jeudi 25 février 2016

What's going on??


Le phénomène Donald Trump continue donc et je mange complètement mon chapeau, je n'aurais jamais cru que les électeurs du GOP suivraient un hédoniste quasi-démocrate qui était il n'y a pas si longtemps pro-choice et se demandait même si un système de santé étatique ne serait pas une bonne idée. Je pensais que les premières pubs négatives auraient vite raison de lui comme d'un RINO.

L'électorat de Trump montre une crise du GOP et de la base républicaine (les électeurs blancs peu éduqués du Ressentiment que le GOP a cultivé contre les Démocrate depuis le début de la Stratégie Sudiste de Nixon il y a 50 ans). Ils ne sont quand même pas assez naïfs pour penser que Trump peut représenter des valeurs évangélistes ou être plus proche de la "base" et pourtant ils lui pardonnent toutes ses frasques et votent pour lui. Cela prouve que ce qui les attire le plus n'est pas un programme mais bien une garantie d'une personnalité "dure", "ferme" ou "forte", ce discours du Père strict et déçu par ce que devient l'Amérique. On s'étonne que ses gaffes ne le desservent pas mais elles sont au contraire une des raisons de son succès dans cette base (mais sans doute pas sur le pays entier). Ce qui leur plaît est justement qu'il insulte les Hispaniques, les musulmans, les journalistes, les LOSERS ou même les élites du GOP (il est surprenant de ce point de vue de voir Trump battre Ted Cruz, le candidat du TEA Party même dans les évangélistes et ces éléments de révolte contre le Parti). Trump n'a même pas besoin d'avoir prouvé de la moindre manière qu'il était un "dur" pour faire croire qu'il en est un, même contre de vrais vétérans comme McCain. Il y a une circularité du dogmatique : plus on affiche son culot, plus on atteste qu'il est fondé. 

Une des données surprenantes est que même les Républicains de Caroline du Sud d'origine hispanique auraient préféré Trump à Ted "Rafael" Cruz et Marco Rubio, même après toutes les attaques de Trump contre les immigrés mexicains. Et de même les Evangélistes (qui en toute logique devraient voter pour Cruz) ont dû se vendre finalement plus à une théologie de la Prospérité qu'à leurs prétendus principes bibliques. La persécution d'étrangers vaut bien de suivre un Mammon. 

Ce qui plaît le plus à ces fans est donc non pas seulement un dynamisme extraverti et charismatique ou sa notoriété télévisée mais surtout l'impression qu'il représentera mieux la figure de la violence. Il ne promet rien de précis, il ne fait qu'afficher une perplexité pleine de confusion, de colère et de rancoeur (son slogan le plus répété est "What's going on? we need to know what's going on! We won't let Muslims enter the country until we figure out what the hell is going on"). Il vend très efficacement un personnage binaire de cartoon et ne s'en cachent même pas, cela fait partie du spectacle auto-caricatural. Ces fans exultent quand il dit qu'il aimerait tuer des journalistes ou qu'il restaurera davantage de torture. Il est le candidat cathartique du ça. Même s'il est en réalité plus modéré et plus proche de l'establishment, ils croient y voir une réalisation par procuration d'une revanche, d'un nouveau candidat know-nothing (avec l'Hispanique et le Musulman à la place du Catholique). Leur racisme conduit 20% d'entre eux à refuser encore aujourd'hui l'abolition de l'esclavage. 

Trump est un histrion narcissique et il doit être le premier surpris de se voir monter si haut (tout le monde remarque d'ailleurs qu'il a engagé pour l'instant relativement peu d'argent grâce à sa notoriété). Mais nul ne sait ce que donnerait dans la réalité sa Présidence si par malheur il réussissait jusqu'au bout. En un sens, malgré toute sa démagogie raciste, il paraît moins dangereux et moins idéologique qu'un Ted Cruz. Au moins, il y a une possibilité qu'il n'ait aucune intention de faire ce qu'il annonce plus ou moins vaguement. Et il est plus facile à battre qu'un Marco Rubio. 

samedi 20 février 2016

Scriptor in Fabula Aperta


Le Comte de Saint-Germain lui dit alors qu'ils ne pouvaient pas le laisser continuer.

"Nous avions eu tort de laisser sortir Le Pendule de Foucault. Nous pensions qu'il ne ferait que dissoudre la vérité sur notre Grand Dessein ou les détourner de chercher à trop surinterpréter. Mais vous aviez déjà touché trop près et l'époque a finalement été submergée par un livre qui en fut la parodie par anticipation. Et ce nouveau manuscrit, nous ne pouvons l'accepter."

Le Comte prit la clef USB avec le nouveau livre inédit et la mit dans sa poche. Personne ne le retrouverait, il l'effacerait immédiatement.

"Nous vous emmenons."

- Où ?"

Ils passèrent une porte. Il vit alors une immense bibliothèque qui n'avait pas de fin et un Argentin aveugle l'attendait.

"Un paradis, donc ? Mais ces livres... je n'en comprends pas les signes. C'est donc en enfer ?"

"Ne soyez pas impatient. Vous aurez tout le temps d'apprendre à les déchiffrer."

L'écrivain sourit. Il y avait sans doute déjà dans cette Tour de Babel des versions amendées du livre qu'ils avaient voulu détruire. Ils semblaient ignorer que cette utopie de la littérature n'était pas métaphorique.

