaosium, un peu plus pour le système de RuneQuest.
    La ville fut donc incluse un peu subrepticement dans le monde de Glorantha (malgré les réticences de Greg Stafford pour les "mélanges" de mondes - contrairement à la pratique "californienne" des campagnes, il déconseillait les personnages voyageant entre son Glorantha et les autres mondes).
    Rebaptisée "Karse", elle est dans le Royaume d'Heort, pas très loin de Refuge (la version gloranthienne de Sanctuary, cité de Thieves'World où j'ai fait ma campagne de Runequest). Joerg Baumgartner a un peu développé cette Karse heortienne, où les anciennes tribus polythéistes Orlanthies ont de plus en plus d'influences monothéistes.

    4 La même année 1986, le monde allemand de Magira (un des plus anciens mondes fictifs collaboratifs, même antérieur à la parution de D&D, même s'il y eut aussi une influence d'Empire of Petal Throne) absorba aussi officiellement une version de Carse, mais en changeant le nom en Corrinis.
    C'était toujours le même supplément des Abrams, traduit directement en allemand.
    Je crois que l'origine galloise de Carse était d'ailleurs assez directement utilisée dans les références - malgré cette couverture qui semblerait moyen-orientale. Le cadre qui s'appelait "Albyon" dans Magira deviendra ensuite "Alba".

    5 Mais dès 1987, le jeu de rôle allemand Midgard de Jürgen Franke se sépara du cadre de Magira et le réadapta (peut-être parce que Magira était plus utilisé pour les romans de l'auteur autrichien Hubert Strassl ?).
    Cette cité de Corrinis a été reprise et considérablement développée en 2004 dans une seconde édition de Corrinis: Stadt der Abenteuer (200 pages au lieu de 50). La couverture est par Larry Elmore mais les textes des Abrams ont été amplifiés par Heinrich Glumpler, qui y créa plusieurs scénarios. Ce site a une description avec des cartes de Corrinis dans cette version midgardienne.
    La Baronnie de Corrinis est indépendante au sud sur un fleuve entre deux Royaumes, Erainn (une Irlande avec des Elfes et des Celtes adorant les Serpents) et Alba (qui correspondrait plus à l'Ecosse).

    Donc en récapitulant, cette cité de Carse est à la fois dans Midkemia, dans Magira, Midgard et dans Glorantha.

  • II 2e lignée : Karse

    La deuxième ville, Karse, n'a pas grand-chose à voir directement avec celle de Midkemia - c'est d'ailleurs une ville en ruines - mais elle se trouve aussi se promener entre les mondes.

    1 En 1981, Paul Jaquays fut engagé par SPI pour écrire une campagne pour leur jeu DragonQuest. De même qu'il avait déjà créé la campagne Griffin Mountain pour RuneQuest (avec Rudy Kraft), Kraft créa un monde de campagne assez vide, baptisé Frontiers of Alusia et Paul Jaquays sortit The Enchanted Wood, une petite campagne "bac-à-sable" qui se passait dans les ruines de Karse, pas très loin de la ville de Stonesboro (Confédération et Baronnie de Carzala). C'est sans doute la meilleure aventure publiée pour ce vieux jeu oublié.

    La particularité de cette ville en ruines (recouvertes de forêt magique) était sa mythologie : son demi-dieu éponyme Karsus était un héros qui s'était sacrifié en tuant un monstre (le Serpent Céleste) et s'était transformé en montagne. Mais son Coeur battait toujours à l'intérieur de ce Pilier et c'était sa souffrance qui causait la corruption aux alentours. Le sorcier maléfique Wulgreth cherchait chercher à utiliser la puissance magique de ce Coeur dans le Pilier de Karsus et un des buts possibles était de soigner Karsus.

    2 SPI avait fait faillite en 1982 et avait été racheté l'année suivante par TSR (ainsi que les droits de DragonQuest). En 1987, Ed Greenwood avait publié le nouvel univers officiel d'AD&D, les Royaumes Oubliés et Paul Jaquays, qui travaillait désormais pour TSR, sortit l'année suivante un module DQ1 The Shattered Statues. Il était prévu pour être situé dans les Royaumes Oubliés (près de Cormyr dans les Thunder Peaks) mais en étant compatible à la fois avec les règles d'AD&D et DragonQuest (je crois que ce fut la seule tentative de faire vivre un peu le système qu'il avait réédité en le censurant et en retirant toutes les règles de démonologie). The Shattered Statues n'était pas la reprise de The Enchanted Wood mais Jaquays avait quand même réutilisé certains personnages de DragonQuest (l'alchimiste Amelior Amanitas). Le but de Jaquays paraissait même être plus de montrer la richesse du système de magie de DragonQuest qu'autre chose.

    Mais surtout, Jaquays intégra maintenant ses ruines de Karse dans la région du Nord-Ouest de Faerun, dans la Haute-Forêt (High Forest) en y reprenant toute la description d'Enchanted Wood dans son autre livre de 1988, FR5 The Savage Frontier p. 52 (repris ensuite dans le supplément The North (1996) p. 55).

    La Karse des Royaumes Oubliés était donc également en ruines et entourées de Chênes Géants sinistres. Mais la mythologie évolua considérablement : au lieu d'être un héros blessé, Karsus devint un très puissant mage qui avait tenté de devenir un dieu - certes, avec de bonnes intentions - et qui avait ainsi causé l'effondrement de l'Empire Magique de Netheril en volant le Mana Divin. C'est ce Karsus qui était responsable dans son hubris de la Désolation d'Anauroch. Wulgreth était toujours là comme une Liche, mais à la place du coeur de Karsus (qui n'était même plus mort à cet endroit), le vrai centre était devenu le Phylactère de Wulgreth.

