mardi 4 février 2020

Wings of Fire (Graphic Novel)


En 8 ans, l'autrice Tui Sutherland a sorti près de 20 romans pour enfants (l'euphémisme américain est d'appeler cela "pour jeunes adultes"... ici, 8-12 ans) dont tous les héros sont tous des Dragons, la série Wings of Fire, et le début du cycle (traduit les Royaumes de Feu en français) vient d'être adapté en plusieurs "romans graphiques" de 200 pages chacun, illustrés par Mike Holmes.

J'ai très peu d'esprit critique dès qu'il y a des Dragons.Bien que la fantasy semble saturée de lézards volants et que la plupart des gens qui ont meilleur goût que moi me disent qu'ils n'en peuvent plus, je suis (presque) toujours bon client pour davantage de sauriens cracheurs de feu (tant qu'ils ne sont pas aussi mal dessinés que les pokemons kawai des films How to train your dragon qui me semblent avoir moins de sublime que des hamsters).

Une des limites principales de la Bande-dessinée en général est que les personnages risquent souvent de se ressembler et qu'il faut donc souvent trouver des ruses pour mieux les distinguer (d'où l'importance du vêtement répétitif et des costumes de superhéros, d'ailleurs). Ici, je suis assez émerveillé que Mike Holmes réussisse à faire une série avec des douzaines de Dragons sans qu'on les mélange trop (même si cela se complique dès qu'ils sont de la même couleur et sans traits secondaires - on a quand même parfois besoin du dialogue).

Comme bien des adaptations, cette BD n'échappe pas à des scènes avec beaucoup de cases en "têtes parlantes" (talking heads) pour rendre les dialogues des romans mais Barry Deutsch, qui signe l'adaptation, a fait des efforts pour que les scènes d'exposition soient assez imagées et dramatisées.

Wings of Fire & D&D

TSR avait créé un monde de campagne pour D&D qui s'appelait Council of Wyrms (1994), où tout l'archipel était composé de douzaines de royaumes draconiques, et il y a peu de chances que Tui Sutherland n'en ait jamais entendu parler tant son cycle commence d'une manière assez similaire à la campagne, avec des  oeufs de Dragons de différents types qui ont éclos dans une assemblée pour être élevés collectivement (si ce n'est que c'était l'institution officielle du Parlement des Dragons, pas une organisation secrète comme dans Wings of Fire). Il y a quelques adaptations non-officielles pour D&D sur Internet.

Mais Sutherland a quand même approfondi au fil des 20 romans une draconologie assez originale et qui s'écarte de plus en plus des Dragons de D&D sans avoir non plus beaucoup de lien avec ceux de Pern, qui doivent rester le modèle le plus célèbre en SF. Les couleurs de Dragons "chromatiques et métalliques" de D&D viennent avant tout des cinq "couleurs" de Pern (sauf les Rouges, qui doivent venir de Smaug), mais le rôle reproducteur est très différent comme les couleurs de D&D sont devenues des races et non pas des sexes comme sur la planète Pern (dans les romans de McCaffrey, les Reines d'Or s'unissent à des Faux Bourdons de Bronze et pondent surtout des Ouvrières Vertes stériles ou de petits mâles Bleus - les Blancs n'étant qu'une mutation rare).

Tui Sutherland avait participé à des cycles de romans avec des héros animaux intelligents à la Watership Down, (sur des lapins), Duncton Wood (sur des taupes) ou à la Guardians of Ga'Hoole (sur des chouettes) : Warriors (sur des chats) et Seekers (sur des Ours).

Et la série des Dragons a évidemment des points communs. C'est même un défaut si vous préférez des Dragons avec une forme de surintelligence inhumaine : elle a humanisé ses Ours mais ses Dragons sont souvent relativement "bestialisés" avec des instincts de prédateurs amoraux qui l'emportent largement sur leur perfectibilité culturelle (même s'ils savent lire et construire des outils). Certains de leurs aspects évoquent même plus des sortes d'Insectes que les créatures isolées de D&D.