Un nouveau jeu de Steve Perrin

Steve Perrin, le créateur de Runequest ou de Superworld, s'est amusé à faire un petit jeu OSR, Colonial Troopers (qui pour l'instant, n'est pas encore en version complète, ils attendent encore des listes d'équipements et des illustrations des espèces non-humaines). Cela utilise à nouveau des règles dérivées directement de D&D mais pour la SF, un peu comme l'avait fait White Star par exemple (si ce n'est que ce dernier a son propre OGL).

Même s'il y a des influences claires de Traveller, les compétences sont donc remplacées par six Classes à l'ancienne : Agent, Chasseur (dont chasseur de Primes, explorateur ou éclaireur), Diplomate, Mercenaire, Soldat (Trooper, qui peut être moins résistant que le Mercenaire mais généralement mieux équipé pour l'espace, avec des armures et exosquelettes cybernétiques) et Pilote (on doit alors choisir s'il est un Pilote avec cyberassistance ou un "Vrai Pilote" qui refuse toute cyborgisation). On remarque l'étrange absence d'un Ingénieur de vaisseau mais c'est le Pilote qui a cette fonction, et j'imagine que le Marchand doit être remplacé à peu près par le Diplomate.

L'univers par défaut a une spécificité, plus "Dunienne" (alors que Perrin cite surtout des auteurs plus anciens de l'Âge d'or comme référence, notamment Heinlein et Anderson) : l'Univers sort d'une quasi-Singularité qui s'est mal passée et il y a donc des interdits violents contre les Intelligences artificielles - les Vrais Pilotes utilisent une technologie "organique".

mercredi 17 février 2016

Le GRoG en danger

Ils pensent à un appel de fonds mais ils ont aussi besoin d'administrateurs.

lundi 15 février 2016

Fortune de Mer vs Blackbeard

Mmm...

Fortune de Mer  / Merchants & Marauders a pour lui d'être plus joli, avec du matériel impressionnant et une carte plus réussie, et moins simulationniste (même si c'est un jeu long aussi). On y finance certes les réparations de son navire (et les combats maritimes ont tendance à faire beaucoup de dégâts). Le principal défaut est les fiches des capitaines, qui sont tous fictifs et également distribués entre les quatre nationalités du jeu, anglais, français, neerlandais ou espagnol (avec des images des designers ou testeurs du jeu comme illustration, ce qui paraît parfois anachronique). En théorie, on peut choisir son mode de jeu en faisant seulement du commerce. Attaquer des navires est dangereux et cause des "primes" des nations contre nous. Mais dès qu'un des joueurs devient pirate (ou si on rencontre un des pirates Non-Joueurs), cela lance une course aux armements si on ne peut pas s'éviter.



Blackbeard (2e édition) est le plus complet, il a l'avantage d'inclure aussi l'Océan Indien pour y faire quelques raids et pas seulement les Caraïbes (mais du coup, la carte des Caraïbes est plus abstraite). Le but y est plus la représentation de la réalité de la vie des pirates et pas seulement un jeu équilibré (j'ai l'impression que c'est ce genre de jeu où on peut mourir plus du scorbut que d'une erreur tactique). Les 24 capitaines y sont historiques et presque tous anglais, à part quatre Français (aucun Neerlandais, Portugais ou Espagnol) : Henry Avery, Samuel Bellamy, Stede Bonnet, Christopher Condent, Howell Davis, Edward England - qui fut abandonné par ses marins après un geste trop chevaleresque envers un capitaine ennemi -, Benjamin Hornigold, Olivier Levasseur dit La Buse, William Kidd, Walter Kennedy, François L'Olonnais, Edward Low, George Lowther, Raveneau de Lussan (un personnage relativement romantique), John Quelch, John Rackham (& Ann Bonny), Bart Roberts, Francis Sprigg, John Taylor, Thomas Tew, Charles Vane, Emanuel Wynne et enfin Edward Teach dit Barbe Noire qui donne son nom au jeu et qui a les meilleures caractéristiques (on est censé le jouer dans les parties en solo).



Comme documentation sur les pirates, Blackbeard est clairement le meilleur. Du point de vue ludique, Fortune de Mer semble plus amusant (même si les parties semblent aussi longues).

La base de Barbe Rouge dans la bande dessinée (en tout cas au début) est plutôt dans les Petites Antilles (Îles du Vent, Îles Grenadines), qui apparaissent à peine dans la carte de Blackbeard. Il ne faut pas confondre la Tortuga des Petites Antilles (près de la côte du Vénézuela, presque vide) et la plus célèbre Tortuga de Haïti.

Âge du Capitaine


Barbe Rouge est sans doute parmi les bd "sérieuses" ma favorite de toute la publication Dargaud-Pilote (si on considère Valérian comme semi-humoristique). J'adore toujours la manière de Charlier de mettre le personnage dans un piège et ensuite de l'en sortir sans que le Deus Ex Machina paraisse trop tiré par les cheveux (même si dans ces premiers épisodes, il reprend de vraies ruses qu'il avait tirées de biographies de Surcouf). Généralement, dans Barbe Rouge, Charlier applique deux plans enchassés, comme dans toute écriture de bon "heist movie" : (1) Barbe Rouge conçoit un plan habile (2) il y a un grain de sable et il va être pris au piège (3) Il conçoit un second plan (ou, plus rarement, révèle que le premier plan prévoyait déjà ce second) et s'en sort quand même.

Mais (indépendamment des contradictions et anachronismes par la suite) pourquoi Charlier a-t-il choisi une date aussi tardive pour sa série ? Le "présent" quand Eric (Thierry de Montfort) a grandi est situé vers 1730 (il a un ou deux ans dans le premier épisode en 1715), soit à la fin de l'Âge d'Or de la Piraterie, après la période "espagnole" et à l'époque où ont déjà disparu les vrais pirates plutôt anglais comme Barbe-noire (1718), Rackham (1720), sa copine Anne Bonny (cesse vers 1720) et le plus romantique, Bart Roberts (1722 - qui dans une version fictive serait en fait une autre identité secrète de... Anne Bonny).