    Dans Neverwinter Nights: Shadows of Undrendtide (2003), un des jeux informatiques publiés sur les Royaumes Oubliés, on trouve un épisode aux Enfers où on pouvait chercher à trouver la rédemption de ce Karsus, ce qui correspondait un peu mieux à l'intrigue originaire d'Enchanted Wood.

    Donc, pour récapituler, ce Karse est à la fois en Alusia (DragonQuest) et en Faerun (D&D), mais on remarque que la mythologie y est presque opposée, bien que l'auteur soit le même.
  • samedi 20 avril 2013

    Nyikang le Roi Crocodile


    Nyikang, le fils de la Déesse de la rivière, comme on l'a vu dans l'histoire de son exil, est la divinité la plus importante des (O)Chollo (les Shilluk) et le fondateur de leur monarchie, le Roi Sacré.

    La Traversée de l'Eau

    Quand Nyikang et tous ceux qui l'accompagnaient avaient quitté le pays de ses ancêtres, ils arrivèrent devant un marais infranchissable appelé aussi Marais de la Barrière (le Sudd, un des plus vastes qui soit), près de la rivière Sobat (à l'est) ou au bord de la Rivière des Gazelles (à l'ouest, en arabe Bahr al-Ghazāl - les Chollo l'appellent Falugo), au confluent avec la Rivière de la Montagne (Bahr el-Ghebel, qui devient ensuite plus au nord an-Nīl al-Ābyaḍ, le Nil Blanc). [Actuellement, cette zone est plus dans les territoires des peuples Nuer que des Chollo.]


    Mais Nyikang avait avec lui un serviteur qui se nommait Obogo ("l'Albinos") et Obogo demanda à s'offrir en sacrifice - une fois qu'il aurait fini son repas - pour permettre au groupe de Nyikang de franchir les Eaux car c'était là le seul moyen.

    Nyikang perça l'Albinos de sa lance et l'ouvrit en deux. Quand son sang se répandit sur le Marais, le passage s'ouvrit pour la tribu de Nyikang. C'est pourquoi on surnomme Nyikang "Celui qui a franchi le Falugo".

    La Razzia contre le Soleil

    Quand les Chollo s'étaient installés et gardaient leurs bétails, Garo, fils de Čang (le Soleil) vint voler la plus belle vache du troupeau de Nyikang. [Mais selon une autre version, la vache s'était en réalité enfuie toute seule parce que Nyikang tuait ses veaux.]

    Un autre serviteur, Ojul (le Faucon Gris), le bouvier de Nyikang, poursuivit la vache disparue à travers le monde et vint décrire à Nyikang le Pays du Soleil, riche en nombreuses bêtes. Le Soleil était si ardent qu'il se baignait dans sept étangs pour se rafraichir. [Selon une version, Ojul avait aussi réussi à rapporter la vache disparue mais cela ne soulagea pas Nyikang.]

    Nyikang fut offensé et fit venir son fils et héritier Dak (le Deuxième Roi) et ses guerriers pour lancer une razzia contre le Pays du Soleil. [Mais une autre version dit que c'était l'impétueux Dak qui voulait laver l'affront et que Nyikang ne vint que pour protéger son fils.]

    Dak affronta Garo, fils du Soleil, qui était aussi gigantesque que lui et qui portait de multiples bracelets. Il trancha ses mains et lui prit ses bracelets d'argent, mais le Soleil vint venger son fils et terrassa toute son armée par sa chaleur.

    Nyikang aspergea alors d'eau le Soleil. Il jeta son herminette sur lui et le mutila. Il trancha les pieds du Soleil et celui-ci dut fuir vers les Cieux pour se protéger de la colère du Roi mortel.

    Nyikang prit les bracelets d'argent de Garo, les donna à son serviteur Ojul et son fils Milo qui s'en servirent pour ressusciter tous les soldats de l'armée. [Un des lignages des Chollo, les Kwa Ojul, descendent de ce bouvier et doivent de manière rituelle offrir une vache brune pour l'intronisation de chaque nouveau Roi sacré, incarnation du dieu Nyikang.]

    Ils ramenèrent du Pays du Soleil plusieurs femmes pour épouses et plusieurs têtes de bétail. Mais on raconte que le Soleil alla se plaindre auprès du dieu céleste Juok et que les Chollo durent payer un dédommagement chaque année au Soleil pour ce rapt. Chaque printemps, les Chollo sacrifient deux boeufs pour faire revenir les pluies et adoucir la sécheresse.

    [Dans la version racontée dans A Dictionary of African Mythology, la traversée des eaux du Sudd semble se faire au retour de cette expédition au Pays du Soleil.].



    La fin de Nyikang

    Un jour de tempête, le Roi Nyikang décida de partir. Une légende raconte qu'il se suicida en s'étranglant lui-même [comme Zénon de Citium], une autre qu'il disparut sans qu'on retrouve son corps. Son fils Dak lui succéda et la lignée royale continue d'être possédée par l'esprit de Nyikang ou de Dak.

    mardi 16 avril 2013

    Ukwa et les Sauriens Aquatiques

    Les Chollo
    En me documentant sur les Shilluk, autre peuple de langue du groupe Luo au Sud-Soudan, je me rends compte que les entrées du Wikipedia français sur le sujet sont vraiment d'une qualité supérieure à la moyenne (même parfois supérieure à la version anglophone pour l'instant). Un des contributeurs Wikipedistes, "Soutekh67", doit être un anthropologue qui a l'air passionné par cette culture et il entre dans les détails mythologiques (par exemple sur Nyikang).

