Via Imaginos, Lenard Lakofka fut l'un des premiers joueurs de D&D (et son personnage, le magicien Leomund, a laissé son nom à des sortilèges) et un des premiers co-auteurs à pouvoir développer sa part du monde de Greyhawk, les îles de Lendore, le dieu du Temps et de l'Ennui. J'avais décrit un peu de sa campagne (1e partie).
lundi 26 octobre 2020
jeudi 22 octobre 2020
Nul n'est prophète dans sa propre tête
Elias donnait une formulation intéressante des religions "positives" instituées par Joseph Joubert en parodiant l'argument d'impossibilité d'un langage logiquement privé : tout fidèle reçoit nécessairement sa foi de l'extérieur (par des critères susceptibles d'être rendus publics) et même tout prophète ne peut fonder sa prophétie que sur la foi de ses croyants. Comme disait Putnam dans son célèbre article sur l'externalisme (ou "socialisme") sémantique : "Cut the pie any way you like, meaning just ain't in the head".
Joubert a des arguments assez ironiques et provocateurs sur la religion, affichant plus encore que Montaigne une forme de scepticisme compatible avec un fidéisme, un pragmatisme feignant le pari pascalien fait pour vexer à la fois le dévot et le libre-penseur.
S'il n'est pas nécessaire de croire tout ce que les religions enseignent, il serait beau, du moins, de faire tout ce qu'elles prescrivent. Toutes les religions sont bonnes ; la meilleure pour chaque homme est celle qu'il a. — Il faut chercher par tous les moyens possibles à se la persuader, et à s'en convaincre ; cela importe à nous, à nos familles, à nos voisins, et au genre humain. I1 est nécessaire d'y croire; il ne l'est pas qu'elle soit vraie. — Toute religion est toujours d'une vérité suffisante pour faire mieux que si on ne l'avait pas. — Ce n'est pas la vérité de ce qui est l'objet de la foi, mais la nécessité de croire qu'il faut démontrer... Dieu ne nous doit point la vérité, qui est son partage; il ne nous doit que la persuasion, qui nous suffit. — Il suffit que la religion soit la religion, il n'est pas nécessaire qu'elle soit vérité. Il y a des choses qui ne sont bonnes que lorsqu'elles sont vraies. Il y en a d'autres qui, pour être bonnes, n'ont besoin que d'être pensées. — Qu'importe la vérité historique, où est la vérité morale ! — La vérité ? oui, la vérité qui sert à être bon, mais non pas la vérité qui ne sert à être savant. — Je crois (philosophiquement parlant, c'est- à-dire abstraction faite de toute autorité, et en préférant l'expérience qu'on a à celle qu'on n'a pas) que la religion est encore plus nécessaire à cette vie qu'à l'autre." (cité par Paul Masson, La religion de Jean-Jacques Rousseau, 1928, p. 302)
Lien social
L'argument de Joubert sur la définition constitutive de la religion inverse par avance un argument favori de l'athée Richard Dawkins.
Dawkins dit souvent que la "preuve" triviale de la fausseté des religions instituées est qu'une forte majorité des croyants (non-convertis) n'ont fait que reprendre la religion du groupe où ils étaient socialisés (il répète souvent aux fondamentalistes "Vous auriez adoré Thor il y a quelques siècles" et cela sonne comme une sorte de réduction à l'absurde dans sa bouche). Une religion "révélée" est un fait empirique et contingent qui prétend ne pas l'être (et qui peut confondre dans son écriture des traits contingents de telle époque avec une caractéristique éternelle et nécessaire de toute humanité comme telle religion qui professe que ses Saintes écritures seraient incréées ou co-éternelles à Dieu, tout en ne faisant référence qu'à des préjugés, un style, des coutumes ou des anecdotes singulières de l'époque de sa "récitation" par l'Ange Messager).