Dans ce premier épisode vers 1730 (Le Démon des caraïbes, 1959), ils font un raid express avec le Faucon noir sur Carthagène en Colombie alors que les Français avaient mené une expédition (mais avec une flotte de près de 2000 hommes, pas un seul brick) en 1697 (qui sait si le jeu de plateau Cartagena qui est censé être une "évasion de pirates en 1672" a été influencé par la bande-dessinée ? - je ne trouve aucune référence réelle à cette évasion à part dans le jeu).

Mais de toute façon, d'autres épisodes se déroulent bien plus tôt à nouveau puisqu'on y mentionne Louis XIV (qui est censé être mort depuis le premier épisode). Charlier, contrairement à tous ses discours didactiques, se moquait un peu de la chronologie précise et Barbe Rouge devient une synthèse de tous les corsaires et flibustiers qu'il avait pu lire. Dès cet épisode, le brick de Barbe Rouge le Faucon noir transporte des caronades, canons légers qui ne sont en fait utilisés qu'au dernier quart du XVIIIe siècle.



Mais là où on est au XVIIIe et plus au XVIIe est que Barbe Rouge, quelle que soit sa cruauté, tient parfois un discours élaboré de ressentiment contre les inégalités, une sorte de pirate rousseauiste (quand il dit qu'il envoie Eric en Angleterre pour qu'il en revienne avec plus de haine contre le statut social et contre les Grands). L'idée géniale du scénario est de ne pas avoir un pirate romantique (Barbe Rouge est vraiment un tueur et un voleur) mais en même temps le garder assez sympathique grâce à son affection complexe envers Eric, même si c'est Barbe Rouge qui a tué ses deux parents et s'il l'instrumentalise comme un moyen dans sa vengeance.

Le Diabolik des soeurs Giussani avait son amour envers Eva Kant (Lady Beltham) pour atténuer un peu sa noirceur, alors qu'ici on a une relation oedipienne plus complexe, 18 ans avant Star Wars. Barbe Rouge veut qu'Eric lui succède et le venge et Eric est bien plus tiraillé qu'un Skywalker entre son honneur et son affection pour sa famille de flibustiers, avec une famille masculine composée de Baba (qui représente plutôt l'éducation physique d'Eric) et de Triple-Patte (chirurgien et latiniste, dont le nom même, symbole de l'artifice, est encore une allusion oedipienne à l'énigme de la Sphynge, en plus des autres mutilations traditionnelles des pirates comme l'oeil crevé du Père).

Le nom du Faucon noir / Black Hawk (le nom est marqué en anglais au début) est une allusion à deux romans de Rafael Sabatini : The Sea Hawk (1915, "adapté" très librement au cinéma en 1940) et The Black Swan (1932, adapté au cinéma en 1942). Le navire d'Eric s'appellera ensuite L'Epervier.

dimanche 14 février 2016

Picrocholines

La gamme officielle D&D 5e ne sera pas traduite en français tout de suite mais leur version "libre" (l'OGL et le SRD) va être adaptée en français par deux éditeurs : Héros & Dragons (chez BBE qui fait aussi Casus Belli mais aussi Pathfinder et d'autres variantes) et Dragons (chez Agate, qui fait aussi Les Ombres d'Esteren, qu'ils ont fait traduire en anglais). BBE a attaqué cette concurrence et Agate vient de répondre (et BBE répond à la réponse dans les commentaires).

Les Chimériades V se sont remplies en moins de 30 minutes

Zut,  en 2014, j'avais raté la convention Chimériades IV à cause de mon emploi du temps mais cette année, un des rares soirs où je corrige mes copies au lieu d'aller sur Internet, je rate leur annonce des Chimériades V qui auront lieu le week-end du 8 mai. Les inscriptions ont commencé jeudi dernier à 21h et il n'y avait plus de place à 21h30...

Ca m'apprendra à ne pas procrastiner.

mardi 9 février 2016

Le vice de la panique


La peur panique vient d'un effroi religieux qui touche au sublime. Hérodote raconte (L'Enquête VI, 105) qu'après la Bataille de Marathon contre les Perses, le messager dit avoir rencontré le dieu Pan qui reprocha aux Athéniens leur ingratitude alors que c'était lui qui serait apparu comme un spectre pour inspirer la "Grande Peur" qui frappa l'armée médique devant la charge des fantassins. Arès, dieu de la Guerre, est père de Deimos (Crainte) et Phobos (Terreur) mais Pan Φορβας est un fils d'Hermès, dieu de la Communication et il est celui qui propage cette contamination de la Panique, cette épidémie sacrée (Pan est aussi amoureux de la déesse Echo). Les Athéniens remercièrent le Dieu-Bouc en instaurant sous l'Acropole un sanctuaire de Pan grâce à qui la Peur avait changé de camp entre le Grec et le Barbare. La panique est le moment où la terreur devient folie maniaque et le Dieu-Bouc est aussi un sentiment dionysiaque, l'envie d'une fuite moutonnière qui nous délierait de tout discours.

