mercredi 28 octobre 2015
Golpe de Estado
Les élections législatives portugaises pour la (monocamérale) Assembleia da República ont eu lieu le 4 octobre dernier. Il y a 230 sièges, élus au scrutin proportionnel (il faut donc 116 sièges pour renverser le gouvernement). Les forces politiques portugaises depuis la Révolution des Oeillets sont en gros composées du Parti social-démocrate (droite libérale - ici dans une coalition au nom très berlusconien appelée Portugal à Frente) et du Parti socialiste (centre-gauche). La participation fut relativement faible (56%, soit 5,4 millions de votants sur les 9,8 millions inscrits). Le soir du 4 octobre, on avait cru que la droite portugaise, au pouvoir depuis 5 ans, avait "gagné" les élections mais en perdant la majorité absolue (et 25 sièges). Les articles avaient même parlé d'un scrutin "pro-austérité" malgré la croissance des partis de gauche. Avec environ 38,6% des voix, les Partis de Portugal en avant obtenaient 46,5% des sièges. C'était considéré comme un soutien tacite, surtout au Nord du pays (la coupure entre Nord et Sud étant le phénomène principal) en faveur des politiques d'austérité du Premier ministre Pedro Passos Coelho.
Le Parti socialiste d'António Costa (l'ancien maire de Lisbonne) a 86 sièges (32,3% des voix, 37,4% des sièges), le Bloco de Esquerda (gauche anti-austérité) monte à 19 sièges (8% des sièges) et la Coalition CDU des Communistes et des Ecologistes (+ un élu écologiste indépendant) est juste derrière à 18 sièges (7,8%). Si on additionne le PS, le Bloc et la Coalition, on obtiendrait 123, soit une majorité absolue (53,4% des sièges). Mais on estimait que le PS (pro-européen et donc favorable à une certaine dose d'austérité) ne pourrait jamais constituer un gouvernement avec l'extrême gauche (dont certains au Bloc et surtout à la CDU souhaitent le départ de l'Euro).
La surprise est venue dans les négociations quand le Parti socialiste a refusé tout soutien à la politique d'austérité des Conservateurs ("Parti social-démocrate") et qu'ils ont dit être prêts à préférer une alliance avec l'extrême gauche plutôt qu'un soutien passif à la droite.
Le Président Aníbal Cavaco Silva, ancien Premier ministre libéral, élu depuis 2006 (il était en Cohabitation avec le gouvernement socialiste en 2006-2011), a alors annoncé qu'il refuserait un gouvernement, même majoritaire, s'il ne respectait pas les engagements envers l'austérité, l'Europe et l'Otan. Il estimait toute autre solution instable et s'appuyait sur l'argument que la coalition minoritaire serait donc plus "cohérente". Il a re-nommé Coelho à la tête d'un gouvernement minoritaire au bout de trois semaines en refusant tout autre compromis avec le PS. La gauche (et notamment le Parti communiste) parle donc d'un Coup d'Etat ou au minimum d'une Crise constitutionnelle grave où le Président refuse une majorité parlementaire au nom de ce qu'il affirme être un intérêt de la Nation. Le PS notamment explique qu'il avait pu négocié un gouvernement contre l'austérité mais sans renier tous ses engagements européens en faveur de l'Euro. Il continue les négociations avec me Bloc, le PCP et les écologistes.
Tout cela signifie sans doute un vote de défiance contre le gouvernement de Coelho, sauf si une partie du PS prend peur. Cela doit donc conduire à de nouvelles élections législatives à court terme. On n'en est donc pas encore à un vrai "Coup d'Etat" de l'Europe contre le peuple portugais mais la pression choisie par Cavaco Silva est en effet un déni de démocratie et une interprétation discutable de la lettre de la Constitution. Le Président de la République Cavaco Silva n'a pas encore suspendu les élections mais il introduit une anomalie dans la procédure parlementaire sans précédent depuis la restauration de la démocratie au Portugal il y a 40 ans. Même le Premier ministre conservateur espagnol Rajoy, peu suspect de gauchisme, s'est publiquement étonné de cette procédure : la voie démocratique normale aurait dû être de laisser le PS former un gouvernement et de ne voir qu'au moment du budget si oui ou non, l'alliance alternative était trop instable. Même à droite (mais dans la droite eurosceptique), on s'effraie de cette pression contre la Constitution de la République portugaise. La voie actuelle de technocratie libérale de l'Europe revient (de manière très contre-productive pour ses desseins) à valider toutes les critiques contre ses propres institutions : comme en Grèce, la démocratie parlementaire est mise de côté dès qu'elle risque de remettre en cause un consensus économique sur l'austérité budgétaire.
[Note hors-sujet : ceux qui ont pu voir la télévision française ont pu être atterrés par le symptome de notre incroyable repli national. Le Portugal est un pays voisin, avec des problèmes et enjeux finalement très proches et c'est aussi un des principaux pays de notre immigration récente et les chaînes de télévision en ont à peu près autant parlé que s'il s'agissait des massacres au Sud-Soudan ou des crises politiques en Thaïlande. Cela en dit long sur la force de ce repli où la politique européenne est perçue avant tout comme une politique étrangère exotique.]
"Cela en dit long sur la force de ce repli où la politique européenne est perçue avant tout comme une politique étrangère exotique."
RépondreSupprimerC'est plutôt le contraste avec l'intense focalisation sur la Grèce qui me parait frappant.
Oui, il doit y avoir un contexte dramatique qui frappe plus dans la possibilité du Grexit. Ou alors il y a l'effet de répétition.
SupprimerLe gouvernement français avait plus intérêt dans le cas de Syriza à mettre en avant son (hypothétique) rôle face à l'Allemagne alors qu'ici, un accord politique PS-Bloc-CDU est le contraire de toute la stratégie suivie par notre PS.
Bien en amont du drame grec de juillet dernier il y a eu une progressive cristallisation d'espoirs et de craintes autour de la Grèce ... la gauche de la gauche française en particulier espérait énormément de Tsipras.
RépondreSupprimerRien de tel pour le Portugal où il ne semblait pas qu'il y ait à espérer/ craindre l'arrivée au pouvoir de la gauche radicale (peut-être parce que la situation est moins critique que celle de la Grèce, peut être est-ce aussi un problème de charisme des leaders ...).
Tout ça pour dire que, si repli national il y a, il ne concerne pas tant la gauche de la gauche qui au contraire me semble nourrir le défaut inverse : fuir le sentiment d'impuissance au niveau national en investissant ses espoirs en Amérique latine en Grèce ou ailleurs ... à défaut de pouvoir faire la révolution, la vivre par procuration.
RépondreSupprimerC'est en effet un déni de démocratie patent. On dirait que les partisans du statu quo actuel de l'Europe [je n'ose pas écrire « les Europhiles » tant ce mot a perdu toute signification] s'efforcent de susciter une réaction anti-européenne dans les électorats. À quel dessein ???
RépondreSupprimerQuant aux media français— Il faut voir qui y travaille : des Provinciaux montés à Paris honteux de leurs origines. C'est donc normal qu'ils se focalisent sur des thématiques dites « parisianistes » [à tort selon moi car elles n'intéressent pas les vrais Parisiens] et sur les sujets venus des États-Unis (car les images venues des É.U. sont très bon marché).
Sachant que les "vrais" parisiens sont composés en grande partie de provinciaux etc. La focalisation est plutôt provinciale si l'on se réfère aux journaux de TF1 et France3. Et France 24 est franchement internationale, bien plus que BFM et ITV par exemple.
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