Max Weber, Le savant et le politique, 1919 :
"En effet, il n'existe tout compte fait que deux sortes de péchés mortels en politique : ne défendre aucune cause et n'avoir pas le sentiment de sa responsabilité - deux choses qui sont souvent, quoique pas toujours, identiques. La vanité ou, en d'autres termes, le besoin de se mettre personnellement, de la façon la plus apparente possible, au premier plan, induit le plus fréquemment l'homme politique en tentation de commettre l'un ou l'autre de ces péchés ou même les deux à la fois. D'autant plus que le démagogue est obligé de compter avec « l'effet qu'il fait » - c'est pourquoi il court toujours le danger de jouer le rôle d'un histrion ou encore de prendre trop à la légère la responsabilité des conséquences de ses actes, tout occupé qu'il est par l'impression qu'il peut faire sur les autres. D'un côté, le refus de se mettre au service d'une cause le conduit à rechercher l'apparence et l'éclat du pouvoir au lieu du pouvoir réel ; de l'autre côté, l'absence du sens de la responsabilité le conduit à ne jouir que du pouvoir pour lui-même, sans aucun but positif. En effet bien que, on plutôt parce que la puissance est le moyen inévitable de la politique et qu'en conséquence le désir du pouvoir est une de ses forces motrices, il ne peut y avoir de caricature plus ruineuse de la politique que celle du matamore qui joue, avec le pouvoir à la manière d'un parvenu, ou encore Narcisse vaniteux de son pouvoir, bref tout adorateur du pouvoir comme tel. Certes le simple politicien de la Puissance, à qui l'on porte aussi chez nous un culte plein de ferveur, peut faire grand effet, mais tout cela se perd dans le vide et l'absurde."
On se sent coupable de regarder ce désastre ou cette "catastrophe ferroviaire" qu'est Donald Drumpf. Le personnage est connu depuis si longtemps comme le symbole même du kitsch et du mauvais goût, cet aspect LasVegasien des USA, le miroir déformant de ce qu'il y a de pire dans le pragmatisme anti-intellectualiste know-nothingiste avec une vague prétention philistine ("I am highly educated: I know big words"). Drumpf était juste une star de reality show, un objet de plaisanterie récurrent plus connu que respecté, une "célébrité" comme on dit, plus connue pour sa notoriété que pour le moindre mérite. Il est un escroc de l'immobilier et des médias depuis longtemps, un fils de millionnaire devenu "milliardaire" (même si ses dettes jettent des doutes sur sa fortune réelle) mais qui a tellement de mégalomanie qu'il agit sans aucune prudence pratique même dans son prétendu domaine de compétence (il fonda une compagnie d'hypothèque immobilière juste avant la Crise de 2008 et elle fit vite faillite, il fonda une prétendue "Université Drumpf des Affaires" qui fit faillite également).
De l'extérieur, c'est assez distrayant dans la Schadenfreude de voir la première puissance mondiale prête à suivre un businessman aussi manifestement peu préparé qui fait passer même Rick Perry pour un politicien sérieux. Il est le candidat nationaliste du ressentiment face à ce déclin américain et il en est pourtant le principal symptôme : un pays bien portant ne laisserait pas son principal parti aux mains du premier démagogue qui tient plus du producteur de catch ou de la trash TV de Jerry Springer.
Une vieille plaisanterie américaine est que la politique est le show business pour les laids ou bien la section divertissement du complexe militaro-industriel. Mais ici le show business du Cirque absorbait la politique. On se moque généralement de politiciens comme de "clowns" mais on n'était pas prêts à voir un vrai clown milliardaire qui incarnerait la révolte contre les politiciens. Il est un bon exemple de cette dérive tyrannique ou ochlocratique que dénonçaient les vieux ennemis de la démocratie. Je ne sais pas si Bernard Tapie aurait pu jouer un tel rôle mais bien sûr Berlusconi ou Beppe Grillo peuvent évoquer des équivalents. Drumpf serait Berlusconi avec moins de liens avec la Mafia (AFAIK) mais plus de risques de détruire l'Humanité.