Si le but du terrorisme est un culte de la panique, il est étonnant de voir à quel point il y a aussi un désir qui y répond chez le paniqué. La panique n'est plus seulement un accident ou une pathologie éphémère, elle devient un vice, un plaisir suspect de se complaire dans la panique car elle autorise tout, elle excuse tout, elle permet de se retirer de toute responsabilité même quand on prétend encore agir avec courage ou fermeté : je n'avais pas le choix. Le terme de "panique morale" en sociologie est parfois un peu trop flou mais il insiste sur le fait que l'Etat et la société moderne ont pris l'habitude, dans leur paix relativement sereine, d'entretenir un désir de sécurité en crainte perpétuelle d'avoir peur. Malgré (ou bien au contraire comme en atteste) la multiplication de tous ces mots en -phobie, un spectre de phobophilie nous hante aussi.

Sur le blog Secret Défense, l'essayiste catholique Jean-Claude Guillebaud a quelques formules intéressantes sur notre état. Il oppose le flegme britannique devant le Blitz à notre tendance à jouir de ce frisson, comme le Premier ministre qui annonçait juste après le dernier attentat que nous serions bientôt victimes d'attaques chimiques (certes, si un second assaut avait réussi, on lui aurait tous reproché d'avoir été dans le déni de risques futurs). Quelques heures après l'attentat, le Président de la République se met dans un piège tout seul sans que personne ne lui demande rien et veut instaurer la déchéance de nationalité dans une faute politique facile à éviter. Même si on considèrait par ailleurs que la déchéance de nationalité n'était pas si grave (y compris si elle créait des apatrides, pour certains - on peut toujours dédramatiser une mesure vaine qui ne toucherait peut-être personne), le contexte seul suffirait à en ridiculiser la proposition. Un Chef de l'Etat discrédité a pris le pli d'habiller en fermeté responsable une gesticulation paniquée. On ne sait jamais la part de cynisme (la triangulation avec la xénophobie) et de simple délire dans le désir de paraître plus déterminé qu'on ne l'est. Il changera d'opinion de multiples fois avant de dire qu'il ne peut pas le faire car il craindrait de paraître indécis : il cumulait ainsi tous les maux opposés : ses tergiversations et revirements avaient déjà été manifestes et il ne restait ferme pour une rare fois que par peur que cela ne se remarque davantage. La résolution est devenu un beau masque d'un soulagement résigné.

Je repense surtout à Gaston Bouthoul, le fondateur de la polémologie - la science de la guerre. Avec une grande intelligence prophétique, il écrivait, en 1951, que, contrairement à l’idée répandue selon laquelle les démocraties ne font pas la guerre, les dirigeants des démocraties sont toujours tentés de faire la guerre, car celle-ci les « sanctifie » en faisant d’eux des personnages incritiquables.

(Certes, on répondra que la même tendance est d'autant plus forte chez des tyrans, même si le despotisme peut jouer sur d'autres craintes intérieures et sur un simple soupçon de guerre pour éviter la dissension.)

Comme l'économisme a vidé la politique de toute grandeur, la guerre est devenue une continuation ou une simulation de la grandeur par d'autres moyens, un substitut symbolique, d'où le goût de la "grandiloquence" dont parle Guillebaud.

Une scène étrange après les attentats était la pose de la Résistance, un de nos mythes principaux avec lequel nous entretenons toujours un rapport de fascination. Certains manifestaient avec un panneau en anglais "Not Afraid". Ils l'écrivaient en anglais car ils étaient dans la représentation médiatique et dans l'imitation d'autres scènes semblables après d'autres attaques terroristes, ou alors il voulaient créer une impression de communauté post-nationale. Le terrorisme est un message spectaculaire et donc on répondait vers un public plus large. Mais nous avions tellement peur (le mouvement panique sur la Place de la République après un pétard le rappelait). Le Fluctuat nec mergitur était touchant au début dans sa brave crânerie ou sa méthode Coué s'il avait touché ce stoïcisme londonien que nous avons honte de n'avoir jamais partagé (une partie de Paris se souvient d'avoir été plus collabo que Vichy et toutes les stèles sur l'auto-libération de Paris ne peuvent complètement la racheter). Mais quand le Fluctuat nec mergitur devint un mot d'ordre officiel et que la Mairie de Paris l'inscrivit partout, il tomba dans le kitsch d'auto-gratification et presque le déni transparent d'un abîme de nihilisme dans lequel nous avions l'impression de sombrer. (Elias avait repris sur ce sujet un joli texte, certes lutétiophobe et misogyne, de Julien Gracq).

Nous pouvions savoir que des ennemis étaient clairs à définir et que leur injustice était pour une fois simple et manifeste (ce qui aurait dû être très rassurant), mais en même temps nous nous rendions compte que cette rare clarté ne rendait pas les choses nécessairement plus aisées si nous n'arrivions pas à voir tous les effets dans le monde (en Syrie, en Libye, en Tunisie, au Mali) ou bien même ici (quand le Président de la République se piégeait si imprudemment au moment de paraître consensuel et rassurant ou quand les mesures prises pour protéger la sécurité pouvait engendrer localement certaines injustices nouvelles).

