vendredi 9 janvier 2015

Pluralisme absolu et catholicité



Dans l'Utopie de Thomas More (1516, Chapitre 9), Utopus interdit toute intolérance religieuse avec un argument qui ressemblerait à un relativisme particulier :

This law was made by Utopus, not only for preserving the public peace, which he saw suffered much by daily contentions and irreconcilable heats, but because he thought the interest of religion itself required it. He judged it not fit to determine anything rashly; and seemed to doubt whether those different forms of religion might not all come from God, who might inspire man in a different manner, and be pleased with this variety; he therefore thought it indecent and foolish for any man to threaten and terrify another to make him believe what did not appear to him to be true.

D'habitude, on fonde le pluralisme théologique soit sur un scepticisme (comment savoir si notre perspective n'est pas une opinion erronée ou même s'il est possible d'avoir un critère rationnel pour les départager) ou bien une sorte de réalisme "à variables cachées" (Dieu est Un mais chaque perspective n'en a saisi qu'une partie qu'il faudrait ensuite tenter de réconcilier comme dans la parabole de l'Eléphant et des Aveugles) alors qu'ici l'Absolu voudrait lui-même se dévoiler tout en se cachant ou en se divisant au point que toute orthodoxie dogmatique deviendrait un blasphème contre son intention originellement pluraliste (un peu comme dans la métaphysique anti-monothéiste que défend Alain Daniélou).

Ce type de doctrine est possible dans certains mouvements protestants comme l'Unitarisme et les Quakers (pour qui chaque individu doit chercher son propre rapport à l'Esprit saint) - mais More était catholique.

Add.
On m'a cité un verset intéressant du Coran, extrait de la 5e Sourate du Coran, dite de la Table du Repas (al-Maidah, sourate où il donne les règles de la nourriture halal au verset 3 et qui est surtout consacré aux rapports avec les juifs et les chrétiens).
5.48. À toi aussi Nous avons révélé le Coran, expression de la pure Vérité, qui est venu confirmer les Écritures antérieures et les préserver de toute altération.
Juge donc entre eux d'après ce que Dieu t'a révélé.
Ne suis pas leurs passions, loin de la Vérité qui t'est parvenue.
À chacun de vous Nous avons tracé un itinéraire et établi une règle de conduite qui lui est propre.
Et si Dieu l'avait voulu, Il aurait fait de vous une seule et même communauté , mais Il a voulu vous éprouver pour voir l'usage que chaque communauté ferait de ce qu'Il lui a donné.
Rivalisez donc d'efforts dans l'accomplissement de bonnes œuvres, car c'est vers Dieu que vous ferez tous retour, et Il vous éclairera alors sur l'origine de vos disputes.

C'est une des dernières Sourates de la Révélation (112e sur 114, fin de la période médinoise) et elle n'est donc pas "abrogée" comme d'autres versets tolérants (comme le si souvent cité 2, 256 "Pas de contrainte en religion !"). Elle a l'air assez irénique de prime abord. Dieu aurait voulu qu'il y ait plusieurs communautés religieuses pour les mettre en "concurrence" ou en saine émulation et qu'ils exercent leur libre arbitre vers plus de bonnes oeuvres.

L'idée - si on voulait isoler le verset du reste du texte - pourrait alors fonder une sorte de pluralisme sur l'hypothèse éthique "perfectionniste" qu'Allah n'aurait pas voulu que la Communauté des Vrais Croyants s'enferme sur la complaisance.

Mais le reste de la Sourate 5 n'est pas du tout aussi pluraliste que ce verset 48. Il insiste bien sur la supériorité de droit d'une communauté qui a reçu le Messager et la Révélation du Coran, sur le fait qu'il faudra punir surtout les chrétiens et les juifs qui ne suivent pas l'Islam (avec parfois l'idée paradoxale que les prêtres, moines et rabbins seraient plus susceptibles d'accepter le Coran comme réalisation de la Torah et de l'Evangile que d'autres fidèles considérés comme motivés plus par le péché).

Le texte répète tout le temps (environ dix fois sur les 120 versets) qu'Allah peut être miséricordieux et leur pardonner mais pour préciser que ce n'est pas le rôle du fidèle que d'être aussi miséricordieux tant qu'ils n'ont pas de preuves du repentir (verset 45 : "quiconque renonce à la Loi du Talion, cela lui vaudra une expiation. Et ceux qui ne jugent pas d'après ce qu'Allah a fait descendre, ceux-là sont des injustes.").

En un sens, c'est l'inverse de notre présupposé moderne que les humains devraient pardonner en ignorant si l'au-delà juge ou non autrement.

5 commentaires:

  1. J'avais remarqué cette sourate remarquable en lisant le Coran, en effet.

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  2. Le verset que vous citez me fait penser à la lettre LXXXV qui m’étonne toujours autant que la première fois que je l’ai lue.

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    1. Mais chez Montesquieu (sans doute à cause de la révocation de l'Edit de Nantes), on insiste sur les effets économiques positifs des sectes minoritaires.

      En un sens, il va plus loin que Weber : ce n'est pas l'éthique protestante qui aide à l'esprit du capitalisme mais la concurrence religieuse en général.

      Le sociologue conservateur des religions Rodney Stark avait défendu une autre hypothèse qui était que la concurrence entre cultes leur permettait de mieux résister à la sécularisation moderne (pour justifier la différence entre les USA et les Etats européens).

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  3. "Dieu aurait voulu qu'il y ait plusieurs communautés religieuses pour les mettre en "concurrence" ou en saine émulation et qu'ils exercent leur libre arbitre vers plus de bonnes oeuvres."

    C'est aussi la "solution" de la fable des 3 anneaux dans "Nathan le sage" de Lessing. Avec cette différence que chez Lessing cette solution est énoncée depuis une situation de scepticisme : faute de pouvoir déterminer qui détient le véritable anneau / professe la vraie foi, le juge saisi pour départager les rivaux propose de juger l'arbre à ses fruits ...
    J'ignorais que ce motif de l'émulation vertueuse justifiant la pluralité des communautés avait une origine coranique.

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    1. Beau rapprochement.

      Il y a aussi la possibilité dans la parabole de Nathan que les trois anneaux soient tous faux et que le vrai soit déjà perdu (ce qui revient plus vers l'Eléphant et les Aveugles) ou ne puisse s'identifier que par ceux qui ne prétendraient pas avoir l'exclusivité du vrai.

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