Mais Joubert transforme ce fait de contingence en la nécessité de cette facticité (comme dirait Quentin Meillassoux). On pourrait y voir (en exagérant sans doute) un argument transcendantal, c'est-à-dire remontant à une condition de possibilité de ce fait, l'origine de la religion comme nécessité d'une intersubjectivité constitutive. Et, comme dit Elias, cela implique l'impossibilité d'une religion logiquement privée en notre époque libérale de "privatisation" (ou communautarisation) du fait religieux. Cette intersubjectivité inévitable du fait religieux rappelle le théologico-politique contre la neutralisation du champ politique (et l'extension de la sphère économique).
Le mystère du dogme ne peut être fondé sur la raison ou même sur une intuition subjective d'un individu élu parce qu'il présuppose aussi une doxa d'une communauté qui donnerait son sens à ce secret "à ne pas communiquer". Pour utiliser le plus de jargon grec possible : pas de gnose du myste pneumatique sans la doxa des profanes hyliques et sans leurs rites.
Mysticisme & monadologie
Le mysticisme peut chercher à contrer cela dans une relation de couple-solipsiste du Je et du Tu.
Même en dehors du Mysticisme individuel, on peut retrouver cela dans des églises. Certains Quakers, radicalisant l'idée protestante de l'examen de conscience subjective, iront jusqu'à refuser une liste de dogmes ou la moindre facticité empirique pour que chaque sujet ne soit directement confronté qu'à l'Esprit saint, à l'expérience de "sa" révélation (d'où l'expérience de ce mystère faisant trembler des Quakers) et non aux pierres apostoliques comme ruines de l'assemblée des fidèles (c'est le courant qu'on appelle aux USA "unitarisme universaliste"). Cela donne donc une forme de religion avec un contenu dogmatique très réduit à ce refus de le refermer (ce qui pourrait contredire la définition durkheimienne d'une religion comme une communauté séparant des croyances obligatoires).
Thérèse d'Avila a une relation complexe avec ce couple-solipsiste du Moi et du Tu. Si le Moi n'est rien, il s'agit de s'anéantir en Dieu, de ne se connaître que comme kénose de l'être plein, Moi comme Non-Dieu dans la solitude, mais aussi de prendre conscience de l'Amour divin (qui dépasse l'être et est donc inconnaissable en tant que tel, même notre propre Amour envers Dieu) à partir de l'amour envers son Prochain, envers la Créature, qui demeure donc essentiel comme degré pour accéder au Créateur.
Cependant, le thème principal demeure celui de la méditation esseulée. Thérèse d'Avila écrit dans son Libro de la vida, 1588, XIII, 9 « [L'âme] ne doit prendre soin que d'elle-même, et rien ne lui peut être plus utile que de se considérer seule dans le monde avec Dieu seul» (sólo tener cuidado de sí sola, y hacer cuenta que no hay en la tierra sino Dios y ella).
Leibniz aime citer ce passage comme un analogue de sa propre monadologie ou de l'entr'expression sans fenêtre, par harmonie préétablie (Cf. lettre à A. Morell, 10 décembre 1696 : «Quant à Sainte Thérèse, vous avez raison d'en estimer les ouvrages. J'y trouvai un jour cette belle pensée que l'Âme doit concevoir les choses comme s'il n'y avait que Dieu et elle au monde. Ce qui donne même une réflexion considérable en philosophie, que j'ai employé utilement dans une de mes hypothèses.», Textes inédits, édités par Grua, p. 103).
La monadologie leibnizienne est une tension qu'on peut toujours formuler comme contradictoire en apparence. Tout est simple mais tout est relié. Tout est relation mais tout est intériorité repliée sur soi. Tout est immanent mais ces intériorités sont connectées par un seul être transcendant. Chaque être simple est individuel, isolé de fait comme une cellule abyssale mais nul être n'est une île isolable de tous les autres du point de vue surplombant tous ces replis infinis. Chaque sujet reflète tous les autres sujets à condition que cela ne repose que sur la coordination des relations en un seul sujet, l'entendement divin. Loin que ce soit la religion qui reflète autrui, c'est le lien avec autrui qui a pour fondement une simplicité absolue.