dimanche 7 février 2016

Jeux de rivalités chez Dupuis



  • J'ai une hypothèse de lecture (sans aucune preuve) sur Ralph Azham de Lewis Trondheim (qui paraît dans Spirou et donc chez Dupuis) : et si toute cette série avait pour but de montrer qu'il pouvait faire mieux que Lanfeust de Troy d'Arleston (Soleil) dans ce même genre de fantasy humoristique mélangé avec des superpouvoirs presque universellement répandus (le modèle d'Arleston devait être Xanth d'Anthony). Cette rivalité ou émulation serait ironique comme les BD de Soleil sont un peu le diable philistin-commercial pour l'équipe des anciens de l'Association comme Trondheim. L'univers de Ralph Azham est cependant fondé avant tout sur un jeu de structure. Cette structure des 4x4 "pouvoirs" est finalement l'élément le plus important de l'intrigue et on a l'impression que Trondheim écrit cette bd "grand public" comme une sorte de jeu de l'OuBaPo. Cela donne une profondeur abstraite aux 4 dieux qui n'ont pas de liens clairs avec 4 finalités ou puruṣārtha (Argent / Pouvoir / Sexualité / Sagesse). Sur ce continent de Tanghor, certains acquièrent des pouvoirs tous les cycles de 16 ans et deviennent des Bleuis, marqués par la Lune bleue. Au début de l'histoire, on découvre comment les Etats persécutent et/ou utilisent ensuite les pouvoirs de ces Bleuis (qu'on reconnaît aisément comme une des parties de leur corps devient bleue). Ralph a d'abord un pouvoir qui semble sans intérêt (deviner le nombre d'enfants) mais ensuite il va acquérir un pouvoir plus intéressant (il matérialise automatiquement tous les fantômes tués par la personne dont il s'approche et leur permet donc de tuer leur assassin - cela donne des scènes où il est mécontent quand il est attaqué par des voleurs dont il s'aperçoit qu'ils n'ont jamais tué personne pour l'instant). Les conventions de fantasy y sont plus subverties par le héros cynique que dans Lanfeust et le héros est prêt notamment à bien des changements d'alliance. (En y pensant, le cliché du personnage qui-cache-un-idéalisme-désabusé-sous-un-discours-cynique est une marque de fabrique de Lewis Trondheim qui aime souvent être un vrai Cynique au sens originel du terme, plus un moraliste misanthrope).

  • Les premiers épisodes de Spirou et Fantasio par André Franquin à la fin des années 1940 sont, contrairement à ce qu'on pourrait croire, plus racistes que les Tintin des années 1930 (Spirou chez les Pygmées, 1949, pire que Tintin au Congo, 1930). Franquin s'améliore très vite (notamment à partir du moment où il crée le Marsupilami en 1951 : on peut trouver le personnage agaçant mais cela relance visiblement sa créativité et il rompt avec les histoires que faisait Jijé et introduit plus de continuité d'un épisode à l'autre). La référence ou la rivalité mimétique avec Tintin reste parfois obsédante (Tintin était déjà déguisé par anticipation de Rob-Vel en groom dans une page de Tintin en Amérique, 1931). Le Comte Pacôme de Champignac (créé en 1950 dans Il y a un sorcier à Champignac) est vite la fusion de Tournesol (savant lunaire) et de Haddock (pour le Château de Moulinsart - d'ailleurs racheté par les fonds de Tournesol dans Le secret de Rackham le Rouge en 1944, mais Fantasio joue plus le rôle du partenaire irascible à la Haddock). Mais Hergé se souviendra-t-il de ces origines quand il imite une partie de l'intrigue d'Il y a un sorcier à Champignac et remet un thème contre la xénophobie contre les Gitans à l'intérieur du parc du Château de Moulinsart dans Les bijoux de la Castafiore (pré-publié en 1961). Le Dictateur et le Champignon (publié en 1953-1954) ne cesse de reprendre l'Oreille cassée (1937) dans plusieurs scènes (Zantafio fait Spirou colonel exactement comme Alcazar avait fait pour Tintin - mais Zantafio est plus fascisant qu'Alcazar, qui est surtout ridicule et instrumentalisé par les marchands d'armes).
  • samedi 6 février 2016

    Early Dark (2011)


    Early Dark (Anthropos Games, 2011, 400 pages) est un jeu de rôle de fantasy financé par Kickstarter mais qui a relativement peu fait parler de lui. Je crois que ni le GRoG ni RPG.Net n'en ont de recensions pour l'instant - mais il y en a une, très développée, chez Philippine Gamer et une autre, plus négative (notamment sur le "jargon"), sur Diehard GameFan. Le champ des jeux fantastiques devient tellement saturé qu'il devient difficile de se faire remarquer. Pourtant Early Dark ne manque pas de certains aspects originaux.

    Une des qualités d'Early Dark est que le projet est très clairement explicité par l'auteur, Calvin Johns, avec une franchise qui cite ses sources et ses buts (certaines idées narrativistes modernes sont mélangées avec des mécanismes ludiques élaborés, et il y a des traces de jeux plus traditionnels comme une reinvention du système d'expérience). L'intention du jeu semblait d'ailleurs porter plus sur les règles que sur le monde mais ce cadre n'a pas le défaut des univers génériques habituels des "crève-coeurs fantastiques". Calvin Johns (qu'on peut voir dans cette vidéo de présentation) était un étudiant en doctorat d'anthropologie à l'Université du Texas à Austin, et on voit bien que sa formation joue un rôle dans sa manière de créer son univers.

    La Mer de Hara et ses Cinq Cultures

    Early Dark a, comme le Runequest originel, un niveau technologique plutôt bas, plus antique que médiéval. Il n'y a pas d'espèces non-humaines jouables (un peu comme dans le récent Age of Treason de Jonathan Drake qui a une atmosphère proche autour d'un Moyen-Orient antique) et les êtres humains sont divisés en cinq cultures autour de cette Mer de Hara (Alagoths, Anu, Edish, Neferatha, Vayok). La carte est p. 173-174 dans le manuel et vous pouvez la voir sur leur site.