On pourrait se rassurer en se disant que Drumpf ne croit pas à ce qu'il dit, qu'il est resté un habile cynique modéré malgré tous ses discours intempérants. Après tout, il avait été bien plus centriste dans le passé et avait même courtisé les Clintons. Mais le problème est qu'il ne sait pas ce qu'il croit ou qu'il change tout le temps ce qu'il "croit", en l'affirmant à chaque fois avec plus d'aplomb dogmatique, d'autant plus quand les faits réfutent ce qu'il dit. Il a un excellent instinct de démagogue et dit ce qui lui semble percutant mais il serait prêt à dire n'importe quoi. On a rarement vu un tel exemple de candidat dont les talents pour attirer l'attention le rendent aussi dangereux s'il exerçait le moindre pouvoir. Le problème n'est pas seulement le contenu violent de ses derniers propos pendant sa campagne mais qu'il soit assez sans vergogne pour abaisser toute la politique à un tel trolling. Son infantilisme devrait suffire à le disqualifier de mener autre chose que des émissions télévisées de bas de gamme. Sa mythomanie est aussi un trait si caractéristique qu'elle devrait en faire un mauvais escroc : rarement un escroc aura aussi peu caché qu'il en était un. Mais depuis des décennies de télévangélistes et de Républicains néanderthaliens, on s'attend à cela comme une dernière réduction par l'absurde de l'expérience américaine : une ploutocratie sans contre-pouvoir avec un effondrement de l'éducation et une hausse d'un fanatisme crédule ne pouvait que conduire à cela.
On en viendrait presque à le souhaiter voir gagner.... De même qu'on dit qu'une « bonne guerre » ferait repartir l'économie, on pourrait imaginer qu'une présidence Trump ferait revenir les électeurs américains de leurs excès. Cela dit, ça a pris 20 ans en Italie avec Berlusconi, donc finalement je ne le leur souhaite pas.
RépondreSupprimerMême si je suis assez d'accord avec l'analyse, j'ai un peu de peine à imaginer qu'il puisse faire significativement pire que Bush qui était pourtant un politicien «sérieux».
RépondreSupprimerPeut-être que je manque d'imagination…
Au moins, on disait que Bush pourrait avoir un entourage pour le conseiller, mais dans les faits, on a vu qu'un Président sans aucune curiosité intellectuelle était quand même dangereux.
SupprimerTrump sait certes déléguer (il a même tendance à déléguer tout le temps) mais il peut changer capricieusement d'avis tout le temps. Cela le rend impossible à classer. Il a tenu des propos modérés en politique étrangère mais il peut aussi passer brutalement vers un discours agressif.
Sur les questions économiques, ce ne serait pas très différent en effet : baisses fiscales déséquilibrées et sans doute une nouvelle crise financière.
Il serait peut-être plus isolationniste mais après l'aventurisme néo-con on pourrait considérer cela comme un progrès - si ce n'est qu'il est tellement imprévisible qu'il pourrait aussi déclencher une nouvelle guerre sur un coup de tête.
Mais de toute manière sa victoire reste très peu probable à moins que Clinton (en supposant que Sanders soit vraiment vaincu) ne fasse vraiment des gaffes énormes ou ne soit poursuivie en justice.
Un éditorial qui exprime mon impression:
Supprimerhttp://www.nytimes.com/2016/03/04/opinion/clash-of-republican-con-artists.html
Trump est un clown dans le cirque républicain, mais je pense qu'il est surtout imprévisible dans la mesure où il met en danger le parti.
Le Parti s'inquiète surtout qu'il le discrédite par la suite mais il n'est pas vraiment choqué par le contenu de ses propos (son vague programme est d'ailleurs finalement relativement orthodoxe en dehors de quelques déclarations provocatrices).
SupprimerCela explique leur contradiction quand ils disent qu'il est scandaleux puis ajoutent tous qu'ils voteront pour lui s'il gagne la Primaire. Rares sont les Républicains prêts à dire qu'ils préfèrent Clinton.
En lisant ton dernier lien, j'ai trouvé une explication gloranthienne : Tonald Drumpf est la réincarnation d'Ermal le Trickster! ;)
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