La relation sans la religion
La modernité recherche une monadologie sans Dieu (point commun entre le perspectivisme de Nietzsche, la construction phénoméniste de Russell ou la phénoménologie de Husserl) et Feuerbach revient (en un sens assez différent de Buber et Lévinas) vers cette idée que la religion serait fondée sur ce rapport du Je et du Tu dans son livre Philosophie de l'avenir (1843, §32 - dont j'ai parlé il y a 11 ans) puisque la religion consisterait à hypostasier le rapport au Tu au lieu de mettre au centre cette relation (et même comme fondamentalement un rapport physique et sensible et non pas seulement intellectuel : le Moi n'est qu'entendement, activité ou rapport théorique au monde, le Tu est amour, affection et rapport pratique et ce n'est que par l'affection dans la sensibilité que le moi se dépasse dans le dialogue). La vérité de la religion est l'éthique (Joubert le dit aussi, en insistant plus sur les œuvres que sur la foi plus haut) et ce serait un point commun de la pensée critique entre Kant et Feuerbach si Kant ne se méfiait pas tant des déterminismes de la sensibilité et si Feuerbach n'insistait pas tant à inverser l'idéalisme allemand vers l'épicurisme des Lumières.
Religion naturelle et religion sociale
Le déisme de la religion naturelle est la volonté de déprendre une partie du contenu de la croyance de cette relation intersubjective de la religion révélée "positive", en une pure relation avec le monde et non plus avec la société.
C'est la querelle théologique entre deux Îles Désertes, entre "La Vie de Vivant Fils de l'Eveillé" (Philosophus Autodidactus) d'Ibn Tufayl (Aboubacer) et sa réponse, Le Traité de Kāmil (Theologus Autodidactus) d'Ibn al-Nafis.
Le premier invente le thème de l'enfant abandonné sur une Île Déserte pour se demander ce que le sujet peut connaître de Dieu par le pur raisonnement ou l'expérience, par auto-constitution (la traduction de ce livre serait même connue des premiers empiristes britanniques). Le Philosophe a trouvé la vérité par lui-même et la religion révélée n'est citée que comme bonne pour les masses qui n'ont pas eu toute la rigueur pour s'en passer (et c'est une lecture commune de l'averroïsme comme tentative de concilier la philosophie païenne avec la Création monothéiste). Le héros se retirera même pour fuir les persécutions des dévots.
Le second insiste au contraire sur la part qui ne peut relever justement que de la nécessité de la rencontre avec autrui et de ce qu'on pourrait appeler une intuition par ouï-dire par le texte du Livre révélé qui ne pourrait pas être complètement engendré par la connaissance naturelle : privilège de la connaissance du Premier Genre, des idées inadéquates ou de l'imagination sur celles des autres Genres des philosophes. Ce livre utilise aussi une asymétrie dans le temps : le savant peut induire à partir du passé observé mais il faudrait une donation exceptionnelle pour avoir l'intuition de ce qui échapperait à l'induction (ici, d'ailleurs, la Fin du Monde plus encore que l'idée de Création). Le ton apocalyptique de la Révélation ne serait donc pas qu'une caractéristique optionnelle de telle religion messianique mais l'élément essentiel qui ne peut pas reposer sur la connaissance naturelle (alors que notre propre ton "apocalyptique" est bien plus désespérant en ne se fondant que sur une froide induction et en ne laissant donc aucune place à ce qui pourrait prévenir la catastrophe annoncée).
La foi voit dans la religion naturelle un fragment minimal insuffisant, un fantôme abstrait alors que la raison ne voit dans la religion révélée qu'un ajout accidentel et populaire, une idole pour ceux qui n'arriveraient pas à s'élever à cette illumination purement intellectuelle.
Ces deux enfants des Îles désertes ont une caractéristique qui est de se former peu à peu comme adulte sans vivre l'expérience réelle de l'enfance désarmée. De ce point de vue, on pourrait presque opposer ces enfants sauvages à l'expérience de pensée de Donald Davidson (dans "Knowing One's Mind", 1987, repris dans Subjective, Intersubjective, Objective, 2001) dite de "l'Homme du Marais" (Swampman). Pour Davidson, une difficulté du matérialisme est que si un hasard miraculeux créait un double indiscernable physiquement de vous mais sans aucun passé, on ne pourrait pas dire qu'il pourrait penser quoi que ce soit du tout au début et en tout cas pas la même chose que vous (car ses connexions neuronales n'auraient aucun lien causal avec la moindre expérience ou fait social). Ces enfants, au contraire, auraient plutôt l'intelligence innocente d'Adam créé adulte (comme dit Hume) et ils arriveraient à penser mieux que nous en ayant mieux fondé leurs connexions à l'expérience sans aucun fait social, alors que notre intelligence aurait été déformée par toutes les idoles de la caverne inculquées depuis l'enfance.
Le fait de la pluralité
Le modus ponens de Dawkins plus haut peut aussi être un modus tollens. Pour Dawkins, si Dieu existait, la pluralité des religions et leur évolution historique au gré des modes serait à expliquer puisque si on imaginait qu'une religion soit vraie, il faudrait expliquer pourquoi elle serait si minoritaire. La probabilité que je sois né comme par hasard dans la vraie religion serait trop faible pour que je puisse la prendre au sérieux.
Thomas More se demandait dans l'Utopie si le fait que les religions soient plurielles et que Dieu n'ait pas voulu l'abolir ne devait pas être admis par chaque croyant comme un signe de Dieu qu'il voulait ce pluralisme. (Et là encore, Joubert a pu s'approcher de la même idée)
L'argument ne se sert pas seulement ici du libre arbitre des créatures (Dieu n'interviendrait pas pour nous laisser notre liberté, il laisserait faire notre ignorance pour ne pas nous contraindre) mais bien d'une intention active du créateur qui voudrait en quelque sorte "ressentir" son unicité diffractée par la sensibilité individuelle de ses créatures. La vérité de l'Un désirerait se ressaisir dans le multiple. La pluralité des consciences, et non pas seulement l'Espace absolu de Newton serait le sensorium Dei. Ce scandale de la pluralité, cette chute dans la diversité des hérésies serait alors une part de l'itinéraire de la conscience divine pour se connaître et sortir de son unité absolue, ce qui commence à sonner très hégélien sans qu'on sache vraiment vers quelle finalité devrait aller cette pluralité irréductible.
(On remarque un rapprochement possible avec la décevante "ontologie fondamentale" d'un certain Nazi que je n'ose citer pour qui la différence entre l'être et l'étant qui ne cesse d'être répétée n'est finalement plus guère que l'histoire des différentes manières dont l'être "se révèle en se voilant" sous l'étant : tout ce qu'on peut dire de l'être ne serait que l'histoire de son oubli.)
La patrie terrestre et le législateur exilé
Le proverbe cité par Jésus ("Nul n'est prophète dans sa patrie", Luc 4:24 : Matthieu 13:57; Marc 6:4 ; Jean 4:44) ) semblait seulement signifier que les Nazaréens ne le prenaient pas au sérieux car il n'était qu'un mortel fils du charpentier parce qu'il leur est trop familier (ses compatriotes s'étonnent et disent "Mais c'est le fils de Joseph", il est mortel car il est né quelque part de quelqu'un alors que l'incarnation consistera à refuser que son origine de descendant de David ait quoi que ce soit à voir avec son père "adoptif"). Par la suite, la phrase prendra aussi un sens plus "paulinien" où il aurait en fait prédit ironiquement qu'il devra universaliser la Bonne nouvelle non seulement au-delà des Nazaréens mais au-delà de la seule communauté juive.
Mais on pourrait aussi y donner un sens plus proche de Joubert : nul n'est prophète chez soi car il faut une extériorité, une fondation externe pour qu'une autorité puisse devenir du Sacré et il faut un Messager venu du dehors, comme Jonas à Ninive (ou Moïse, si on suit Freud, ou Paul Muad'dib chez les Fremen). Les mortels n'extériorisent le divin que s'ils n'ont pas l'occasion de voir de trop près la contingence de sa naissance, de sa famille mortelle. On dit qu'en Corée du Nord, la doctrine Juche enseigne très sérieusement dans son culte de la personnalité une sorte d'Incarnation divine pour fonder la Nécrocratie où le second leader éternel Kim Jong-il n'a pas pu avoir de naissance humaine et où il faut donc gommer toute véracité historique sur sa naissance en URSS.