    L'Atlas de la Mer de Hara couvre les pages 20-174 et il est très dense car il est présenté quasiment sous une forme de plusieurs nouvelles, ce qui demande donc de s'immerger dans la fiction pour en tirer les informations. Heureusement pour la jouabilité, la fin sur l'état présent est plus synthétique.

    Les Vayok du Vaankur au nord-ouest sont un mélange des Scandinaves vikings et surtout des Inuits, avec un lien plus fantastique avec des Géants.
    Les Anu des Îles Kuludo, dans la Mer de Terre Noire à l'Ouest sont un mélange de la Chine de la Dynastie Han (mais leur habitat insulaire évoque très fortement des côtés japonais, l'onomastique aussi) et de la culture Olmèque (la mythologie). [C'est aussi la culture qui ressemblerait le plus à Tékumel dans son mélange d'Asie et d'Amérique centrale.]
    Les Alagoths sont un mélange des Perses achéménides et des Celtes (notamment le rôle des Druides), dans une version particulièrement "patriarcale", voire misogyne. Ils vivent dans les basses terres d'Edrada au nord-est et sont guidés par des prophètes druides.
    Les Neferatha d'Ugurlu (cité dans le Ragus, au sud) sont un mélange des Indiens védiques (notamment les castes) et des Egyptiens, mais dans une version plus "matriarcale" et impérialiste.
    Les Edish sont un mélange de Gréco-Romains (Cités-Etats) et d'Amérindiens Ojibwé (le Totémisme). Ils vivent dans les cités des hautes terres d'Edrada au nord.

    L'Histoire

    Au lieu des habituels Loi et Chaos, le texte parle plutôt en termes de structure et de changement, du Tissu et de la Fissure ou Echancrure (Loom : métier à tisser / Fray : effilocher). Les Esprits et Fées vivent dans cette Texture mais les "Grands Anciens" percent la Fissure. La culture d'Edrada, les collines du nord-est, commença à créer l'art du Tisseur contre les anciens cultes des Grands Anciens et des premiers Géants sous les glaces de Vaankur. Il y eut un Empire antique centré sur l'Edrada et qui recouvrit tous les alentours mais il a disparu en laissant des ruines et des textes mystérieux sur l'art de manipuler la Texture du monde.

    Il y a environ un millier d'années, les Neferatha sont arrivés dans la cité d'Ugurlu et y créèrent le premier calendrier. La Sorcière, leur fondatrice légendaire, institua les quatre castes : les Couronnes (Mages), les Mains droites (Guerriers), les Mains gauches (Scribes et artisans) et les Pieds (les Serfs). Ce sont les Dynasties des Mains Droites qui ont le pouvoir politique car les Couronnes sont souvent détachées de la gestion effective. Cela crée une tension entre le pouvoir spirituel et magique des Couronnes et le Culte Impérial militaire institué par les Mains Droites.

    C'est aussi à cette époque que l'Empire Anu commença à s'organiser dans les Îles Kuludo de l'Extrême-Occident, suite à des révoltes paysannes contre les anciens seigneurs. La société anu adore six Dieux autour du Jaguar (le Peuple), de l'Oiseau (l'Empereur), du Dragon (le Héros) et du Serpent à Plumes (la "Courtisane/Artiste", une des classes sociales les plus influentes de la société anu).



    Il y a 600 ans, l'Empire neferatha commença à s'allier avec des Clans nomades des Alagoths dans les basses plaines d'Edrada et la Forêt Blanche au nord. Les Clans patriarcaux des Alagoths constituèrent des troupes confédérées dans ses armées pour étendre l'Empire neferatha. Les "genres" alagoths sont une construction particulière car les gharuns (hommes impuissants, castrés ou femmes stériles) y sont un "3e genre" qui joue un rôle important dans leur société, notamment dans la politique comme "vizirs" [j'ai l'impression que c'est peut-être une allusion aux agokwa (ou en français "berdache") chez les Ojibwés alors que les Alagoths sont censés être irano-celtiques ?].

    Depuis 100 ans, les Edish, des nomades liés à des Totems animaux en Haute-Edrada, ont commencé à s'urbaniser et à créer des Cités-Etats comme Lokod. L'Empire neferatha a tenté de les conquérir peu à peu (Lokod, la Perle du Nord, a reçu une influence culturelle neferatha depuis des décennies, ce qui en fait un syncrétisme des cultures de la Mer de Hara) mais certaines Cités edish ont de bons pirates qui harcèlent l'Empire. Le chef edish Praetawa du Totem du Faucon a conquis Lokod pour l'Empire neferatha et en devint le Gouverneur au siècle dernier en même temps que l'amant de l'Impératrice. C'est là que s'est développée la Grande Bibliothèque de Lokod, qui contient des archives des civilisations anciennes.

    Les Druides Alagoths ont fondé leur Cité Royale dans la Steppe orientale près de la Grande Forêt Blanche comme un centre du culte de l'Arbre. Certains Vayoks ont commencé à s'installer dans des communautés de forgerons dites "khazils" chez les Anu et en Haute-Edrada chez les Edish (un peu comme les Varègues chez les Slaves et Byzantins).

    Depuis quelques décennies, c'est la "Guerre des Six Fronts". Les Neferatha, sans doute la première puissance, mais en déclin, sont en conflit à la fois avec les Cités-Etats edish (dont le légendaire Praetawa de Lokod, qui s'est retourné contre l'Empire neferatha depuis le décès de l'ancienne Impératrice, et qui a disparu mystérieusement quand une créature féérique dévora toute la Cité d'Onkod il y a une douzaine d'années), contre plusieurs clans de leurs anciens alliés alagoths de Basse-Edrada et ceux de l'Orient. Les Vayoks ont commencé à explorer le monde et à faire des raids sur l'Empire Anu et sur les Cités des Edish. Quant aux Anu, en plus de ces Vayoks, ils sont rivaux du vieil Empire neferatha mais font face à une crise depuis la disparition de leur propre Impératrice.