Dans cet univers (où les continents ont tous une forme draconique, j'ignore s'il y a une explication interne), les Dragons sont divisés en sept types qui sont devenus très différents d'apparence : Dragons des Mers, des Jungles, de la Boue, des Sables, du Ciel, de la Nuit et des Glaces (plus d'autres types d'un autre continent qu'on ne rencontrera que dans les volumes suivants comme des Dragons-à-élytres, Dragons-Libellules, Dragons à Soie ou Dragons des Feuilles). Ils mesurent 5-6m à l'âge adulte et ont une longévité à peu près semblable aux Humains, même s'ils ont une croissance plus rapide : les héros (les "Dragonets"), qui se comportent comme des adolescents, n'ont que 6 ans. Les Dragons ont massacré la plupart des Humains et ces derniers n'ont plus que de petites communautés. Je n'ai pas lu tout le cycle mais je crois voir qu'un des rares Dragons quasi-immortels a, lui, une super-intelligence.

La plupart crachent du feu mais certaines espèces ont des pouvoirs particuliers qu'on ne découvre au fur et à mesure comme la résistance au feu de certains Dragons de Boue, la queue de scorpion des Dragons du désert, l'acide ou l'invisibilité des Dragons de Pluie ou les pouvoirs pré-cognitifs et télépathiques des Dragons de la Nuit.

Leur société est matriarcale : chaque Clan a une Reine héréditaire et l'héritière n'accède au trône qu'en tuant sa mère (et parfois ses soeurs). Dans certains Clans, les femelles se reproduisent avec plusieurs mâles et ignorent donc le vrai père de leur couvée : les oeufs sont abandonnés et souvent protégés plus par le lien de fraternité que par la pondeuse.

La base génétique de l'aristocratie est que certaines familles possèdent des pouvoirs psi ou magiques particuliers. On pourrait croire au début que tous les pouvoirs ont une explication "psionique" comme dans Pern chez Anne McCaffrey mais certains Dragons des volumes suivants ont bien des pouvoirs qui sont plus occultes et qui ont le défaut (comme dans Wheel of Time) de rendre fous ceux qui s'y adonnent trop longtemps.

Les Sept Clans (sauf les Dragons de Pluie, plus isolationnistes dans leurs jungles) sont pris dans une terrible guerre continentale qui a commencé avec la Guerre civile entre trois soeurs des Dragons des sables : Burn (alliée aux Dragons du Ciel et aux Dragon s de Boue), Blaze (alliée aux Dragons des Glaces au nord-ouest et avec le soutien d'une majorité des Dragons des sables) et Blister (alliée aux Dragons de la Mer et en alliance secrète avec les Dragons de la Nuit, officiellement neutres). (Dans la VF, l'allitération des 3 Reines a été rendue en Flamme, Fièvre et Fournaise.

Les héros sont tous de jeunes dragonets élevés en secret par une organisation, les Serres de la Paix, qui cherchent à réaliser une prophétie des Dragons de la Nuit censée mettre fin au conflit. Hélas, j'ai l'impression que les volumes suivants n'échappent pas à une formule récurrente avec les mêmes genres de groupes de dragonets réunis par une prophétie.



La bonne surprise de ce format graphique est que l'on soit aussi défamiliarisé par l'absence de personnages humains, même si les Dragonets sont relativement moraux et humanisés. Une réussite de la série est d'éviter le manichéisme : toutes les factions en dehors des Dragonets semblent "neutres" moralement et en fait celui qui est sans doute Le Grand Méchant des volumes suivants était à l'origine le plus altruiste des Dragons...

C'est une série assez juvénile mais qui peut satisfaire la dracophilie, même si ce n'est pas aussi ambitieux que certaines des oeuvres plus récentes comme le joli Tooth & Claw de Jo Walton, qui parodiait à la fois la fantasy draconesque et les romans du XIXe siècle à la Trollope. Je crains en revanche que la série ne s'épuise un peu après la première "pentalogie" et que l'auteure ait commencé à puiser toujours dans le même filon parce que l'univers n'est pas assez complexe pour soutenir des douzaines de romans. Mais il est rare qu'un cycle puisse s'améliorer en continuant.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire