samedi 17 juin 2023

The Many Deaths of Laila Starr

On peut soupçonner que le scénariste d'origine tamoule Ram V a envie d'écrire sur l'immortalité. 

Une autre de ses mini-séries These savage shores (2019, Vault Comics, dessinée par Sumit Kumar) opposait en 1766 des clans de Vampires européens, des Chasseurs de vampire et un Asura soutenant le Zamorin de Calicut (allié à la Présidence de Madras) contre le futur Tipu Sultan de Mangalore lors de la Première Guerre de Mysore

Mais cela jouait peu sur l'écoulement lent du temps et l'action restait très concentrée sur quelques mois de 1766. C'était plus sur le trope de la prédation que sur l'immortalité, avec les Vampires en métaphore de la Compagnie des Indes. Mais là où cela se brouillait davantage, l'histoire rapprochait en fait les deux types de prédation des Vampires coloniaux et du Rākṣasa indigène, tout aussi dévorant. Malgré la maîtrise des dessins par Sumit Kumar, j'avais été un peu déçu que cela finisse en un simple combat entre monstres devenus assez indiscernables. 

Pour avoir une vraie histoire sur l'immortalité, il faut donc se tourner vers Laila Starr... 


Neil Gaiman avait su renouveler les histoires d'immortel dans Sandman #13 avec son histoire de Hob Gadling qui échappait enfin au récit consolateur. Hob Gadling est globalement (comme dans tant de récits chinois) un immortel heureux, même s'il affronte aussi des chagrins, deuils et déceptions. 

Il y a toujours un côté "Ces Raisins Sont Trop Verts" dans toutes les fictions qui nous disent que l'immortalité enlèverait notre finalité et que nous devons accepter notre finitude. C'est insatisfaisant d'utiliser l'imaginaire pour se persuader que ce qu'on ne peut changer est donc parfait. 



Comme l'indique le titre de The Many Deaths of Laila Starr (2021, BOOM Studios, dessiné par Filipe Andrade), la protagoniste Laila est un avatar de la Mort, Kali, et elle meurt de manière différente à chaque épisode dans la Mumbai contemporaine. Toute la mini-série est donc un dialogue à travers des décennies entre la Mort et un humain (nommé "Darius Shah") qui est destiné à trouver le secret de l'immortalité et délivrer l'humanité de son plus vieil adversaire. 

La Mort craint que l'immortalité la dépossède de toute fonction cosmique et les Dieux sont représentés de manière parodique comme une sorte de méga-corporation occidentale où Brahma doit faire une restructuration si la Mort ne mérite plus son poste. La Mort, déchue et incarnée en Laïla, va s'humaniser à chaque fois que Prana ("Souffle vital") la ressuscite difficilement. Elle n'ose pas donner la Mort à celui qui tuerait la mort, mais surtout Darius, celui qui aurait dû la faire disparaître, ne peut s'y résoudre ou n'ose pas infliger cette vie éternelle aux humains. 

Ritesh Babu fait remarquer que la bd inverse en fait un cliché du cinéma indien, et notamment du cinéma tamoul où le dieu Yama (le Juge des Morts) descend souvent sur Terre mais dans des comédies pour finir par se déjuger et laisser un humain continuer à vivre. Thème de comédie romantique comme dans Alceste d'Euripide ou Death Takes an Holiday / Here comes Mr Jordan / Heaven can wait. Il n'y a pas de tension amoureuse entre la Mort et Darius mais peut-être un roman initiatique où le Destructeur des Mondes observe son destructeur. L'idée même d'avatar est celle où l'éternel s'interrompt et épouse le point de vue fini. 

Une bonne histoire de réconciliation avec l'idée de mortalité reste-t-elle encore à écrire ? Ce but de convertir notre esprit conscient pour qu'il puisse faire face à son opposé, à l'impossible représentation de sa propre inexistence paraît plus facile que profond sur notre condition humaine. La morale de la mortalité est déjà ancienne quand Ulysse refuse le don de Circé ou Calypso, ou quand Pindare dit "Μή, φίλα ψυχά, βίον ἀθάνατον σπεῦδε, τὰν δ’ ἔμπρακτον ἄντλεῖ μαχανάν." (Ne te soucie pas, ma chère âme, de la vie immortelle mais épuise le possible). Il se peut qu'il n'y ait rien de mieux à dire sur la mortalité (et surtout que toute cette propagande transhumaniste actuelle soit simplement infantile). 

Mais hélas, je ne crois pas avoir lu cette jolie bd tirer d'autre chose que ce charme face à la désynchronisation du récit. Des années ou même des décennies s'écoulent parfois entre chaque réapparition de Laila et Darius vieillit. Darius Shah est vu avec plusieurs coupes dans sa vie et il défend l'ardeur du désir de rester en vie. Laila ne semble en revanche qu'animée par le désir de retrouver cette ombre qui aurait dû lui être fatale, mais je ne vois pas quelle leçon la Mort est censée en tirer. Quand on fait un récit initiatique avec une divinité, on ne comprend pas pourquoi ce dieu devrait évoluer s'il reste divin. 

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