Quand on n'appartient pas à telle religion instituée, on est toujours choqué que les fidèles de cette religion acceptent si facilement ces traits contingents tribalistes de tel "clan" qui deviennent ensuite plus métaphoriques quand la religion s'étend sans perdre pour autant une part de provincialisme exotique.
Espèces ET & D&D dans l'espace
TSR a tenté dans son histoire plusieurs jeux de SF. Le premier fut Star Frontiers (1982) qui avaient les espèces principales suivantes :
(1) Dralasites : amibes gris et sans forme, maladroits mais résistants
(2) Vrusks : arthropoïdes (leur torse ressemblerait à celui d'une grande fourmi mais posé sur 8 pattes) rationnels et ploutocrates. Il est rafraichissant d'avoir un jeu de sf où des insectoïdes ne sont pas qu'une race de "Bugs" envahisseurs.
(3) Yaziriens : mammifères ressemblant à des primates minces ou plutôt à de grands écureuils volants nocturnes, très agiles. Ils doivent porter des lunettes en permanence face aux lumières vives. Une de leurs coutumes est de se choisir individuellement un ennemi qu'ils se consacreront à combattre pendant toute leur vie.
Avec les Humains, la Fédération des Planètes Unies luttait contre les Sathars qui ressemblaient à des Vers intelligents.
16 ans plus tard, TSR essaya un second jeu de sf générique, Alternity (1998). Le premier univers de space opera (baptisé Star*Drive) était assez humanocentrique mais avait quand même aussi des espèces intelligentes :
(1) Fraals : les Petits Gris de l'Ufologie, nomades spatiaux et télépathes, plus avancés et plus intelligents que les Humains, physiquement fragiles.
(2) Mechalus (aussi appelés Aleerins) : espèce de cyborgs.
(3) Sesheyan : ressemblant à de grands chiroptères ou des gargouilles, moins avancés technologiquement, ils peuvent voler.
(4) T'sa : petits reptiliens technophiles, agiles.
(5) Werens : grands hommes-bêtes comme le Sasquatch et avec de grands crocs (qui jouent donc le même rôle de Wookie que les Yaziriens).
Par la suite, TSR/Wizards of the Coast a édité d20 Future (2004) qui adaptait les règles de D&D3 (d20 Modern) pour la sf et incorporait toutes les 8 espèces de Star Frontiers & Star*Drive. Ils proposaient plusieurs cadres dont Star*Drive ou bien "Star Law" où on jouait une police de l'espace pour Les Frontières Unies.
Depuis 2017, Paizo a créé un jeu de "Space Fantasy" qui est littéralement leur version de D&D3 dans l'espace, Starfinder.
On est dans le futur de leur univers de Pathfinder, dans le même système solaire qui a été colonisé et terraformé par de Grands Anciens si bien que quasiment *toutes* les planètes sont habitables (il y a même des colonies d'adorateurs du soleil à la surface de l'astre). Les Dieux de Pathfinder existent toujours (même si certains ont changé, notamment un Dieu-IA, Triune, qui a une importance singulière puisque c'est lui qui a créé le seul moyen d'aller plus vite que la lumière et l'exploration interstellaire vient à peine de commencer) et la Magie est toujours là (mais sous une forme un peu plus faible que dans la fantasy standard comme les sortilèges sont limités au Niveau 6). Golarion, la planète de Pathfinder, a mystérieusement disparu et il y a eu un événement cosmique mystérieux, une anomalie temporelle ("The Gap", la Lacune) qui a effacé les souvenirs de ce qui s'est passé. Dans des systèmes proches se trouve un Empire agressif qui est dirigé par des Humains (oui, cela a donc l'originalité de faire d'un groupe humain l'espèce hostile du jeu, même s'il y a aussi de nombreux Humains dans le système de Golarion).
