vendredi 16 janvier 2015

Nocturnes


Deux poèmes de Jules Supervielle extraits de La Fable du monde (1938) :

Quand dorment les soleils sous nos humbles manteaux
Dans l'univers obscur qui forme notre corps,
Les nerfs qui voient en nous ce que nos yeux ignorent
Nous précèdent au fond de notre chair plus lente,
Ils peuplent nos lointains de leurs herbes luisantes
Arrachant à la chair de tremblantes aurores.

C'est le monde où l'espace est fait de notre sang.
Des oiseaux teints de rouge et toujours renaissants
Ont du mal à voler près du cœur qui les mène
Et ne peuvent s'en éloigner qu'en périssant
Car c'est en nous que sont les plus cruelles plaines
Où l'on périt de soif près de fausses Fontaines.

Et nous allons ainsi, parmi les autres hommes,
Les uns parlant parfois à l'oreille des autres.


 Encore frissonnant
 Sous la peau des ténèbres
 Tous les matins je dois
 Recomposer un homme
 Avec tout ce mélange
 De mes jours précédents
 Et le peu qui me reste
 De mes jours à venir.

 Me voici tout entier,
 Je vais vers la fenêtre.
 Lumière de ce jour,
 Je viens du fond des temps,
 Respecte avec douceur
 Mes minutes obscures,
 Épargne encore un peu
 Ce que j’ai de nocturne,
 D’étoilé en dedans
 Et de prêt à mourir
 Sous le soleil montant
 Qui ne sait que grandir.

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