    "Le Recensement" (La création de personnage)

    Le chapitre 3 (Le Recensement p. 175-217 + Appendices p. 380-387) commence par inverser l'ordre de priorité entre cadre pour le Scribe (le MJ) et personnage pour le joueur. On commence par tirer sur une table une idée de départ de scénario et on doit ensuite créer les personnages que l'on désire en tenant compte de cette intrigue ou de cette première scène : je tire par exemple dans l'Appendice le résultat "Des voleuses femmes veulent se venger dans les Cités alagoths" (on sait que cette culture est fondée sur des différenciations sexistes rigides - la femme n'a pas droit de détenir une propriété par exemple).

    Je décide donc de créer une Druidesse alagoth (p. 198) puisque c'est une position sociale ambiguë où les femmes (mais pas les gharuns ?) sont acceptées. Je décide qu'elle sera âgée et de culture "parsi" (j'imagine que cela signifie druide plus urbanisé ? ce n'est pas bien précisé). Hélas, il n'y a aucune liste de noms propres. Je décide de l'appeler "Sarvazad" (ce qui doit vouloir dire en vieux persan quelque chose comme "noble cyprès").

    Cela donne déjà 4 aptitudes (sur 8) qui sont fixées par l'Héritage culturel, la profession, le sexe (pardon, le genre) et l'âge de notre Druidesse Sarvazad :
    Cunning 4
    Guile 2
    Labor 1
    Thrive 5
    J'ai droit aussi à un "Alignement" qui signifie dans Early Dark non pas une moralité ou une entité cosmique mais un lien social (ici, avec un Cercle druidique d'un Arbre particulier, par exemple "du Chêne Rouge").

    Les 8 "aptitudes" sont Cunning (tout ce qui relève de l'ingénuité), Fight, Guile (discrétion, tromperie), Labor (à la fois industrie, obstination), Move (souplesse), Relate (empathie), Thrive (résolution, adaptation), Touch (sensibilité). Ce sont à la fois des caractéristiques habituelles et des traits de caractère, des vertus.

    J'ai droit de répartir 12 points entre les quatre autres aptitudes (donc une moyenne de 3). Par exemple, pour Sarvazad, cela peut donner :
    Fight 2
    Move 2
    Relate 4
    Touch 4
    Notre Druidesse est très volontaire, empathique et sensible mais assez frêle et peu douée pour se battre ou pour se cacher. On verra que la caractéristique Touch est d'ailleurs importante dans la magie druidique si elle veut contacter la Nature.

    Cela donne ensuite plusieurs caractéristiques dérivées (sur la feuille de personnage plus clairement que dans le chapitre p. 213). Par exemple, le Cunning de 4 donne un "Tacks per Turn" de 4 (ce qui veut dire qu'elle ne pourra jamais avoir plus de 4 Approches dans le résultat d'un dé, voir le système de jeu) et son Move de 1 lui donne 3 en "Roll Per Round", le Thrive de 5 donne un Guard de 19.

    L'étape suivant est de répartir les points entre le Domaine mondain, Domaine d'Arcane (Magie) et Domaine de la Texture (Loom) : un personnage a 4 de base dans tous les Domaines plus 7 "étoiles" (points d'achat). La plupart des personnages sont censés investir surtout dans le Domaine mondain. On va donner la répartition suivante à Sarvazad : 7 Mondain, 5 Arcane, 7 Texture. Son "Sang" (don magique) est donc égal au double de son Domaine d'Arcane, donc 10.

    Il faut choisir déjà 4 Arts et 2 Talents (cf. chapitre 6 Les Arts, p. 289-344). Sarvazad a Alchimie (Cunning+Thrive), Animal Kinship (Relate+Touch), Canvass (Guile+Touch), Chant (Thrive+Touch). Ses deux Talents sont Guérison (Cunning+Relate) et Osmose (Touch+Thrive, p. 341). Elle a droit à un "Epithète" pour la singulariser dans son histoire passée. Elle choisit "Main-de-lierre" et considère que cela décrit bien son osmose avec la Texture.



    "La Grammaire" (Le système de jeu)

    Le système est unformisé. On jette un nombre de d10 qui dépend du Domaine (Normal, Texture ou Arcane). La "limite" à ne pas dépasser est la somme de deux Aptitudes pertinentes pour cette action. On doit alors ordonner les dés du résultat de manière à former une "Approche" (Tack) telle que la somme des dés de cet ensemble reste inférieure ou égale à cette limite. La Force du résultat est le nombre de dés de "l'Approche" maximale qu'on puisse obtenir ainsi (un "0" au d10 compte comme un "zéro" qu'on peut ajouter à la somme).

    La Force du résultat doit dépasser une difficulté pour réussir. Les autres Approches dans le résultat dont la somme reste inférieure ou égale à la limite s'appellent des Approches secondaires qui en combat donnent des options comme gagner un avantage (avec une Approche de 1, créer une pénalité pour l'autre) ou utiliser une manoeuvre (avec une Approche de 2, utiliser un talent). Dans un jet en opposition, les Approches des deux adversaires au même nombre de dés s'annulent mutuellement.