    Les Shilluk sont particulièrement célèbres en mythologie comparée comme James Frazer s'était notamment appuyé dans le Rameau d'Or (le Dieu qui meurt, tr. fr. Bouquins vol. 2 p. 31-38) sur leurs rituels (qui venaient alors d'être étudiés par Seligman) pour soutenir sa théorie du Roi Sacré qui doit être sacrifié pour permettre le renouvellement de la fertilité (le Reth des Shilluk était exécuté en théorie s'il n'arrivait plus à faire l'amour avec la Reine). Ce Souverain shilluk semblait confirmer de manière spectaculaire l'analyse de Frazer sur le Roi du Bois sacré de Nemi.

    Dans leur propre langue, ils se nomment eux-mêmes Chollo (ou plus exactement Cɔllɔ, "shilluk" étant leur nom arabe). Ils vivent sur les rives du Nil Blanc, au nord des tribus Dinkas, près de l'actuelle cité de Malakal. L'ancienne capitale du Royaume Shilluk est d'ailleurs célèbre dans l'histoire coloniale française, c'était Fachoda (Pachodo). Tragiquement, après avoir été persécutés par le gouvernement de Khartoum tout comme les Dinkas, les Shilluks sont maintenant aussi persécutés depuis l'indépendance du Sud-Soudan par la majorité Dinka.

    Le Fils du Lait

    Au commencement, le Dieu suprême Juok créa la Vache Deung Adok (ou Dyangaduk, la Vache Grise) et elle donna naissance à un humain, Kola, qu'elle allaita (c'est pourquoi les Chollo sont des éleveurs de bétail). Kola engendra Umak Ra (ou Omaro, l'Antilope-Cheval), qui engendra Makwa, qui engendra Ukwa (ou Okwa), ancêtre du peuple de la lignée sacrée des Shilluks. [Voir aussi cette autre généalogie donnée par Soutekh67 via Wilhelm Hofmayr, Die Schilluk : Geschichte, Religion und Leben eines Nilotenn-Stammes, 1925).]

    En ce temps-là, Ukwa régnait encore en un pays lointain de Kero (Kerau) et on dit que la mort n'y existait pas encore. [Certains pensent qu'il s'agit d'un territoire bien plus au sud, peut-être les rives du Lac Albert, une des sources du Nil Blanc, entre l'Ouganda et la République dite démocratique du Congo. C'est aujourd'hui plutôt le pays des Acholi, nation du groupe Luo plus au sud.]

    Les Enfants des Eaux


    Un jour, Ukwa vit deux belles jeunes filles qui sortaient d'une rivière. Elles étaient de forme humaine, en dehors de leurs parties inférieures qui étaient celles de crocodile. Elles étaient soeurs et l'aînée s'appelait Nik-Kieya et la seconde Ung-Wad (ou Nyikaya et Angwat). Ukwa en tomba amoureux et les enleva.

    Le père des deux jeunes filles, Ud Diljil (Odiljil), qui était humain du côté gauche mais crocodile du côté droit, sortit alors aussi des eaux et vint affronter Ukwa pour récupérer ses filles mais il dut finalement accepter le mariage.

    Avec la fille aînée Nik-Kieya, Ukwa eut deux fils et trois filles. Le premier fils fut le plus grand demi-dieu des Chollo, le célèbre héros royal Nyikang, et il avait gardé la peau saurienne de sa mère et de son grand-père. Le petit frère s'appelait Umoi (ou Moi), et les trois soeurs Ad Dui (ou Nyadway), Ari Umker (ou Ariemker) et Bun Yung.

    Avec la seconde fille des eaux Ung-Wad, Ukwa eut un garçon, Ju (ou Bworo). [Mais une autre version ajoute aussi Otono et Gilo ou Gila, père des Anuak.] Ces différents enfants sont les ancêtres des "Kwa" (Lignages) aristocratiques des Chollo.

    Mais Ukwa s'était aussi marié avec une femme humaine et ils eurent plusieurs enfants dont le premier fut Duwat (ou Duwadh). [D'autres versions disent que Duwat était le frère jumeau de Nyikang.]

    A la mort d'Ukwa, ses enfants se battirent pour diriger son domaine et Duwat, qui était le fils humain, eut la préférence et il l'emporta sur Nyikang (selon certaines versions, c'était d'ailleurs ce Duwat qui était légitimement l'aîné).

    Alors celui-ci fit pousser des ailes sur ses frères et soeurs et sur lui-même, et il s'envola au loin, entre la Rivière des Gazelles et la Rivière des Giraffes, vers les rives du Grand Fleuve. Et selon certaines versions, le fils des crocodile Nyikang et sa famille ne furent pas les seuls ancêtres des Cholo, il fit aussi transformer certaines bêtes locales en humains pour créer ses sujets (certains lignages ont des totems animaux).

    [On retrouve aussi dans l'histoire Chollo, un autre Duwadh plus ou moins historique du XVIIe siècle, et donc "descendant" de ce Nyikang légendaire, qui fut victorieux dans une guerre civile et fit éliminer les autres branches de la famille royale. Sans vouloir faire de l'évhémérisme, je ne sais si cela peut jouer pour interpréter la légende sur l'origine de la royauté sacrée. Les traditions shilluk du XIXe-XXe siècle situaient le règne historique de Nyikang vers le XVIe siècle. ]

    Autres versions de la séparation entre Nyikang et Duwat
    Nyikang et Duwat s'étaient disputés en Kerau parce que les veaux de Nyikang avait mangé le millet de Duwat. Duwat lui dit de se retourner et il jeta un de kago, un bâton à planter le sorgho. Il lui dit d'aller fouiller le sol pour s'y installer car là où il irait il faudrait travailler la terre et enterrer les morts.

