jeudi 10 octobre 2019

Nozick


Il est vraiment dommage que Robert Nozick (1938-2002) soit arrivé à des positions aussi libertariennes car j'ai rarement lu de philosophes contemporains qui eussent un tel sens des problèmes. Les philosophes analytiques sont impressionnants dans leurs résolutions de problèmes récents de la littérature "scolastique" actuelle mais ils sont souvent plus décevants dans la profondeur historique d'un problème ou dans les problèmes plus "cosmiques", en dehors de Bernard Williams (qui fut un Nietzschéen ou Sartrien analytique), Richard Rorty parfois (mais il dériva sans doute vers le n'importe quoi dans son mariage du pragmatisme et de la déconstruction) et peut-être vers la fin Hillary Putnam (qui tenta d'intégrer ce qu'il avait pu lire de la tradition critique de Francfort et même Lévinas (!)) ou Derek Parfit (qui fusionna sa métaphysique humeano-bouddhiste du Non-Sujet avec une conciliation de l'Utilitarisme et du Kantisme).

Nozick a une culture philosophique digne d'un Continental avec les ressources d'un Analytique et si on écarte sa philosophie politique délirante (ce qui est certes son apport le plus célèbre), il a construit parfois des solutions intéressantes et son opposition éthique entre ce qu'il appelle le problème de l'équilibre entre l'Offre Morale (les mobiles de la Raison pratique, ce que je voudrais exiger de moi-même) et la Demande Morale (ce qu'Autrui devrait exiger de moi) le conduit à une autre manière de voir la différence entre Antiquité (philosophie de l'Offre qui croit à l'harmonie entre Bonheur et vertu) et Modernité (qui ne voit plus cette harmonie).

Même son libertarianisme (qu'il a légèrement nuancé vers la fin - n'oublions pas qu'il avait été Socialiste dans sa jeunesse) a l'avantage d'être presque l'inverse d'Ayn Rand. Rand n'avait rien lu de sérieux sur Kant (qu'elle prenait pour un Relativiste) alors que Nozick est peut-être plus profondément Kantien que ne l'est Rawls. Rand veut fonder tout son minarchisme sur un égoïsme simpliste et la dénonciation de l'altruisme. Nozick fonde son libertarianisme au contraire sur des présupposés très kantiens de Respect de l'autonomie d'autrui et de refus du Paternalisme. Le méta-argument de Nozick est toujours assez drôle : la vertu du libertarianisme est qu'il pourrait intégrer le socialisme comme possibilité locale pour une communauté alors que l'inverse ne serait pas vrai.

5 commentaires:

  1. J'ai quasiment rien compris, mais j'applaudis votre retour à des tentatives d'explication philosophique et des posts de commentaire politique! Faites bien ce que vous voulez de votre blog (y compris des trucs sur les jeux de role et les comic books), mais sachez que je continue (depuis.... 10 ans?) a adoré vos contributions!

    RépondreSupprimer
  2. :)
    Merci.

    Effectivement, je crois que j'ai parfois auto-censuré certains thèmes et que je le fais moins depuis que j'ai décidé qu'Octobre serait un mois avec plus de contributions que d'habitude.

    RépondreSupprimer
  3. Je trouve que tu sous-estimes un peu la rationalité du libertarisme de Nozick (je n'ai absolument aucune sympathie pour le libertarisme, mais enfin, il y a des arguments assez élaborés dans "Anarchy...", qu'on ne réfute pas forcément facilement, je trouve) et... le degré de son apostasie. Dans "The Examined Life", il en parle tout de même comme d'une position qu'il considère désormais comme "seriously inadequate".

    RépondreSupprimer
  4. Oui, j'exagère en parlant de "délirant" et je reconnais d'ailleurs dans le texte l'intérêt du dernier meta-argument d'Anarchy, State & Utopia (la communauté libertarienne peut devenir socialiste si les individus y consentent tous explicitement).

    Mais si je suis injuste, c'est parce que je trouve que Nozick, qui a l'air d'avoir de l'empathie, est plus impardonnable que d'autres Libertariens, de nier les conséquences pratiques pour les plus exploités de ses arguments kantiens sur la Propriété et l'exigence d'autonomie absolue. C'est d'un formalisme idéaliste assez abstrait.

    Je crois (hélas) qu'il n'a jamais abjuré vraiment la conclusion libertarienne et qu'il y est revenu par la suite après The Examined Life.

    Il n'a pas voulu revenir vers la philo politique et son oeuvre s'est déplacée vers la métaphysique mais cela ne le dérangeait pas d'être une sorte d'alibi intellectuel brillant pour des Oligarques finançant la secte libertarienne.

    RépondreSupprimer
  5. J'applaudis également le retour aux explications philosophiques et aux posts de commentaire politique ! Hope you're good :)

    RépondreSupprimer