    [Cela rappellerait, mais certes très lointainement, le système de Weapons of the Gods où on comptait le nombre de dés qui avait le même résultat mais on y multipliait ensuite le nombre de dés identiques par dix en y ajoutant leur valeur sur le dé (deux dés ayant donné 1 donnait donc un résultat de 21, un seul dé ayant donné 9 donnait 19). ]

    "L'Héraldique des Noms" (L'Expérience)
    L'expérience est un des aspects où Early Dark a le plus repris en le transformant le modèle Old School. Le personnage gagne des "Epithètes" qui précisent ses capacités nouvelles à chaque fois qu'il remplit un objectif de son Alignement. L'Epithète est donc en gros un "Niveau" mais l'Alignement n'est pas une force abstraite mais un lien social et les "points d'expérience" s'appellent maintenant les "Pages" de la Chronique personnelle. On gagne de nouvelles Pages dans sa biographie et cela donne du Renom. Le PJ peut choisir de dépenser son Renom pour s'acheter de nouveaux Alignements, comme ce sont ses Alignements qui lui "rapportent" ensuite de nouveaux Epithètes. Cela permet aussi de gagner des suivants et soutiens. Certains objets aussi gagnent des épithètes (un peu comme dans Earthdawn où les objets progressent aussi en acquérant une histoire).

    Les Arts
    Les Arts comprennent aussi bien les Arts "mondains" (comme médecine, forge, alchimie, escroquerie, arts martiaux) que les Arts de l'Arcane (qui brisent les lois de la Texture) et les Arts de la Texture (qui sont plus subtiles dans leur manipulation de la Texture du Monde). Philippine Gamer fait remarquer qu'on peut être surpris de voir à quel point les Arts sont génériques et ne dépendent pas tellement de la Culture alors que les premiers chapitres avaient tellement insisté sur le rôle de la Culture. La liste des Arts et Talents magiques (notamment ceux liés à la Texture) peut aussi paraître relativement courte. Ces Arts évoquent encore un peu les adeptes d'Earthdawn comme ils ressemblent tous à des sortes de capacités magiques, même les Arts dits "mondains".

    Ce qui rend les Arts d'Arcane plus dangereux que la Texture (Loom) est le système du "Pari" qui représente le risque de jouer avec les forces de la Fissure (Fray). On risque en effet pour lancer un sortilège de se vider de son énergie ou bien un "contre-coup".

    Les deux derniers chapitres (7 Poétique et 8 Almanach) sont des conseils généraux pour le MJ, y compris avec des Tables de rencontre, autre aspect assez "Old School", et un petit bestiaire (p. 363-377).

    Conclusion

    Early Dark est créatif. Le système où on doit choisir de combiner ses dés pour déterminer des options de divers avantages est une idée ludique intéressante même si je crains que cela ne détourne un peu de l'immersion si on a l'impression de jouer à une sorte de Yahtzee.

    L'univers me semble relativement difficile d'accès en raison de la présentation de l'Atlas avec de longues nouvelles, mais il devrait plaire à ceux qui aiment de la sword & sorcery avec une approche d'arrière-fond un peu plus élaborée que ce qui peut apparaître à première vue sur ces Cités "pseudo-romaines" ou ces barbares "pseudo-celtiques". Un défaut peut-être est que l'univers ne semble pas pour l'instant avoir de développement alors que j'aurais du mal à y jouer sans un Gazeteer des Cités, qui ne sont pas assez distinguées (en dehors des pistes de scénario pour la création du personnage). Un autre défaut à mes yeux de fan de Glorantha est que l'ethnologie semble bien plus essentielle que la mythologie : les dieux sont moins importants que les rites ou les moeurs des mortels et je pense que c'est un biais volontaire, plus "anthropo-centré". On ne connaît quasiment rien des mythes sur les divinités en dehors des héros fondateurs et "héros culturels" importants des derniers siècles.

    Calvin Johns s'est tourné depuis vers un autre système narrativo-ludiste ou tactique, Fantaji, qui devrait ensuite aller vers un autre univers plus tourné vers l'animé de steampunk fantastique, Mazaki no Fantaji (dont la première édition a échoué a atteindre son seuil sur Kickstarter)

    vendredi 5 février 2016

    Même à l'impossible on peut être tenu

    Un des arguments de Kant était que si on a un devoir moral (par exemple le devoir de tenir une promesse), il faut qu'on ait la possibilité de faire son devoir (donc la capacité de tenir sa promesse, la capacité de résister à notre désir de mentir). "Du sollst, denn du kannst" (même si Kant insiste aussi sur la réciproque : Si tu peux faire ton devoir, alors tu n'as aucune excuse). La conséquence était que l'existence même d'un devoir moral impliquait comme condition qu'on soit libre au sens où on pourrait agir par devoir.

    Dans cette expérience d'éthique expérimentale (de psychologie de nos manières de parler ordinaires ou de nos "schèmes conceptuels" - je n'ai lu que l'abstract), les auteurs construisent des scénarios où par exemple, A a promis à B de venir à telle heure mais est en retard (que ce soit de sa faute ou à cause d'un incident hors de sa volonté). Les témoins interrogés considèrent que A a encore le devoir moral d'être à l'heure alors qu'il ne peut plus arriver à l'heure et les auteurs disent avoir donc "réfuté" le principe que "Ought Implies Can". 

    Mais n'est-ce pas seulement une ambiguïté linguistique du verbe "ought" dans son rapport au temps et aux modalités ? Le fait d'avoir transgressé un devoir peut impliquer qu'on ne peut plus revenir en arrière et donc qu'il est devenu impossible de le faire et pourtant qu'on aurait dû auparavant le faire