    Niykang, qui avait pris avec lui les emblêmes royaux de son père, la peau que porte les Rois, décida de partir au pays de Turo (ville de Wau). Il y épousa une fille du roi Dimo et il eut un enfant nommé Dak.

    Mais les frères de Nyikang [il doit donc s'agir d'Umoi et Ju, ou Otono - Gilo étant parti fonder le peuple anuak] voulaient prendre le pouvoir de Dak car celui-ci restait sur la cendre à jouer du tom (sorte de harpe ou de lyre). Nyikang, qui prévoyait une tentative d'assassinat, fabriqua donc un simulacre en bois (ambach) et ses frères jetèrent leurs lances sur l'imitation dans sa hutte à la place de son fils. Nyikang fit durer la supercherie jusqu'à organiser de fausses funérailles pour le Prince royal.

    Et c'est pourquoi les Rois Sacrés sont représentés par des effigies de bois, des sortes de cylindres abstraits environ de taille humaine.

    NB : Quand on arrivera aux comparaisons avec les autres peuples de la région, on verra que le héros Aiwel Longar aussi, par exemple, est un fils de divinités des rivières. 

    lundi 15 avril 2013

    Une campagne RuneQuest de Sandy Petersen

    Sur le site de Jeff Okamoto, on trouve un long compte-rendu (près de 250 pages avec l'index) de la campagne RuneQuest à laquelle il a participé avec Sandy Petersen en meneur de jeu de 1984 à 1990. Il s'agissait au début pour l'équipe de Chaosium de tester et préparer la 3e édition de RQ (Petersen développa les règles de Sorcellerie notamment) mais un des intérêts de la campagne est que partie de Prax, l'équipe voyage ensuite vers le continent Sud de Pamaltela (Continent de l'Autre, équivalent approximatif de l'Afrique, mais aussi du Proche-Orient et de l'Australie, avec ses Jungles elfiques encore abondantes). Petersen fut donc de fait un des principaux co-créateurs (en cours de jeu) de ce continent de la mythologie de Greg Stafford.

    Comme on peut s'y attendre avec le créateur de Call of Cthulhu, la campagne est très "mortelle" ou coûteuse en personnages. Petersen ne doit pas tricher ou trop aider les PJ à survivre (ce qui est assez normal, cela dit, si le but était aussi de tester les règles). Une cinquantaine de personnages au total se succèdent et il est assez courant d'en voir un mourir à chaque combat. Une des scènes les plus drôles est d'ailleurs un Initié qui meurt plusieurs fois pendant le même combat, victime de Fumbles à répétition, et qui à chaque fois réussit une Intervention Divine de son Dieu pour le sauver, avant de perdre finalement (mais un peu plus tard) son dernier point de POUVOIR et son âme. Le joueur se rendit ensuite compte que ses échecs critiques successifs venaient de son dé électronique (un DragonBone) qui fonctionnait mal.

    L'histoire d'ensemble est sans doute trop dirigiste (les PJ sont envoyés par une prophétie de Prax vers le continent de Pamaltela pour lutter contre le Chaos, ils passent par Jrustela où ils s'unissent avec une autre équipe de personnages-joueurs humaktis). De très longs passages sont vraiment des petites guerres, dont une partie inspirée des Sept Samouraïs où les PJ doivent organiser la défense d'un village de paysans contre les brutes qui les exploitent (comme le scénario Munchrooms dans le Trollpack, du même auteur, mais sans le charme de sauver des esclaves rebelles Trollkins). Mais même si tout est résumé, certaines rencontres avec les PNJ montrent aussi des talents d'improvisation et un don pour immerger dans la découverte d'un monde inconnu dont ils doivent découvrir les règles. De ce côté, l'exploration d'une Terra Incognita ajoute quelque chose à l'univers habituel.

    On n'apprend pas grand chose sur Pamaltela si on a déjà Missing Lands ou le numéro 11 de Tales of the Reaching Moon. Ah, si, j'ignorais que certains des Nomades des Kresh utilisaient également des sortes de Chars à Voile géants (appelés ici les "Zéphyrs") au lieu de Charriots normaux.

    Un autre aspect ethnologique de la culture doraddi qui est intéressant dans la campagne est la coutume des Défis à chaque rencontre. Les deux parties rencontrées choisissent chacune un sujet de défi et celui qui gagne les deux Défis peut exiger quelque chose de l'autre. Généralement, cela termine donc par un match nul mais il y a un passage où les PJ gagnent les deux défis mais se débrouillent pour ne pas demander trop pour garder l'amitié des Doraddis.

    samedi 13 avril 2013

    Porte / Monstre / Trésor : 3 Classes

    On appelle communément "Porte-Monstre-Trésors" en jeu de rôle la version de base bien connue du Donjon "à l'Ancienne", où les choix étaient relativement limités (ce qui correspondrait en anglais au dungeoncrawling, "ramper dans les oubliettes" et, plus péjorativement, au simple "hack'n slash" (littéralement trancher et hacher menu, tuer les monstres et piller leurs biens). Arasmo (qui avait déjà co-écrit la version française d'OpenQuest) a créé une adaptation libre du Basic D&D sous ce titre de Portes, Monstres & Trésors, avec en plus un cadre de campagne plus humanocentrique et byzantin, le Chaosmos (où la magie est liée essentiellement à la manipulation du Chaos Primordial par les Khaoskheirismoï) - et je rappelle qu'il y a aussi un Tranchons & Traquons (qui a le seul défaut d'avoir le même acronyme que Tunnels & Trolls).

    Je me permets de voler ce même nom de PMT pour un jeu plus simple mais dans mon snobisme habituel d'étruscologue raté, je vais le rebaptiser en grec Thura, Teras, Thesauros (TT&T, θύρα, τέρας και θησαυρός).