Si Starfinder est du Pathfinder dans l'espace, ils ont en revanche décidé de réduire la place des espèces habituelles de la fantasy (Nains, Elfes, etc.) qui n'existent plus que sous forme de quelques enclaves. En plus des Humains et des Androïdes, les espèces ET jouables par défaut dans le système sont cinq :
(1) Les Kasathas : Des êtres gris au grand crâne oblongue et à quatre bras. Ils ont immigré d'un autre système (d'une planète désertique) et vivent dans un Vaisseau-Monde entre la 4e planète et la ceinture d'astéroïdes. Traditionnalistes, mystiques et martiaux. Un mélange des Martiens Verts de Barsoom et de Fremen ou de Klingons.
(2) Les Lashuntas : Humanoïdes avec de grandes antennes (qui leur donnent un pouvoir télépathiques). Ils ont un dimorphisme entre deux sous-espèces, soit combattifs mais impulsifs, soit intellectuels mais plus fragiles. Ils viennent de Castrovel, la 2e planète du système (l'équivalent de la Venus des Pulps, pleine de jungles, d'Elfes et de Fourmis intelligentes).
(3) Les Shirrens : Insectoïdes /humanoïdes qui ont rompu avec un Essaim collectiviste et qui sont devenus par réaction individualistes et plutôt pacifistes. Ils se sont répandus dans tout le système, notamment Verces (la 4e planète) et forment parmi les fondateurs influents du "Pacte", la Confédération qui unifie presque tout le système.
(4) Les Vesks : Sauriens massifs et martiaux. Ils viennent du système voisin, le "Veskarium", où ils ont conquis tous les autres mondes. Mais après des années de guerre contre le Pacte, ils viennent de signer un traité contre un ennemi commun (hé, oui, encore des Insectoïdes, baille...). Encore des Klingons, en somme.
(5) Les Ysokis : de petits hommes-rats de la 3e planète du système.
Certaines de ces espèces peuvent aussi évoquer celles du jeu de rôle français Oreste (les Solariens pourraient un peu être des Fraals avec un peu de Lashuntas, les Déchus ressembleraient plus aux Aleerins / Mechalus, les Khrones évoqueraient légèrement les Kasathas ou les Vesks... ).
Générateur aléatoire d'Azgaar
Ce générateur de cartes de mondes fantastiques, "Azgaar", me donne des complexes parce qu'avec cette fonction de zoom fractal, avec ses routes et ses reliefs, il est clair que l'ordinateur peut réussir en une seconde ce qui donnerait des mois à la main.
Sur le site du studio 4d2 (les mêmes qui filment une campagne de Runequest), ils ont une campagne D&D5 que je n'ai pas regardée mais qui a une carte hyper-pro, le monde de Sara'Mandra.
mardi 20 octobre 2020
Tenir les deux bouts de la chaîne (2)
Tenir les deux bouts de la chaîne
L'évêque (et courtisan gallican, apologète du despotisme et de l'esclavage) Bossuet défend dans son Traité du Libre arbitre (qu'on date de 1677 - donc peu de temps après la première édition de La recherche de la vérité de Malebranche et vingt ans après Les Provinciales) un très classique "compatibilisme" entre libre arbitre et providentialisme tout en expliquant que la compatibilité est incompréhensible pour notre Raison. Mais sa stratégie (qui annoncerait celle de Kant dans la Dialectique transcendantale et doit reprendre en partie une tradition "averroïste" sur le rapport de la Foi et de la Raison qu'on doit retrouver même dans l'orthodoxie thomiste) est de généraliser ce Mystère du libre arbitre en disant que notre entendement humain se confronte à de nombreuses antinomies de ce genre, comme sur l'indivisibilité des corps (Descartes vs Gassendi, Stoïcisme v. Epicurisme) ou d'autres contradictions de métaphysique où Bossuet paraît parfois plus sophistique dans sa dialectique. Leibniz (qui sera en controverse avec Bossuet une douzaine d'années plus tard sur la question de l'irénisme et de la réconciliation entre Catholiques & Luthériens) n'a normalement pas pu en prendre connaissance comme le Traité ne sera publié que bien après leur mort à tous les deux (en 1731), mais c'est lui qui rapprochera "les deux labyrinthes" de la volonté et du continu en tentant de trouver une racine commune qui serait l'Infini (chez Leibniz, la différence entre faits nécessaires et faits contingents mais nécessaires ex hypothesi étant analogue à celle entre les nombres rationnels et nombres réels transcendants).