    Dans TTT, il y a trois classes/races, comme l'indique le titre : Thura, Teras ou Thesauros. Les Thurai sont plutôt des dirigeants (Mages-Voleurs), les Terata des guerriers et les Thesauroi des travailleurs & producteurs (Clercs).

    Il y a aussi trois caractéristiques : Pénétration (Intelligence/Dextérité), Présence (Force/Charisme) et Puissance (Sagesse/Constitution), qui se tirent chacune avec trois dés (oui, c'est un jeu pour triadomane). Les deux autres caractéristiques sont la Classe de Défense ou CA (avec bonus tiré de la Pénétration) et les Points de fatigue ou PV (avec bonus tiré de la Puissance). Les PNJ s'écroulent à 0 PV, les PJ à (-Puissance) PV, parce que la vie est injuste avec les PNJ. Il y a des Niveaux mais c'est du crippleware, on ne peut aller que jusqu'au Niveau 3 (tant qu'il n'y aura pas les règles avancées, Transmogrified Thura, Teras & Thesauros).

    Les Thurai (aussi appelés simplements "Portes") sont des êtres arachnéens (cousins intelligents des créatures du plan éthéré appelés phase spiders). Leur caractéristique principale est la Pénétration (+2). Leur Dé de Vie est le d6. Ils n'ont pas droit aux armures les plus lourdes s'ils veulent pouvoir se servir de leurs pouvoirs de téléportation. Ils sont généralement d'alignement Neutre.
    Au Niveau 0, ils n'ont aucun pouvoir particulier en dehors d'un don d'Escalade et d'une vision à 360° ("Sixième Sens"). Au Niveau 1 ("Fente"), leur escalade devient parfaite (Marche d'Araignée) et ils obtiennent trois pouvoirs (qui peuvent être lancés par un jet sous leur Pénétration) : Ouvrir Porte matérielle, Sceller Porte matérielle et Désamorcer Pièges. Ils perdent un point de Puissance (ou au choix un point de Vie) à chaque fois qu'ils utilisent leur Pouvoir. Au Niveau 2 ("Passage"), ils obtiennent en plus Téléportation personnelle et peuvent l'utiliser pour attaquer par surprise (Coup à +4) ou pour esquiver. Au Niveau 3 ("Portail"), ils obtiennent Portail de Phase, qui peut aussi être utilisé pour faire passer autrui.

    Les Terata (appelés aussi "Monstres") sont des humanoïdes avec certains traits de lycanthropes. Leurs caractéristique principale est la Présence (+2). Leur Dé de vie est le d10. Ils ont le droit à toutes les armures. Ils sont généralement d'alignement Chaotique.
    Au Niveau 0, ils n'ont aucun pouvoir particulier en dehors d'un don de Sens animaux (Odorat et Ouïe). Au Niveau 1 ("Sauvage"), ils peuvent se transformer en une créature plus puissante (cela leur coûte un point de Puissance ou un point de Vie au choix). On lance un d6, cela indique à la fois combien de tours dure la transformation mais aussi le bonus à leur attaque, à leur Classe d'armure et à leurs dégâts. Mais ils doivent alors faire un jet sous leur Puissance actuelle pour ne pas se mettre à devenir Berserk. Ils ont aussi le pouvoir de parler avec n'importe quelle bête et monstre. Au Niveau 2 ("Brute"), on tire 2d6 au lieu de un pour leur pouvoir de transformation, et ils gagnent le pouvoir Charmer Monstre/Charmer Personne ou Effroi. Au Niveau 3 ("Prodige"), ils gagnent Polymorphie Limitée (ils ne changent pas leur masse et leur taille) et Invocation de Créature. Un tour après, on lance sur la table suivante :
    1 1d3 kobolds bleus (1 point de vie chacun)
    2 Un grand loup-cervier ou deux louveteaux (1DV)
    3 Une chauve-souris hors du charnier natal (1DV)
    4 Un rat géant, rongeur de l'Idéal (2DV)
    5 Un scorpion vénéneux (2DV)
    6 Un gorille ithyphallique (3DV)
    Ils ont besoin de charmer la créature pour qu'elle leur obéisse (le groupe de Kobolds compte comme une seule créature). Un Thura et un Teras ensemble peuvent créer un "Gardien de Portail".

    Les Thesauroi (appelés aussi "Reliques", ou parfois "Grand Guillaume Shambleau") sont des créatures qui ressemblent à des méduses flottantes (cousins des Flumphs), qui ont besoin de se nourrir de "mana" tirés de la magie. Ils perdent 1d6 points de vie au bout de 24 heures où ils ne se sont pas nourris. Leur caractéristique principale est la Puissance (+2). Leur Dé de vie est le d6. Ils peuvent utiliser n'importe quel objet magique. Ils sont généralement d'alignement Loyal.
    Au Niveau 0, ils peuvent déjà utiliser Flotter, Détection de Magie (gratuitement), Lire la Magie, Méditation (les nourrit pour 24 heures à condition de ne rien faire pendant 2d6 + 12 heures) et Feindre la Mort (pour se mettre en stase jusqu'à ce qu'ils trouvent une source d'énergie). Au Niveau 1 ("Oblation"), ils ont accumulé un Sac de Reliques en réserve. Ce Sac est fait en toile d'Araignée de Phase et contient un nombre de Trésors magiques égal à leur Puissance. Chaque Trésor est à tirer sur la table des Trésors de votre rétroclone favori quand on le sort du Sac. Il a le droit de prêter un de ses Trésors à quelqu'un d'autre.  Ils peuvent consumer un Trésor magique pour soigner 1d6 points de vie pour eux (cela met fin à leur faim pour 24h) ou sur autrui. Ils peuvent aussi Dissoudre la Magie. Ils s'en servent notamment pour désamorcer les pièges magiques. Ils peuvent aussi Exorciser les Esprits (mais pas encore les absorber). Au Niveau 2 ("Agalma"), leur Méditation devient plus rapide (2d6 heures) et l'effet de leur guérison monte à 2d6 points de vie. Ils peuvent exorciser un Esprit ou Fantôme et (en dépensant un point de Puissance définitif) le lier à un cristal pour avoir une réserve équivalent à 3d6 "repas" quotidien. Ils peuvent aussi copier un Parchemin en 1d6 heures pour un coût de 1d6 points de Puissance. Au Niveau 3 ("Arsenal du Grand Guillaume"), leur Sac devient un Sanctuaire, un Caveau Extra-dimensionnel de 200 m2 et ils acquièrent le pouvoir de créer une Relique plus puissante en absorbant plusieurs Trésors mineurs : un seul objet cumule alors les pouvoirs de ces Trésors, ce qui peut être plus pratique même si cela fait une perte d'aliments pour le Thesauros.