Et c'est dans la suite de ce Traité du Libre arbitre que Bossuet donne sa célèbre règle, chapitre IV (p. 237) :
"Quand donc nous nous mettons à raisonner, nous devons poser d'abord comme indubitable que nous pouvons connaître très certainement beaucoup de choses dont toutefois nous n'entendons pas toutes les dépendances ni toutes les suites. C'est pourquoi la première règle de notre logique, c'est qu'il ne faut jamais abandonner les vérités une fois connues, quelque difficulté qui survienne quand on veut les concilier ; mais qu'il faut au contraire, pour ainsi parler, tenir toujours fortement les deux bouts de la chaîne quoiqu'on ne voie pas toujours le milieu, par où l'enchaînement se continue.
On peut toutefois chercher les moyens d'accorder ces vérités, pourvu qu'on soit résolu à ne pas les laisser perdre, quoi qu'il arrive de cette recherche ; et qu'on n'abandonne pas le bien qu'on tient pour n'avoir pas réussi à trouver celui qu'on poursuit."
Après cette aporie face au Mystère du libre arbitre, la conclusion de ce Traité est plus explicitement Thomiste (ou plus exactement "dominicaine" puisque ce sont les Néo-Thomistes espagnols du XVIIe siècle contre les Molinistes jésuites). Bossuet récuse trois autres solutions (dont la science moyenne des Jésuites) et défend la "praemotio physica", la prémotion, qu'il attribue à Thomas d'Aquin (et qui vient en fait de Domingo Báñez).
Tenir les deux bouts de la chaîne n'est donc plus seulement la concorde entre Liberté et Nécessité mais surtout une conciliation entre la modernité française du dualisme cartésien de Malebranche (néo-augustinienne) et le thomisme orthodoxe (face aux Jansénistes et aux Protestants). De même, une des des dernières oeuvres de Malebranche fut une Réflexion sur la Prémotion, où l'Oratorien affirme que la Prémotion "thomiste" est particulièrement compatible avec son propre occasionalisme et que la Prémotion signifie simplement que Dieu a donné dans les créatures l'amour du Bien (la Grâce), sans être responsable de la Concupiscence (qui ne vient que de la nature).
jeudi 15 octobre 2020
Paquets à collectionner
On a tenté une partie de Keyforge et j'ai enfin compris pourquoi je n'aimerai jamais Magic (même si je n'ai jamais essayé ce dernier).
Je savais que les joueurs de Magic achetaient depuis 27 ans de nombreux paquets pour former le leur mais je n'imaginais pas à quel point cela impliquait de retirer une majorité de cartes non-optimales pour composer leur "Combinaison". En exagérant, un joueur de Magic allait jusqu'à dire que la part essentielle du jeu n'était pas la partie (qui n'est plus qu'un effet) mais tout le temps passé en amont à composer ce paquet. La partie est déjà jouée (en puissance) avant d'avoir commencé.
Keyforge est une réaction explicite (du même auteur que Magic) à cela puisque ce ne sont pas les cartes mais les paquets (uniques) qui sont à collectionner : on n'a pas le droit de combiner des cartes de paquets différents. On peut donc jouer avec un seul paquet puisqu'on ne peut pas "l'améliorer" (mais les paquets ne sont pas égaux entre eux). L'aspect fascinant est que contrairement à Magic, on peut jouer à Keyforge directement en l'ouvrant, en découvrant le jeu en s'en servant et qu'on empêche tout ce pré-jeu potentiellement infini, jeu dans le jeu qui consiste à calculer comment synthétiser plusieurs cartes.
Mais pour être franc, je n'ai pas aimé Keyforge non plus.
L'univers est on ne peut plus générique (sur ce point Magic avait fait plus d'efforts), les illustrations sont moyennes et je n'ai pas vraiment l'impression de jouer une histoire, seulement de chercher quelles combinaisons des cartes de ce paquet unique sont optimales. Je ne suis décidément pas fait pour ce genre de jeux (et tous mes essais de deck-building m'ont plutôt déçu).