    Oui, j'ai l'impression que les trois Classes auront besoin d'expérience avant d'être un peu équilibrées (le Niveau 1 du Thesauros est sans doute un peu trop munchkin/grosbill). Si vous n'aimez pas l'idée de Race/Classe, vous pouvez choisir d'en faire trois classes différentes de Halflings. Et comme je ne crains même pas les héritiers Tolkien : les Thurai sont des Hobbits sournois, les Terata sont des Beornides bestiaux et les Thesauroi sont des Hobbits mutants aquatiques (Gollum), des Noldor arrogants ou des Nains cupides.

    jeudi 11 avril 2013

    La Toile et le Ciel

    Encore une légende des Luo du Soudan; avec plusieurs mythes étiologiques :

    La Guerre des Cieux

    Juok, le Dieu créateur, se demandait si l'Humanité prospérait ou si leur espèce périclitait. Il demanda à Soleil (qui est féminin en Luo) et à Lune d'observer la Terre.

    Soleil dit qu'elle voyait très peu d'hommes et que leur espèce devait être en train de décroître. Mais Lune dit que Soleil se trompait parce que les  hommes se cachaient à midi quand Soleil dardait ses rayons. Bien qu'elle soit moins brillante, Lune voyait bien pendant la nuit qu'il y avait de plus en plus d'hommes sur la terre. C'est pourquoi à l'origine les hommes vivaient de manière cyclique, comme la Lune. Quand ils périssaient, ce n'était alors encore que temporaire et ils renaissaient tous les 28 jours.

    Soleil fut jalouse que Lune en sache plus qu'elle et elle frappa durement sa rivale nocturne. C'est pourquoi on voit encore ses cicactrices sur sa surface, les cratères et mers sélénites creusées par les coups violents de Soleil.

    Juok voyait bien que Soleil était malheureuse. Il décida de lui concevoir une soeur, une Seconde Soleil pour qu'elle se sente moins seule et Soleil fut consolée.

    Mais alors Wac l'Araignée, qui est si avisé, vint voir Juok et lui expliqua que s'il y avait deux Soleils, les hommes ne pourraient jamais survivre dans une telle fournaise. Juok concéda que Wac l'Araignée avait raison et il laissa donc Soleil dans sa solitude du jour.

    Soleil fut tellement furieuse qu'elle maudit alors Wac. C'est pourquoi les Araignées préfèrent sortir pendant la nuit.

    L'Ascension et la Chute de l'Araignée

    Quand Juok quitta ce monde pour aller dans les cieux, Wac l'Araignée dit aux hommes qu'il trouverait bien le moyen de le retrouver. Il fit tisser un long fil et demanda aux hommes de l'aider en tirant la corde jusqu'à ce qu'il monte ainsi jusqu'aux cieux. Il dit qu'il porterait sous l'aisselle un tambour et qu'il le frapperait de sa baguette pour annoncer quand il faudrait couper le fil parce qu'il aurait atteint sa destination dans le domaine du Dieu.

    Mais pendant que le fil le faisait monter, il fit un faux mouvement, frappa le tambour par mégarde et les hommes coupèrent le fil trop tôt. Wac tomba alors du Ciel et se brisa en de multitudes de minuscules araignées. C'est pourquoi elles sont maintenant si petites et pourquoi on les trouve partout.

    Wac est encore, comme Chien, ce qu'on appelle en mythologie un "Fripon" (Trickster), un dieu caractérisé par la ruse qui finit par se retourner aussi contre lui, qui apporte à la fois les bienfaits des techniques et la duplicité de la culture. A l'autre bout du continent, au Ghana chez les Ashantis, on trouve aussi le célèbre Anansi qui est aussi un Trickster sous forme d'araignée. Mais j'imagine qu'il serait étrange que les Luos du Soudan et un peuple à 3700 km (autant que Paris-Baghdad) aient eu beaucoup de relations. J'ignore s'il existe pour l'Afrique un équivalent de ce que Claude Lévi-Strauss a tenté de retracer pour l'Amérique dans ses Mythologiques.

    La source citée par Harold Scheub est ici un article d'Andreas Kronenberg,"Jo Luo Tales", Kush. Journal of the Sudan Antiquities Service, 8 (1960), p. 237-251.

    Juok et les Inversions


    1 Chien en Prométhée

    Le premier mythe vient des Anuak, un des peuples du Haut-Nil (Sud-Soudan, famille linguistique Luo, voir cette carte). Il s'agit d'un des récits cosmogoniques sur le dieu créateur androgyne Juok (nom qu'on retrouve dans toute cette région pour le Dieu céleste créateur).

    Juok créa d'abord l'Eléphant, puis le Buffle, puis le Lion, puis le Crocodile, puis Chien et enfin un couple nommé Otino (l'Homme) et Akongo (la Femme). Mais Juok vit que ce couple d'animaux était sans poils, chétifs et sans valeur. Il ordonna à Chien d'aller s'en débarrasser.

    Mais Chien prit pitié des petits et les cacha dans un arbre. Chien alla traire la Vache céleste (peut-être la même que la Génisse blanche Deung Adok, qu'on retrouve dans une version shilluk du mythe ? cf. D. Westermann, Shilluk People, 1912, p. 155) et il nourrit ainsi les enfants. Ils grandirent tant que Chien leur apprit à bâtir une maison. 

    Chien les présenta à Juok mais celui-ci fut furieux et voulut les détruire. Chien promit qu'il les garderait lui-même. 

    Ensuite, Juok décida de répartir les terres à ses créations et décida que les différents êtres vivants viendraient dans l'ordre de leur création : d'abord l'Eléphant, puis le Buffle, puis le Lion, puis le Crocodile et seulement ensuite Chien et Humains. 

    Alors Chien comprit qu'il ne resterait rien pour l'Homme et il lui dit de se faire passer pour les grandes bêtes. Il vint donc et se fit passer successivement pour l'Eléphant, le Buffle, le Lion et le Crocodile. Juok lui donna à chaque fois les Lances pour défendre toutes les terres qu'il lui donnait et c'est pourquoi l'Homme seul a ces armes et techniques volées à Juok. 

    Quand Juok comprit qu'il avait été dupé, il tenta de compenser en donnant les Défenses à l'Eléphant, des Cornes au Buffle, les Griffes au Lion et les Dents au Crocodile. Mais l'Homme réussit à les vaincre par ses Lances, devenant la plus puissante des créatures régnant sur les plaines. 

    Juok continuait à s'irriter que l'Homme règne sur ses créatures. Il décida de le rendre mortel pour qu'il ne puisse pas manger tous les animaux - car à cette époque, la mort n'était encore qu'un cycle temporaire comme pour la Lune. Juok fit venir les animaux pour leur expliquer son plan. Chien alla les espionner et l'Homme demanda à l'accompagner, mais il ne comprit pas ce que Juok disait. 

    Juok jeta une énorme pierre dans la rivière. Chien cria à l'Homme d'aller la ressortir car si elle s'enfonçait, l'Homme perdrait son immortalité. L'Homme refusa, en disant qu'il risquait de se noyer. Chien se jeta dans l'eau et ne put ressortir qu'un morceau de la pierre seulement. C'est ainsi que l'Homme devint mortel mais que Chien obtint du moins que sa vie ne serait pas aussi brève que Juok ne l'avait voulu.

    Sources : Audrey Butt, The Nilotes of Sudan and Uganda, 1952, p. 79, E.E. Pritchard Evans, "Folk Stories of the Sudan", Sudan Notes & Records, 1940, p. 56, Harold Scheub, A Dictionary of African Mythology, 2000, p. 87 ("Juok and the Dog that Preserved Mankind").

    Juok a l'air d'être encore plus irritable que Zeus. On remarque aussitôt l'intéressante inversion du mythe habituel de Prométhée (même s'il ne s'agit pas ici de se demander s'il y a une influence ou une antériorité, simplement une relation de symétrie). Dans le mythe grec (dans la version de Platon), l'Homme est le dernier servi par sottise et comme il ne lui reste plus rien, le Trickster va voler par ruse les techniques aux Dieux pour compenser les dons des bêtes. Dans le mythe anuak, l'Homme est le premier servi par ruse et il reçoit ainsi les techniques du Trickster, les bêtes recevant leurs dons en compensation des techniques des Hommes. 

    La partie sur la pierre a aussi une inversion similaire. Chez les Grecs, le Trickster Sisyphe avait refusé d'obéir à Thanatos et c'est pour avoir tenté d'éviter la Mort qu'il fut condamné à pousser son célèbre rocher. Chez les Anuaks, c'est pour avoir refusé de pousser la pierre qu'Otino est condamné à la Mort et seul le Trickster Chien réussit à diminuer la peine en la bougeant. 

    2 Chien vole le Feu à Juok

    Variante Luo tout aussi clairement prométhéenne
    Chien alla dans la Forge du dieu Juok et dit qu'il avait froid. Il s'approcha du feu si près que sa queue prit feu et il s'enfuit jusqu'aux hommes. Il mit le feu dans un arbre abolo et dit aux hommes d'aller désormais chercher le feu dans les branches sèches de l'Abolo.

    Une variante Anuak dit que Chien enseigna à faire le feu à une Femme humaine pour la remercier parce qu'elle avait été la seule à accepter de l'abriter pendant une averse. Ensuite, tous les hommes acquérirent la technique par cette Femme si hospitalière.

    3 Le Retard à manger le Fruit de la Vie éternelle

    Mythe de culture acholi d'Ouganda (les Acholi sont aussi de culture luo comme les Anuak, cf. Audrey Butt, The Nilotes of Sudan and Uganda, p. 86-87, toujours via Harold Scheub, A Dictionary of African Mythology). 

    Jok convoqua l'Homme pour venir manger sur son Arbre de Vie le Fruit de la Vie éternelle mais l'Homme, par paresse, tarda à venir le manger.

    Jok, en colère, donna alors le Fruit au Soleil, à la Lune et aux Etoiles, qui sont désormais les seules à être immortelles. Il ne resta plus rien pour l'Homme.

    L'inversion du mythe de la Chute est saisissante puisque Juok reproche à l'Homme l'inverse de ce que Dieu reproche à Adam. Le thème du retard ou de la paresse comme étiologie de la mort se retrouve dans énormément d'autres mythes africains (même si parfois ce retard n'est pas directement imputable à l'Homme mais au messager animal qu'il avait choisi, un lézard ou un caméléon). Et on retrouve aussi le thème selon lequel la Lune, médiation entre l'éternité supralunaire et le changement sublunaire, a gardé l'immortalité qu'avait perdue l'Homme. 

    mardi 9 avril 2013

    Sous-créations


    Tu sous-créeras

    Dans Faerie, Tolkien, catholique si intansigeant, donne une sorte de justification théologique à l'exercice de sa cosmologie fictive : Dieu non seulement voudrait dans sa Création des Créatures dotées de libre arbitre mais ces dernières le manifesteraient par une "sous-création" (sub-création) en analogie (ou en relation de rivalité ?) avec la puissance infinie de Création (la "Créativité" pour reprendre le terme forgé par Whitehead dans sa métaphysique du Processus) qui les a fait sortir du néant.

    Le Guide to Glorantha se prépare et ceux qui ont cotisé à la publication ont déjà reçu un brouillon sans les illustrations (523 pages). Pour l'instant, cela ressemble beaucoup à la fusion de deux suppléments précédents, le Genertela: Crucible of Hero Wars (1990) et Missing Lands qui le complétait pour les autres régions. Ces dernières me semblent continuer à être un peu sacrifiées et il y a donc toujours un biais où la Passe des Dragons est le focus avec beaucoup plus de détails. Pour ces régions centrales, la quantité d'informations a encore considérablement augmenté (comme c'était le cas avec le très précieux Dragon Pass Gazetteer, qui décrivait chaque lieu dit). Je suis étonné que certains réussissent à placer leurs campagnes ailleurs, loin du "Centre" canonique" (que ce soit à l'Ouest ou en Pamaltela - je ne parle même pas d'essayer vraiment Vithela).

    Comme je suis susceptible, j'ai été presque vexé par une plaisanterie de Greg Stafford en passant dans la préface où il raconte l'histoire de son rapport à sa "sous-création" :

    When RuneQuest hit the market we began to get unsolicited submissions from strangers. I had thought that the game system would be popular, and that everyone would simply plug it into their own created worlds. My naiveté concerning the creativity of most people was shattered when Glorantha proved to be as well-liked as the game system.

    Bien entendu, Stafford se félicite ensuite de sa coopération avec d'autres auteurs mais sur le fond, il a raison, je ne peux m'empêcher de penser, à chaque fois que je veux utiliser un de ces mondes merveilleux créés par d'autres, que l'hommage le plus authentique qu'on pourrait leur faire serait de ne pas les utiliser comme des consommateurs mais de faire aussi sa propre sous-création à la place d'une sous-sous-création dans le bac à sable d'un autre. Si le jeu de rôle dépasse le jeu vidéo ou toute autre "industrie du divertissement", ce doit être en sortant de cette relation de simple consommation, en se forçant à créer son monde.

    Tu ne sous-créeras point car le Créateur est un Créateur jaloux

    Les arguments en faveur de l'utilisation de ces univers déjà tout faits sont multiples. Pourquoi réinventer la roue ? Pourquoi multiplier inutilement des mondes qui finissent par se ressembler ? Certains des mondes publiés montrent des qualités, que ce soit dans la qualité professionnelle des cartes, des illustrations, la patience infinie de plusieurs auteurs, l'approfondissement des langues fictives (Tolkien, Barker), la profusion des mythes (Stafford) qu'on se dit que même si en puissance on pouvait tenter de faire aussi bien, dans les faits ce n'est simplement pas possible.

    Et certains auteurs ont pu montrer leur propre originalité en sous-créant dans un univers commercial : les scénaristes de comics par exemple. Carl Sargent est un grand auteur de jeu de rôle, sans avoir jamais créé son propre monde (et en un sens, sa vision de Greyhawk a été meilleure que celle de Gygax, même s'il y avait trop de démons à mon goût).

    Même les univers qui donnent une impression (en tout cas vus de loin) d'être les plus dénués d'âme et qui me faisait penser à des sortes de Disneyland commerciaux (les Royaumes Oubliés de TSR, sans doute le monde fictif qui a la plus grande quantité d'informations) peuvent accumuler peu à peu des éléments qui exigeraient des années de travail à un fan normal pour le recréer dans son coin. Je n'aime pas tellement les quelques romans d'Ed Greenwood que j'ai pu commencer mais on doit vraiment admirer son sens du détail. Je ne me vois pas comme lui énumérer pour une cité une centaine de familles nobles avec leurs blasons et leurs particularités. Je me lasserais probablement à 7.

    Son dernier livre Ed Greenwood Presents: Elminster’s Forgotten Realms (192 pages, 2012) montre bien son sens de la sous-création assez opposé à la mythologie de Stafford. Greenwood ne va pas vraiment approfondir les légendes mais il compile tout ce qu'il n'aurait pu mettre dans un article de jeu de rôle, il est capable d'écrire dix pages sur les différentes sauces ou sur le type de sous-vêtements par région. Il n'y a pour ainsi dire aucune information qui soit vraiment utilisable directement en termes de jeu, il me semble (sauf peut-être un chapitre sur les religions, mais on a déjà ces informations dans de nombreux autres suppléments) mais Greenwood m'a en tout cas convaincu qu'il continuait à aimer son monde même si c'est devenu un cadre qui ne lui appartient plus avec littéralement des centaines de romans qu'il n'a pu tous lire.